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Deux heures d’échanges téléphoniques tendus entre Joe Biden et Xi Jinping. Vers la 4e crise de Taïwan ?

Sous la surface de nombreux facteurs aggravants.

Au cœur de la controverse sur l’agressivité du Président Xi Jinping qui, à la veille du 20e Congrès, ne peut s’autoriser aucune faiblesse sur la question de Taïwan, se trouve le projet, non encore arrêté à la rédaction de cette note, de la visite à Taïwan de Nancy Pelosi.

Pour un système autocratique vertical ignorant la séparation des pouvoirs, il est incongru de séparer l’initiative de la présidente de la Chambre des représentants d’une décision de l’exécutif américain, d’autant que dans l’ordre de succession politique en cas de vacance du pouvoir, elle est deuxième sur la liste, après le Vice-Président.

Dernière évolution à la date de la rédaction de cette analyse, la militante démocrate connue pour ses positions férocement critiques de la Chine, notamment en matière de droits de l’homme, semble désormais consciente des risques d’emballement portés par sa visite. Le 31 juillet, elle a, par une déclaration, bien confirmé qu’elle était « en route vers l’Asie », mais sans mentionner une éventuelle escale à Taïwan.

Attendue à Singapour, pour les 1er et 2 août, elle a précisé que l’objectif à large spectre de son voyage comportant aussi des passages à Kuala Lumpur, Séoul et Tokyo serait de réaffirmer l’engagement des États-Unis en Asie-Pacifique et de « discuter de la manière dont Washington et ses alliés pourraient promouvoir les valeurs et la sécurité communes, la croissance économique, la liberté du commerce, la coopération médicale et la préservation du climat ».

S’il est exact que, depuis la présidence de Donald Trump, les visites de haut niveau de responsables américains à Taïwan n’ont pas manqué, notamment celle, il y a un an, du ministre de la santé Alex Azar, le 9 août 2021, à l’époque déjà considéré par les commentateurs comme « l’officiel américain du plus haut niveau venu à Taïwan en plusieurs décennies », la visite à Taïwan de la Présidente de la Chambre serait une première depuis celle du « speaker » Républicain Newt Gingrich en 1997, il y a 25 ans.

L’époque était celle de la « troisième crise de Taïwan », après celles de 1954 et de 1958, quand Pékin avait, entre le 21 juillet 1995 et le 23 mars 1997, tiré deux salves de missiles dans les eaux adjacentes à l’Île.

La posture agressive, cependant atténuée par le fait que les armes étaient inertes, réagissait d’abord (1re salve), à l’évolution de la pensée politique du Président Lee Teng-hui, soupçonné par Pékin après son voyage aux États-Unis en juin 1995, de vouloir abandonner la « politique d’une seule Chine » ; ensuite (2e salve) à la décision de l’élire à la présidence de l’Île, au suffrage universel direct en 1996.

Vers la 4e crise de Taïwan ?

Alors que nombre de commentateurs identifient la récente succession des événements comme les prémisses de la 4e crise de Taïwan, et que le Président Biden lui-même a exprimé l’avis que l’initiative de Nancy Pelosi « n’était pas une bonne idée », il faut bien reconnaître que les tensions de la relation entre les deux rives baignent aujourd’hui dans une série de facteurs aggravants, au point que la marine américaine a décidé de faire croiser le porte-avions Donald Reagan en mer de Chine du sud.

Il est clair que, venant de Singapour, le PA a reçu l’ordre de se rapprocher de Taïwan, parce qu’à Washington les plus nerveux craignent qu’une visite de Pelosi dans l’Île pourrait inciter Pékin à l’attaquer après que le porte-parole du Waijiaobu Zhao Lijian ait, le 25 juillet, prévenu que « la Chine s’était sérieusement préparée à la visite. ».

