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Coup d’Etat à Pékin. Sexe, meurtre et corruption en Chine

La continuité de histoire dynastique.

Ayant ainsi, par le fil conducteur d’une mèche lente allumée à Chongqing à l’automne 2011, devenue à partir de mars 2012 en cordeau détonnant aux effets dévastateurs, décrit quelques travers préoccupants du régime allant de la corruption endémique au secret, en passant par le poids des groupes d’influence dont la girouette s’oriente toujours au gré de leurs intérêts tantôt conservateurs, tantôt réformistes, les auteurs se sont aussi appliqués à relier les péripéties qu’ils racontent à l’histoire ancestrale de la Chine.

Comme si, en dépit de la rupture révolutionnaire, ils voulaient montrer la continuité de l’esprit dynastique, considérant les communistes ploutocrates comme un système de pouvoir dont le style impérial serait renforcé par les habitudes de secret et les féroces luttes de clans adverses à chaque Congrès. Tout au long de la lecture plusieurs exemples établissent ce lien avec la vieille histoire dont l’oligarchie raffole, y voyant peut-être le moyen de consolider par la longue histoire une légitimité populaire fragile.

Le mythe du guerrier et le destin des Kuli.

Dès les premières pages nous voilà face à Gengis Khan, modèle de Wang Lijun traduction chinoise de Ünen Bayatar qui signifie « héros authentique » en Mongol. Dans l’ouvrage, le préfet de police de Chongqing Wang renvoie aussi à la figure des « Kulis » - 酷 吏 - ces « exécuteurs de basses œuvres », tyrans étroitement associés aux rois et aux dirigeants despotiques, mais toujours écartés par leur maîtres quand ils devinrent un handicap, souvent persécutés par d’autres « Kulis » plus puissants qu’eux.

Page 109, on lit ceci « Les empereurs ont été déposés et le régime monarchique a été aboli il y a cent ans, mais le système totalitaire est resté le même. Les responsables communistes tels que Bo Xilai, gouvernent comme des empereurs. Il n’est pas surprenant que les « Kulis » continuent à prospérer et à mal finir ».

L’utopie d’une justice indépendante.

Une autre référence historique plus édifiante, mais qui renvoie à la quête de légitimité de l’appareil judiciaire, est celle de Hefei, capitale de l’Anhui, province d’origine de Hu Jintao, où se déroula procès de Gu Kailai. C’est en effet à Hefei que, sous les Song, vivait il y a plus de mille ans un juge illustre du nom de Bao Zheng, représenté dans l’opéra chinois par un masque noir, symbolisant « la rage » de la justice qui faisait couper les têtes des corrompus et des malfrats.

Avec son sabre offert par l’Empereur qu’il brandissait au tribunal, il pouvait, dit-on, décapiter même les membres de la famille impériale sans craindre de représailles. Sujet de nombreuses séries télévisées populaires, « Son nom est devenu synonyme d’équité et de justice. »

« L’eau empoisonnée » ou les « femmes renardes ».

Un autre repère mythique courant tout au long de l’ouvrage est celui de « l’eau empoisonnée – 毒水- » ou des « femmes renardes – 狐狸 精 - » esprits malins déguisés en jolies femmes dont l’influence malveillante sur les hommes engendre de grands malheurs. La plus célèbre image réelle de ce mythe dans l’histoire chinoise est Yang Yuhuan 杨玉環 ou Yang Guifei 杨 贵妃。

Après avoir été l’épouse d’un prince impérial, elle devint la maîtresse de l’empereur Xuanzong 玄 宗 des Tang (700 ap. JC) qui négligea ses devoirs et laissa la cour sombrer dans le désordre, prélude à la rébellion du général An Lushan dont la jolie concubine dut porter la responsabilité qu’elle paya de sa vie.

D’autres jolies femmes furent ainsi désignées à la vindicte comme Wang Guangmei 王光美, épouse de Liu Shaoqi 刘少奇, président de la République et rivale de Jiang Qing 江青, la femme de Mao. Durant l’année 1967, la belle Wang Guangmei dut défiler avec son mari devant plus 100 000 personnes rassemblées sur la place Tian Anmen où tous le deux furent humiliés et torturés. Gu Kailai fut, selon les auteurs « l’eau empoisonnée » de son mari qui l’accabla lors de son procès.

L’orphelin Zhao.

La dernière référence historique, sujet de l’épilogue, est aussi un essai de prospective de la vie du fils de Gu Kailai, Bo Guagua, que les auteurs comparent à l’orphelin Zhao 趙 孤儿 pièce de théâtre écrite durant la dynastie Yuan, dont le thème central est la revanche. Pourchassé après sa naissance, l’orphelin dont le clan fut anéanti par les rivaux de sa famille, resta caché dans les montagnes sous la protection d’un sage qui l’éduqua jusqu’à en faire, vingt ans plus tard, un érudit de grand talent et un vaillant guerrier.

