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Coup d’Etat à Pékin. Sexe, meurtre et corruption en Chine

La chute de Zhou Yongkang.

En réalité l’affaire était la pointe émergée d’une impitoyable lutte de clans dont les secousses allaient encore frapper de plein fouet une autre figure de pouvoir, Zhou Yongkang, n°10 du Comité permanent, ancien patron du géant pétrolier CNPC dans sa féodalité excentrée de Daqing à 1000 km au nord de Pékin et devenu en 2007 le maître de l’appareil de sécurité chinois.

Déjà soupçonné par d’insistantes rumeurs d’avoir, quand il était n°1 au Sichuan, fait assassiner sa première femme pour épouser Jiang Xiaoye une présentatrice de CCTV de 28 ans sa cadette, Zhou ayant, par quelques prises de position manifesté son soutien à Bo Xilai, devint la plus emblématique victime collatérale de la pyrotechnie allumée à l’automne 2011 sur les montagnes de Nanshan à Chongqing.

Alors qu’il voulait faire du n°1 de Chongqing son successeur à la tête de la Commission des affaires juridiques au sein du Comité permanent, son étoile se fracassa brutalement emportée par les déflagrations successives du scandale, manifestations visibles de la bataille pour le pouvoir.

Le 6 décembre 2014, après une stratégie d’attaque circulaire ayant visé sa base politique et ses proches, alors que la machine politique du régime avait tourné la page du couple Hu Jintao Wen Jiabao et porté au sommet Xi Jinping, un fils de prince de la même génération que Bo Xilai, dont les bases politiques et familiales se trouvent au Fujian, au Zhejiang et au Shaanxi, Xinhua annonçait que Zhou Yongkang était exclu du Parti pour corruption, comportement immoral, divulgation de secrets d’État et violation de la discipline du parti en matière d’organisation et de confidentialité. La dernière charge retenue exprimait clairement que Zhou avait participé à des activités jugées factieuses menaçant le pouvoir du Président.

Son procès fut une rupture. Alors que celui de Bo Xilai avait tenté de présenter une image transparente de la justice, le jugement de Zhou renoua avec les habitudes de secret. La sentence qui le condamna lui aussi à perpétuité, a été prononcée à huis clos en juin 2015 à Tianjin. Prononcée par le régime plus de 2 ans après l’avènement de Xi Jinping, elle fut à la fois la queue de trajectoire de la lutte pour le pouvoir de 2011 et 2012 et un des premiers événements symboliques de la bataille sans pitié lancée par le nouveau Secrétaire Général pour éradiquer la corruption.

*

Les victimes collatérales anonymes de ce violent spasme politique de la Chine moderne sont rarement évoquées par la presse occidentale. Il serait d’autant plus injuste de les passer sous silence que, toujours entourées de mystère, elles jettent un inquiétant brouillard sur le fonctionnement du régime qui, disent les auteurs, se comporte toujours comme s’il était encore à l’époque de la guerre civile, à la tête d’unités rebelles obligées, par sécurité, de protéger le secret de leurs manœuvres.

Le premier décès étrange évoqué par les auteurs fut celui de Mang Mingan, le procureur en chef du procès de Gu Kailai à Hefei, retrouvé mort dans l’immeuble résidentiel où, dit le rapport officiel de la police, il se serait pendu. L’autre mort inexpliquée renvoie à une des grandes plaies du fonctionnement de la machine politique, objet de la lutte contre la corruption : la soumission de l’appareil à l’influence des grands et petits lobbies de l’économie.

Les racines de la corruption endémique.

Aggravée par un système de promotion par cooptation et la collusion étroite entre les hommes d’affaires et le parti dont l’ampleur s’est développée sans limites après que Jiang Zemin successeur de Zhao Ziyang intronisé par Deng Xiaoping en 1989 ait, par le truchement du dogme des « Trois représentativités », autorisé le Parti à coopter les hommes d’affaires, la corruption est le fond de tableau de la mort suspecte à 44 ans dans une prison de Wuhan, le 4 décembre 2015, de Xu Ming.

Milliardaire basé à Dalian, ce dernier est, dans un chapitre entier du livre, décrit comme la « tire-lire de Bo Xilai », au cœur d’une vaste nébuleuse de trafic d’influence, d’appels d’offres frelatés, de pots de vin et de dessous de table.

