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›› Taiwan

Dans l’œil du cyclone, veillée d’armes électorale

Dans l’attente d’un scrutin sensible.

Rapport des forces dans le Détroit de Taïwan. Le budget militaire chinois est 13 fois plus important que celui de Taïwan.

En réalité, alors que le politburo chinois est rassuré qu’aucun équipement de combat de premier rang soit sur la liste, tandis que Taïwan est réconfortée que la Maison Blanche renoue avec le signal périodique très concret et rassurant de sa proximité stratégique avec l’Île, Washington, Pékin et Taipei se préparent à réagir à une évolution majeure de la situation stratégique du Détroit avec, à la mi-janvier, la probable élection à la présidence de l’indépendantiste Tsai Ing-wen. Le dernier sondage à la mi-novembre, à moins de 2 mois du scrutin, créditait son rival Eric Chu de 21,4% des intentions de votes, tandis qu’elle en totalisait encore 48,6%.

Un rétablissement partiel d’Eric Chu ne peut être exclu, mais, dans l’état actuel de l’opinion, il est improbable que le candidat du KMT puisse refaire son retard [2]. Pour tenter de réduire l’ampleur de sa défaite et au moins éviter que le DPP obtienne la majorité absolue au Yuan législatif, le Président du KMT et maire du Nouveau Taipei a, très vite après son investiture surprise en octobre dernier, argumenté sur les risques d’une victoire de Tsai Ing-wen et surtout sur les inconnues d’une situation plaçant tous les pouvoirs dans les mains d’un parti politique en rupture radicale avec l’idée commune au KMT et au Parti Communiste Chinois de « l’existence d’une seule Chine ».

Au cours de son voyage aux États-Unis à la mi-novembre Eric Chu a, dans une interview au Washington Post, argumenté sur l’importance du « Consensus de 1992 » qui, nonobstant ses ambiguïtés, avait eu l’avantage de dégeler les relations dans le Détroit, jusqu’alors enkystées dans un face à face stérile. En refusant ce « Consensus », Tsai Ing-wen mettait en danger l’apaisement des relations et les progrès accomplis depuis 2008.

Pour lui, le meilleur exemple de ces progrès pacifiques était la rencontre historique, à Singapour, le 7 novembre, entre le successeur de Tchang Kai-chek et celui de Mao, tous deux en position de chef de leur exécutif et respectueux l’un de l’autre. A cet égard, croyant à la sagesse des Taïwanais dont il estime que l’hostilité envers le KMT n’est que passagère et due à des maladresses de politique intérieure, il a affirmé que, si son parti restait au pouvoir, la relation continuerait entre Taipei et Pékin sur le même mode, toujours plus apaisé et au bénéfice des deux rives, articulée autour de l’institutionnalisation des réunions au sommet.

Pour Thomas Finger, expert de Taïwan à l’Université de Stanford, en se tenant en territoire neutre, la rencontre de Singapour a non seulement créé un précédent, mais elle a aussi diffusé le sentiment qu’un dialogue d’égal à égal était possible. Finalement, elle a renforcé la position de l’exécutif taïwanais quel qu’il soit. Désormais, ajoute Finger, Pékin aura du mal à considérer Taïwan comme une province, de même qu’il sera difficile de qualifier « d’illégitimes » tous ceux qui n’adhèrent pas au « Consensus de 1992 ». Pour d’autres cependant, la rencontre était une manœuvre de la dernière chance pour tenter de redresser l’audience du KMT à Taïwan.

Ma Ying-jeou a, lui aussi, argumenté sur les risques probables d’une victoire du DPP. Le 29 décembre, au cours d’une cérémonie officielle avec les militaires, il a accusé Tsai Ing-wen de mettre en danger sa politique d’ouverture diplomatique ayant permis le triplement du nombre de pays (de 54 à 158) qui dispensent les Taïwanais de visa d’entrée. Quelques jours avant, Alex Tsai, député KMT avait créé une émotion dans la classe politique en affirmant que 18 pays ayant des relations diplomatiques avec Taïwan, mais qui doutaient de la capacité de Tsai à garantir une relation apaisée dans le Détroit, se préparaient à changer de camp et à reconnaître la Chine.