Les auteurs voient une réminiscence de l’orphelin Zhao dans le fait qu’en 2012 certains ennemis de Bo Xilai réclamèrent l’extradition de Bo Guagua qui disparut un temps de la scène publique. Devenu avocat inscrit au barreau de New-York, il devrait s’installer au Canada. L’avenir dira si, comme le suggère l’imagination des auteurs, le fils du prince déchu de Chongqing, petit fils du général révolutionnaire Gu Jingsheng, sera l’un des héros d’une saga politique d’intrépides jeunes hommes revenant chez eux pour façonner la Chine de demain.

L’obsession maoïste.

Mais, le fil conducteur historique majeur de l’ouvrage est bien l’obsédante référence au Maoïsme dont la classe politique chinoise empêtrée dans les contradictions du développement inégal du pays ne parvient pas à s’extraire, soit qu’elle est un repoussoir, soit qu’elle exprime la quête d’une voie chinoise du progrès politique, en dehors des modèles occidentaux.

Avant la chute de Bo, l’expérience conduite à Chongqing n’avait certes pas l’approbation de Wen Jiabao. Il reste que, pour beaucoup, elle proposait une troisième voie originale et consensuelle, jusqu’ici introuvable, tout à la fois plus proche du peuple et capable de supprimer les abus, en réduisant les écarts de niveau de vie, réussissant aussi à opérer un ajustement durable du schéma de développement, dont le moteur reste toujours l’investissement public massif et l’export.

En même temps, tous ceux craignant qu’une vraie compétition électorale pût menacer le magistère du parti étaient rassurés que l’expérience restât prudemment éloignée des systèmes démocratiques supposant l’existence d’une opposition, elle-même organisée pour l’affrontement politique et la conquête alternative du pouvoir.

Du point de vue de certains à Pékin, la solution Bo Xilai - Maoïsme revisité en autogestion -, offrait au Parti, en dépit de tous ses dérapages, une solution bienvenue dans un contexte général où de nombreuses voix dont celle du Premier Ministre lui-même, expliquaient que les blocages et contradictions actuelles ne sauraient être résolus sans une réforme démocratique.

C’est bien cette aversion au risque démocratique que l’ambition de Bo Xilai, se présentant comme le sauveur du Parti, a tenté d’instrumentaliser pour forcer son entrée au Comité Permanent. La folie tyrannique et grandiloquente de Wang Lijun que Bo n’a pas contrôlé et les angoisses maternelles de son épouse ont eu raison de son orgueil de pouvoir.

*

Les références maoïstes sont toujours présentes dans la pensée politique de Xi Jinping comme une assurance de sécurité pour le régime. Les auteurs indiquent qu’au cours de ces dernières années le Président s’est fréquemment rendu sur les « lieux saints » de la révolution. A chaque fois, il a fait l’éloge de Mao. Au nouvel an 2016, il était à Jingganshan, dans le Jiangxi « dont l’esprit » a t-il dit « transcende le temps et l’espace ».

Rappelons aussi que dans ses rapports avec l’APL, le secrétaire général a plusieurs fois fait référence aux racines maoïstes du régime.

Après la tempête des condamnations et des mises en examen dans l’armée qui frappèrent l’ancien Commissaire politique Xu Caihou et l’ancien n°1 militaire du pays Guo Boxiong à la retraite et sa famille, ponctuée par le suicide à l’automne 2014 de 3 officiers généraux de l’armée de terre et de la marine accusés de corruption, Xi Jinping a, en novembre 2014, retrempé les chefs militaires dans l’épopée maoïste par un séminaire à Gutian, dans le Fujian.

En 1929, dans ce lieu historique où Mao, à l’époque Commissaire politique au nom du Komintern, avait réaffirmé l’absolu contrôle du parti sur l’armée, celui qui, par la propagande, deviendra le « grand timonier » avait déjà abordé les thèmes toujours actuels des « fautes disciplinaires », des « tendances claniques et putschistes » et « des excès de démocratie ».

Par cette référence au passé révolutionnaire du pays, Xi Jinping entend à la fois redresser l’éthique et tenir à distance l’influence occidentale considérée comme toxique pour la survie du Parti. Pour Xi Jinping, l’histoire de la Chine moderne est indivisible et ne souffre pas d’être revisitée à l’aune des critères occidentaux de la vérité historique.

Convaincu du prestige rémanent du « Grand Timonier » et de la force de cohésion de sa mémoire, incarnation du renouveau national après un siècle de déclin et d’humiliations et, pour beaucoup, symbole de moins d’inégalités, le Président ne cèdera pas aux sirènes des modernes tentés par la rupture historique avec le passé révolutionnaire.

Lire : Xi Jinping, l’APL et les mânes maoïstes.


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