Cette situation de grave délabrement éthique avait fait dire au sociologue Zhang Musheng, dans un ouvrage publié en avril 2011, intitulé « Modifier notre approche culturelle de l’histoire 改造 我们的文化历史观 - gaizao women de wenhua lishi guan - », « Aujourd’hui il n’y a pas seulement une collusion entre des bureaucrates corrompus, le capital et des intermédiaires parasites, il y a aussi les dirigeants qui se vendent et la manipulation du pouvoir politique corrompu par des réseaux criminels ».

Les dévoilements en cascade des turpitudes de l’oligarchie par la campagne anti-corruption diligentée depuis 2012 par Xi Jinping et Wang Qishan, le président de la Commission Centrale de discipline, confirment cette analyse.

Grande vulnérabilité du régime que Xi Jinping combat âprement depuis 2012, la corruption endémique est à la racine du penchant obsessionnel pour le secret dont font preuve tous les dignitaires inquiets que les révélations des malversations et écarts de comportement de certains entraînent des réactions en chaîne. Wen Jiabao, le premier ministre en a fait l’amère expérience puisque l’épisode Bo Xilai déclencha une sévère contre attaque dont il fut la cible.

Wen Jiabao, et Ling Jihua dommages collatéraux.

Alors qu’il s’était construit l’image publique d’un responsable à la fibre sociale, adepte de l’ouverture politique et de la possibilité donnée au peuple de contrôler l’action publique, Wen qui s’était depuis mars 2012 ouvertement présenté comme le principal ennemi des embardées populistes de Bo Xilai, fut durement touché par un article paru dans le New-York Times le 25 octobre 2012 étalant au grand jour les fortunes de sa femme et de son fils évaluées à « au moins 2,7 milliards de $ ».

Parfois, plus que les ennemis, c’est le sort qui se venge. Avant même l’affaiblissement de la figure paternaliste de « papi Wen – 温 爷爷 - », Hu Jintao fut lui-même éclaboussé par le scandale de l’accident le 18 mars 2012 de la « Ferrari noire » - à près de 800 000 $ - sur le 4e périphérique de Pékin, à bord de laquelle se trouvait le corps sans vie et déshabillé du jeune Ling Gu 23 ans, le fils de Ling Jihua, chef de cabinet du président.

Désintégrée par le choc, la carcasse de la Ferrari contenait également les corps désarticulés mais encore en vie de deux jeunes étudiantes tibétaines. Les enquêtes et les indiscrétions alimentant le site Mingjing News finirent par mettre à jour que Ling Jihua était un allié secret de Bo Xilai et son principal atout au cœur du pouvoir par lequel il espérait survivre aux attaques.

Yang Ji, l’une des deux Tibétaines ayant survécu à l’accident fut une autre victime collatérale des habitudes de secret du régime. Ayant commencé à « tweeter » à des amies sur WeChat sur les circonstances de l’accident, un jour, elle perdit soudain connaissance et mourut. Son corps fut immédiatement incinéré.

Cet épisode sinistre et dramatique qui révéla qu’un des fils de l’oligarchie roulait dans une voiture dont le prix représentait plus de 50 fois le salaire annuel d’un haut fonctionnaire, sonna le glas de l’influence de Hu Jintao et renforça la main politique Xi Jinping sur le pouvoir.

L’image de Xi Jinping renforcée.

Opposé à toute remise en question du rôle de Mao, animé par le sentiment d’urgence face à la gangrène de la corruption et soucieux d’augmenter l’efficacité de son mandat, le nouveau Secrétaire Général, nationaliste placide et sans états d’âme, a aussi tourné le dos au précepte de collégialité édicté par Deng Xiaoping.

Ce dernier est aujourd’hui battu en brèche et remplacé une gouvernance directe articulée autour de conseillers et d’une série de commissions dont le président a lui-même pris la tête. Son modèle : le « despotisme éclairé » qui prône à la fois le rôle dirigeant du secrétaire général, le contrôle de l’appareil judiciaire par le Parti, ainsi que le rejet des valeurs occidentales et de la démocratie.


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