Les limites de la connivence entre Pékin et le KMT.

Sans surprise, Pékin est intervenu dans le débat sur le même mode de mise en garde, en y mêlant des menaces non voilées. Dans son message de nouvel an aux Taïwanais, le 31 décembre au soir, Zhang Zhijun, en charge au politburo des relations avec l’Île, a anticipé que 2016 placerait la situation dans le Détroit en face d’un « défi complexe », tout en espérant que la tendance d’apaisement initiée en 2008 restera vivace et que ses acquis ne seront pas dilapidés.

Mais la symétrie des positions de Pékin avec celles du KMT s’arrête quand le Parti Communiste laisse planer l’usage de la force. Dans sa conclusion, Zhang a rappelé la détermination chinoise « solide comme un roc » à s’opposer « aux menées indépendantistes qui prétendent saboter la paix et la stabilité dans le Détroit et menacer l’intégrité du territoire chinois. »

Au demeurant, l’arrière plan de représailles militaires est une constante et une réalité qui continue d’obscurcir le paysage du rapprochement politique. Méfiants à l’égard d’un apaisement dont chacun sait qu’il cache un projet de réunification rampante, les Taïwanais ne l’oublient pas, mais c’est bien parce qu’ils n’ont aucune prise sur cette menace que la proximité stratégique avec Washington périodiquement rappelée par les ventes d’armes est pour eux d’une importance capitale.

Lors de sa rencontre historique avec Xi Jinping à Singapour, Ma Ying-jeou qui, dans son projet de relations dans le Détroit, avait fait du démantèlement de l’arsenal de missiles braqués contre l’Île, une condition préalable aux négociations politiques, a évoqué la question. Mais le n°1 chinois l’a éludée en affirmant que les lanceurs, pourtant repérés par satellite, n’avaient aucun lien avec Taïwan [3].

La position de la Chine et celle du KMT s’écartent également quand Pékin condamne fermement la vente d’armes à l’Île, alors que, pour les hommes politiques taïwanais, elles sont une assurance contre les tentations chinoises de la force, jamais complètement exclues.

A l’occasion, Pékin et l’APL qui connaissement l’impact de menaces militaires directes sur la sérénité politique des Taïwanais, ne se privent pas d’entretenir la psychose d’une ingérence militaire directe, avec en arrière pensée l’idée d’influer sur les élections, ce dont ils accusent les États-Unis, quand ils vendent des armes à l’Île.

En mai et juillet 2015, l’APL a organisé plusieurs exercices de combat plus ou moins directement dirigés contre Taïwan, auxquels ont répondu des manœuvres de l’armée taïwanaise. En mai, une émission de la télévision chinoise a présenté un exercice montrant un officier de l’APL dans un briefing face à une carte de l’Île.

Alors que les sondages laissent de plus en plus prévoir une victoire de Tsai Ing-wen, une manœuvre en Mongolie intérieure dont les images ont été diffusées sur CCTV le 5 juillet, mettait en scène des soldats de l’APL attaquant un immeuble qui était une maquette grandeur réelle de la présidence taïwanaise à Taipei.

*

A 15 jours du scrutin, le Détroit est encore dans l’œil du cyclone et sous le coup de la rencontre historique du 7 novembre à Singapour entre Xi Jinping et Ma Ying-jeou dont les hommes politiques calculent l’impact. L’accalmie pourrait se prolonger jusqu’au 20 mai, date officielle de la prise de fonction du nouveau président.

Après quoi, si Tsai est élue, 2 cas sont à considérer. Si le DPP manquait de conquérir la majorité absolue au Yuan législatif en dépit d’une opinion publique, notamment celle de la jeunesse, hostile au KMT, la nouvelle présidente sera confrontée à un sérieux contrepoids qui handicapera ses initiatives les plus redoutées par Pékin.

