Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

›› Société

Conflits du travail et compromis avec la société civile

Le secteur de la construction est le plus touché…

Photo : En octobre protestations sur un chantier de construction.

Au centre et à l’est de la Chine, l’association a compté 372 incidents dont la majorité a eu lieu dans le secteur de la production industrielle où ont été déclenchées plus de 45% des grèves. Mais c’est le secteur de l’immobilier qui a connu la plus forte augmentation du nombre de conflits sociaux. Alors qu’en 2013, les mouvements de protestations dans ce secteur comptaient pour moins de 3%, cette année, ils représentent près de 15% des incidents (55 sur 372). Les tensions sont la conséquence directe de l’apathie du secteur.

…conséquence de la chute des prix immobiliers…

Selon le Bureau National des statistiques, au cours de 9 premiers mois de 2014, le rythme des transactions immobilières et des chantiers de construction a baissé de plus de 13%. La chute de l’activité ainsi que celle des prix affecte directement une quarantaine d’autres secteurs dont ceux des cimenteries et des métaux non ferreux, tandis que les prêts hypothécaires ont baissé de 5% et que les revenus des ventes dans le neuf se sont contractés de plus de 9%. Le recul a incité le gouvernement à autoriser certaines banques à accorder des prêts sans garanties et poussé les agences immobilières à multiplier les promotions exceptionnelles et les rabais.

Le Guangdong en tête du palmarès des conflits.

C’est la région de Canton qui tient la corde du nombre de grève avec 140 incidents dans les trois derniers mois, suivie des provinces du Jiangsu (Shanghai) (56), du Shandong (43), du Sichuan (39) et du Zhejiang (35).

Un autre développement notable fut l’inhabituel accroissement de la demande pour le paiement par les patrons de leurs cotisations de sécurité sociale dont le mouvement avait été initié par les grèves des usines Yue Yuen (Rivière des Perles) au printemps dernier.

Ces mouvements avaient révélé des inquiétudes nouvelles pour l’avenir des secteurs à forte intensité de main d’œuvre premiers touchés par la restructuration en cours. Au troisième trimestre, reflets des inquiétudes ambiantes et de la chute de confiance dans l’avenir, il y eut 16 grèves liées aux paiements de sécurité sociale, soit 3 fois plus qu’en 2013.

Lire notre page Grèves massives autour de la rivière des perles.

Prémisses d’un syndicalisme libre…

Un des mouvements le plus médiatisés et aussi le plus caractéristique, quoique de faible ampleur, d’un réveil de la société civile et de la nouvelle stratégie toute en souplesse du pouvoir fut celle de l’atelier de bijouterie de Foshan de Tongxin en août dernier où pendant deux mois et demi les 59 ouvriers firent preuve d’une grande solidarité et d’un esprit de discipline exemplaires, obtenant le soutien de la municipalité et de la fédération locale des syndicats. Les négociations conduites avec la direction portèrent sur les paiements des cotisations sociales, les heures supplémentaires et les allocations logement.

A la fin de la grève, la société accepta de payer 1 million de Yuan de compensations (13 000 €). Le bulletin de Hong Kong précise que durant le conflit les ouvriers évitèrent les actions agressives qui auraient pu braquer les autorités. L’exemple a fait tâche d’huile avec plusieurs exemples d’usines où, dans plus de 70 cas au 3e trimestre, les ouvriers se sont contentés d’occuper pacifiquement leur lieu de travail sans défiler dans les rues. A Foshan, le succès a conduit les ouvriers à envisager de créer un syndicat indépendant du syndicat officiel contrôlé par le Parti.

En septembre l’alerte fut plus chaude dans la région de Dongguan près de Canton quand 16 000 ouvriers de l’usine de Wintek Corp fabriquant des écrans tactiles pour Apple se mirent en grève pour réclamer 100 $ d’allocations vacances promis dans les offres d’embauche de la direction. Mais là aussi un compromis a eu lieu et les ouvriers qui ont accepté les explications de la direction sur les mauvaises performances du groupe, sont retournés au travail sans que la production ait souffert de la grève.

…avec la bienveillance autorités locales.

Un mouvement syndical analogue à celui de Foshan avait déjà été lancé depuis le printemps à l’usine japonaise Sumida fabricant d’équipements électroniques dans le sud de la province de Canton où les 5000 ouvriers ont, après 3 mois de tractations avec la direction, organisé le 10 juillet dernier leur première élection syndicale qu’ils qualifièrent eux-mêmes de « démocratiques ». 267 ouvriers élus au comité de sélection votèrent pour désigner un bureau syndical de 25 membres.

