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Coup d’Etat au Myanmar. Pékin reste de marbre, mais son jeu se complique

A peine plus d’un an après le voyage du président Xi Jinping à Naypyidaw, pour marquer ostensiblement son soutien à Aung San Suu-Kyi, la dame de Rangoon a été déposée par la junte. Pour autant, il serait faux de croire que le contrepied de la situation met gravement la Chine en porte-à-faux. Elle en a vu d’autres.

La longue histoire heurtée des relations entre les deux, notamment la période où, à l’instigation de Deng Xiaoping et contre les condamnations de la communauté internationale, Pékin avait soutenu le régime militaire birman à qui il vendait des équipements militaires, montre amplement à quel point la nature du pouvoir au Myanmar lui importe peu.

Pékin est aussi insensible aux manifestations anti-chinoises du régime ou / et de la population qui n’ont pas manqué dans l’histoire récente, depuis le règne sans partage du dictateur Ne Win de 1962 à 1988 qui, bien que d’origine Hakka, ostracisa brutalement la communauté chinoise (lire à ce sujet le § « Diaspora, migrants et réfugiés chinois. » de notre article L’instabilité historique de la frontière sino-birmane. La longue patience de Pékin. Crises de migrants et diaspora chinoise dans l’ASEAN.), jusqu’aux raidissements autour du barrage de Myitsone sur l’Irrawaddy à l’automne 2011, construit par la Chine, dont les travaux sont toujours arrêtés après des protestations locales.

Le pays birman bordé par des États irrédentistes, avec lequel la Chine a 2200 km de frontières communes sans cesse sillonnées par des trafics en tous genres, dont la sécurité n’est pas toujours assurée, notamment dans la région de Kokang, est traversé par un oléoduc et un gazoduc stratégiques chinois courant du golfe du Bengale vers le Yunnan.

Cette seule réalité fonde le soutien indéfectible de Pékin à son voisin du sud quel que soit le régime politique. Lire à ce sujet, p.2, le § « Aung San Suu Kyi et les affres du pouvoir » de notre article Aung San Suu Kyi à Pékin. Retour au principe de réalité.

Le déplacement du Président, le 18 janvier 2020, qui était le premier voyage d’un président chinois au Myanmar depuis 2001, avait certes été ponctué par 33 accords dont nous donnions les détail dans notre article Xi Jinping en Birmanie. Rétablissement spectaculaire des intérêts chinois et avait donné lieu à un long entretien amplement commenté entre le n°1 chinois et Aung Suu-Kyi.

Mais, ménageant l’avenir, Xi Jinping, avait aussi rendu visite au Général Min Aung Hlaing, l’homme fort du pays, resté une force politique incontournable en dépit de la victoire électorale d’Aung San Suu Kyi en 2015.

A l’époque, le n°1 chinois avait pris ce contact en toute connaissance de cause et quand bien même le général était accusé de « génocide » par l’ONU, dont le rapport réclamait la mise en accusation pour « crimes de guerre. » [1].

Coup d’État.

Aujourd’hui, c’est précisément lui qui, le 1er février, a brutalement investi le pouvoir à Naypyidaw, après que de nouvelles élections générales tenues le 8 novembre dernier [2] aient confirmé le soutien populaire dont bénéficie toujours la « Ligue Nationale pour la démocratie » d’Aung San Suu Kyi, arrivée largement en tête dans les deux chambres avec 61,6% des sièges à la chambre des Nationalités et 58,6% à la chambre des représentants.

Immédiatement après les élections, le parti de l’Union pour la solidarité nationale et le développement (sigle anglais USDP), principal soutien des militaires humiliés par les résultats des deux scrutins où leur formation n’a obtenu que 3,1% des voix à la chambre haute et 5,9% à la chambre des représentants, exprima une sérieuse nervosité politique, accusant les organisateurs de fraudes électorales.

Le 27 janvier, le Général Min, qui se référait aux coups d’État de 1968 et de 1988, évoqua l’idée d’une mise en sommeil de la constitution.

Quatre jours plus tard, il est passé à l’action et a fait mettre sous les verrous Aung San Suu Kyi, 75 ans, présidente de la Ligue pour la démocratie et chef du gouvernement depuis 2016, Win Myint, 69 ans, Président de la République, Han Thar Myint, 72 ans, membre du Comité Central de la Ligue et porte-parole du Parti et U Nyan Win, 78 ans, membre du Comité Central de la ligue et avocat d’Aung San Suu Kyi. Plusieurs autres ministres et responsables régionaux ont également été arrêtés.

Alors que la fille du général Aung San assassiné en 1947 tentait un apaisement après avoir passé le plus clair des 30 dernières années depuis son retour au pays en 1988, en prison ou en résidence surveillée, sans cesse harcelée par le régime, elle est à nouveau arrêtée.

L’événement renvoie à notre commentaire publié en juin 2016 en réaction aux inflexibles utopistes qui voulaient lui retirer son prix Nobel de la Paix en l’accusant d’avoir fermé les yeux sur le harcèlement des Rohingyas musulmans.