En revanche, si le parti indépendantiste gagnait la majorité absolue, Tsai aurait les mains plus libres, mais sera placée sous la pression de Pékin qui tentera de lui faire comprendre par tous les moyens le danger de s’aventurer trop loin sur la voie de la rupture politique. Washington, pour sa part fera tout pour qu’elle reste dans les limites de la « préservation du statu-quo » qu’elle a elle-même fixées, en contraste avec ses positions plus radicales de 2012. Dans les deux cas, la nouvelle Présidente serait tenue à longueur de gaffe, tant qu’elle ne reconnaîtra pas le « Consensus de 1992 » de l’existence d’une seule Chine.

A l’intérieur il lui faudra gérer les exigences des indépendantistes radicaux de son parti et celles du très extrémiste « Taïwan Solidarity Union » 台湾团结联盟, (8,5% des voix aux législatives de 2012) dont les critiques ont cependant perdu de leur force depuis que le père spirituel du parti, Lee Teng-hui, a récemment été sévèrement critiqué pour s’être référé au Japon comme l’ancienne puissance coloniale l’Île (1895 – 1945) et avoir vilipendé les célébrations taïwanaises des 70 ans de la victoire de 1945 contre le Japon comme l’expression d’un mensonge destiné à courtiser Pékin et à harceler le Japon [4].

Dans un environnement devenu plus fluide, la paix dans le Détroit dépendra de la hauteur de vue des dirigeants et de leur capacité à résister aux émotions nationalistes et aux affichages agressifs, attisés aux États-Unis par les surenchères du scrutin présidentiel et en Chine par les tendances chauvines de l’opinion qui font le lit des catastrophes, qu’au fond, Pékin, Taïwan et Washington souhaitent éviter, en faisant cependant le moins de concessions possibles.

Indice de cette attention commune aux risques de dérapages, le 29 décembre, en application d’une décision prise lors de la rencontre de Singapour, Pékin et Taipei ont, pour la première fois de l’histoire du Détroit, mis en service une ligne de « téléphone rouge » destinée à éviter un accident militaire, par laquelle Zhang Zhijun et son homologue dans l’Île, Andrew Hsia ont échangé des vœux de nouvel an.

L’événement venait tout juste un mois et demi après un geste de bonne volonté de Pékin qui, en échange de la libération par Taipei de l’espion chinois Li Zhizhao, avait, à la mi-octobre, accepté de libérer Chu Kung-hsun et Hsu Chang-kuo, deux officiers taïwanais appartenant aux services de renseignements de l’Île, arrêtés en 2006 au Vietnam pour espionnage et condamnés à la prison à vie en Chine.

Note(s) :

[2L’opinion taïwanaise est à la fois très complexe et très vulnérable aux perspectives de nouvelles tensions graves dans le Détroit. Immédiatement après la rencontre entre Ma Yin-jeou et Xi Jinping, le 7 novembre dernier, un sondage réalisé auprès d’un échantillon de plus de 1300 personnes signalait non seulement une nouvelle chute de l’audience d’Eric Chu, crédité de seulement 21,1% de soutiens, mais également un sérieux recul du pourcentage des opinions favorables à Tsai Ing-wen à 32,7% soit près de 16% de moins que les sondages précédents.

[3La question des missiles est compliquée par le fait que leur déploiement est mobile et que l’augmentation des portées et de la précision des lanceurs à laquelle la Chine travaille sans relâche, rend difficile la désignation de ceux spécifiquement dédiés à la menace contre Taïwan.

[4Publié dans un journal japonais, le commentaire de Lee Teng-hui (92 ans), ancien lieutenant d’une unité anti-aérienne de l’armée japonaise à Taïwan et président du KMT et de la République de 1988 à 2000, date à laquelle il fut exclu du Parti, souleva des protestations indignées de part et d’autre du Détroit. Même si elles mettent gravement en porte à faux l’ancien Président dont le passé japonais est mis sur la place publique, ses remarques n’en sont pas moins exactes. Les Taïwanais, alors sous la domination japonaise, n’ont pas participé à la guerre contre le Japon.


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