Observant cette situation, le 2 juillet, la Fédération Nationale des Syndicats de la région de Canton avait pris les devants et déclaré qu’elle allait organiser dans toute la province des élections syndicales « démocratiques » d’ici 5 ans. Si cette éventualité se réalisait, elle marquerait une évolution significative dans une région fréquemment secouée par des conflits sociaux. On ne peut pas non plus éluder l’idée que cette manière souple et consensuelle de résoudre les conflits s’enracine dans l’héritage laissé par Wang Yang actuel membre du Bureau Politique.

Quand il était Secrétaire Général de la province de Canton ce dernier dont l’entrée au Comité Permanent avait été bloquée par les conservateurs, s’était forgé l’image d’un homme politique ouvert, préoccupé du sort des plus défavorisés et capable de dialogue.

Se situant clairement dans la mouvance des réformateurs, Wang Yang (589 ans cette année) prônait déjà la priorité à la consommation intérieure et la montée en gamme qualitative de la production industrielle. Surtout, il plaidait pour le renforcement de l’État de droit, la promotion de la démocratie intra-Parti, l’élargissement de la portée des élections directes, la transparence des médias et le renforcement du rôle des syndicats, ainsi que leur indépendance.

Ce pragmatisme répondait à l’évolution de la main d’œuvre devenue plus rare, plus exigeante et d’autant plus rétive qu’elle s’appuie sur la vague inquisitrice et indiscrète des réseaux sociaux un des aiguillons de la modification des relations entre le patronat et la main d’œuvre.

Lire : Wang Yang 汪洋.

Résistances conservatrices et compromis calculés.

Mais la route est longue vers une véritable culture syndicale d’entreprise, notamment pour la reconnaissance complète des droits des migrants et parce que le pouvoir craint une contagion syndicale politisée. En dépit des signes encourageants observés dans quelques usines locales, rien ne dit que que le régime laissera se développer sans le contrôler étroitement un mouvement syndical national.

A Zhongnanhai la puissance politique de Solidarnosc en Pologne est dans tous les esprits. Son souvenir agit comme un repoussoir sur la machine politique, en particulier dans la mouvance qui, en 2012, avait barré la route du Comité Permanent à Wang Yang.

Ce qui ne signifie pas que le Parti se désintéressera de la condition ouvrière. Outre qu’il tente de développer un culture de compromis pour éviter les conflits brutaux qui donneraient de lui une image négative dangereusement relayée par les réseaux sociaux, le Parti considère désormais le pouvoir d’achat des ouvriers comme un adjuvant à sa stratégie de bascule vers un développement reposant sur plus de consommation intérieure. Les ouvriers, anciens « soutiers », devenus des consommateurs.

Beaucoup de chemin reste à faire. Les points chauds resteront les usines à forte intensité de main d’œuvre où les conditions de travail très répétitives et les salaires sont peu motivants. Pour huit heures de travail à la chaine dans une usine de chaussures comme celle du Taïwanais Yue Yuen, le salaire mensuel est de 1310 RMB (172 €).

A cet égard l’attention du net et des réseaux sociaux s’est récemment portée sur le groupe taïwanais Foxconn (900 000 ouvriers en Chine) où un travailleur migrant âgé de 24 ans s’est suicidé le 30 septembre en se jetant du haut du toit de l’usine de Shenzhen. En 2010, le groupe Foxconn avait déjà été le théâtre d’une vague de 13 suicides en à peine quelques semaines et avait été contraint de revoir ses conditions de travail et les salaires.

Ainsi tout indique que le pouvoir continuera à naviguer entre ces deux exigences contraires : 1) ne pas se laisser déborder politiquement – la manière brutale dont sont parfois traités les dirigeants des syndicats libres confirme cette priorité – et 2) accepter de plus en plus de compromis y compris en prenant fait et cause pour les ouvriers dans le but d’éviter le durcissement des conflits.

Cette attitude ayant aussi l’avantage de forcer le patronat à augmenter les salaires et de contribuer ainsi à l’amélioration du pouvoir d’achat et de la demande interne, un des piliers de l’ajustement économique en cours.


• Commenter cet article

Modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

• À lire dans la même rubrique

Orage nationaliste sur les réseaux sociaux

Réseaux sociaux : La classe moyenne, l’appareil, les secousses boursières et la défiance

L’obsession des jeux d’argent et les proverbes chinois

Les tribulations immobilières de Liang Liang et Li Jun

Au fil des réseaux sociaux, les faces cachées des funérailles de Li Keqiang