« Quoi qu’en disent les adeptes des grands principes détachés des réalités, la souplesse politique est d’autant plus nécessaire que le pays est à peine sorti d’un demi siècle d’une dictature de fer infligée au pays par les militaires dont il est illusoire de croire qu’ils abandonneront leur pouvoir pour se conformer au sacro-saint principe de l’idéal démocratique imposant aux armées de rester neutres dans les conflits politiques internes. »

Pékin soutient des militaires et creuse le fossé avec l’Occident.

Pékin a d’abord appelé la classe politique birmane à respecter la loi, mais lors de la séance du Conseil de sécurité réunie le 2 février à l’ONU, le régime, inflexible et protégeant ses intérêts stratégiques au Myanmar, a opposé son veto à une déclaration commune condamnant le coup d’État.

Par son refus de cibler les militaires birmans, Pékin se désolidarisait clairement d’une déclaration du G7 qui n’a cependant aucune chance d’émouvoir le nouveau pouvoir à Naypyidaw. « Nous appelons les militaires à mettre immédiatement fin à l’état d’urgence, à restaurer le pouvoir au gouvernement démocratiquement élu, à libérer tous ceux qui sont injustement détenus et à respecter les droits de l’homme et l’État de droit ».

Depuis, Pékin répète son discours immuable que les sanctions ne feront qu’aggraver la situation, tandis qu’à l’intérieur la presse officielle minimise le coup de force en le présentant comme un « remaniement ».

Pour autant, la placidité chinoise défendant ses intérêts stratégiques avec une remarquable constance, se paye aujourd’hui au prix d’une fracture de plus en plus profonde avec l’Occident que le régime ne peut pas ignorer.

La divergence à propos du Myanmar fait en effet suite aux longues controverses à propos de Huawei et de Hong Kong, ou encore sur l’origine de l’épidémie qui, sur fond de tensions sino-américaines enflammèrent les relations avec Canberra.

Les aigreurs s’ajoutent aux frictions stratégiques en mer de Chine du sud ou à propos de Taïwan. Lentement l’alchimie des irritations et des méfiances commence aussi à fédérer en Europe occidentale des crispations à l’égard de Pékin.

La dernière tension en date monte avec Londres qui affiche clairement son soutien aux militants pour la démocratie à Hong Kong. En juin dernier, Boris Johnson avait en effet promis d’accueillir tout de suite par des visas d’un an renouvelables les 350 000 titulaires des passeports de citoyens d’Outre-mer ainsi que les 2,5 millions de Hongkongais qui pourraient y prétendre, tous pouvant espérer à terme la citoyenneté britannique.

Avec Londres le torchon brûle.

C’est peu dire qu’avec l’ancienne puissance coloniale, la relation s’est aigrie. Alors qu’à l’été 2020, Londres avait imposé aux fournisseurs d’accès britanniques de cesser d’utiliser les équipements Huawei pour la 5G, avec obligation de démonter ceux déjà installés d’ici 2027, voilà que le 1er février, le régulateur britannique Ofcom révoquait la licence d’exploitation au Royaume Uni de la chaîne de télévision d’État CGTN.

La raison invoquée était qu’elle était contrôlée par le Parti Communiste chinois, ce que personne n’ignorait. L’Ofcom vient de remettre la question sur le tapis en rappelant que, selon la règle britannique, les détenteurs de licences d’exploitation télécoms ne peuvent pas être placés sous l’autorité d’un parti politique.

La controverse qui prend un tour politique très acerbe est en train de s’envenimer. A l’origine, il y a la plainte de « Safeguard Defenders » une ONG de promotion des droits en Asie, dont le Président suédois Peter Dahlin, qui avait été détenu en Chine en 2016, avait été forcé à se livrer à une contrition publique sur CGTN.

La suppression de la licence de CGTN accusée de partialité journalistique survient au moment où Pékin accuse la BBC d’avoir diffusé des « fake news » à propos de l’épidémie quand un reportage de la chaîne avait mis en exergue qu’au démarrage de l’épidémie en janvier 2020 à Wuhan, la bureaucratie chinoise avait caché des informations cruciales sur sa gravité.

Alors que Londres a expulsé trois journalistes chinois accusés d’espionnage, Pékin s’offusque d’un rapport de la BBC dénonçant le viol systématique des femmes ouïghour dans les camps d’internement du Xinjiang.

L’échauffement en cours ne manquera pas déclencher des ripostes chinoises contre des journalistes britanniques en Chine.

Note(s) :

[1Extraits du rapport : « Aucune nécessité militaire ne justifie le meurtre aveugle, le viol collectif de femmes, l’agression d’enfants et l’incendie de villages entiers » (…). « Les modes d’action de la Tatmadaw (nom traditionnel de l’armée birmane) sont systématiquement et extrêmement disproportionnées au regard des menaces réelles à la sécurité, en particulier dans l’État de Rakhine, mais aussi dans le nord du Myanmar ».

[2Le scrutin qui a eu lieu dans tout le pays, visait à renouveler les sièges des deux assemblées (la chambre haute dite des « Nationalités » et la chambre basse ou « Chambre des représentants ») à l’exception des sièges réservés aux militaires. Lire : Aung San Suu Kyi à Pékin. Retour au principe de réalité.


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