La menace a été réitérée peu après par le commentaire du ministre de la défense Wei Fenghe indiquant que « si les États-Unis insistaient dans cette voie solitaire (sans se préoccuper de la Chine), l’APL ne resterait pas inerte « 如果美国一意孤行, 中国军队绝不会坐视不管. »

Alors que les parlementaires américains ont, par le passé plusieurs fois visité l’Île, la controverse autour de la visite de Pelosi survient au moment où, une fois de plus, Pékin constate non sans raison que Washington s’éloigne de la politique d’une seule Chine. La tendance est attestée par une série d’indices qui n’ont pas échappé au Parti.

Non seulement des officiels taïwanais aux États-Unis ont en janvier 2020, ouvertement été invités à la cérémonie d’investiture de Joe Biden, mais encore, leurs rencontres avec le gouvernement américain se tiennent désormais régulièrement dans les locaux de l’administration ; récemment, alors que le Président avait affirmé que l’armée des États-Unis viendrait au secours de Taïwan, Anthony Blinken parlait de Taïwan comme d’un « pays » ;

Surtout, en décembre 2021, l’administration Biden avait publiquement invité les Taïwanais à son sommet pour la démocratie (lire : Le sommet mondial des démocraties invite Taïwan et enflamme les nationalistes chinois qui fustigent les ratés de la démocratie américaine), tandis que des fuites venant de l’administration américaine dévoilaient que des experts militaires de l’US Army présents sur l’Île, entrainaient l’armée taïwanaise.

Aucune de ces mesures n’équivaut à une reconnaissance diplomatique, mais Pékin pourrait considérer le projet de Pelosi comme une opportunité pour freiner une dérive qui éloigne les États-Unis de l’esprit des « Trois communiqués » (1972 Nixon et Zhou Enlai ; 1979 Carter et Deng Xiaoping ; 1982 Reagan et Deng Xiaoping).

La crispation extrême de la situation est aussi le fruit de la proximité du 20e Congrès poussant Xi Jinping à l’intransigeance sans nuances sur la question de Taïwan, et d’une longue suite d’affirmations de souveraineté dans le contexte général où le Parti refuse d’envisager le moindre contact direct avec le gouvernement de Tsai Ing-wen tant qu’elle ne reconnaîtra pas l’existence « d’une seule Chine. »

Plus important encore, selon un article de Foreign Policy de David Sacks du 29 juillet, la réaction de Xi Jinping face à Joe Biden, révèle que la perspective d’une crise militaire ouverte dans le Détroit, même sans déclaration d’indépendance de l’Île, pourrait ne plus être un tabou pour la direction chinoise, avec cependant la nuance que le communiqué cité plus haut révèle une volonté de calmer le jeu.

La détermination affichée de Xi Jinping – qu’il n’a cependant pas mentionnée dans le dernier échange avec Joe Biden – de récupérer Taïwan coûte que coûte avant l’échéance du 100e anniversaire du Parti à la tête de la Chine en 2049, installe un inconfort stratégique. Non seulement elle ne favorise pas l’apaisement, mais elle fait surgir l’incertitude qu’une action militaire de l’APL dans le Détroit pourrait être possible n’importe quand.

J. Burns l’actuel Directeur de la CIA, cité par Sacks, insiste sur cette hypothèse : « Je ne sous-estimerais pas la détermination du président Xi à affirmer le contrôle de la République populaire de Chine sur Taiwan. Les risques augmenteront dans les dix ans qui viennent. » Il ajoute « qu’après avoir consolidé son règne lors du prochain Congrès du Parti ; après avoir écarté ses rivaux et placé ses appuis aux postes clés, Xi aura les mains libres pour poursuivre ses objectifs. »

Enfin, dernier facteur d’aggravation de la situation à l’avenir, alors que les élites américaines sont aujourd’hui hantées par la perspective de leur déclin, elles savent bien que si Pékin réussissait à reprendre l’Île par la force, l’influence globale des États-Unis comme garants de la sécurité, déjà très controversée, serait à jamais compromise.


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