Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

›› Chine - monde

En mer de Chine du sud, les limites de la flibuste impériale chinoise

La lourde insistance chinoise autour des Natuna.

Récemment pourtant, la réaction la plus vive observée aux empiètements chinois dans la région fut celle de Jakarta.

Alors qu’à leur rencontre en marge de l’ASEM à Madrid les 15 et 16 décembre derniers, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi et son homologue indonésien Retno Marsudi avaient convenu de renforcer leur partenariat stratégique à l’occasion du 70e anniversaire de leurs relations diplomatiques officielles, tandis que le ministre indonésien de la Défense, Prabowo Subianto, s’était rendu à Pékin en quête d’une aide chinoise pour moderniser l’armée, l’atmosphère de chaleureuse confiance réciproque a volé en éclats peu après la rencontre de Madrid.

En cause la présence insistante depuis la mi-juin d’une flottille de pèche chinoise escortée par les 2 garde-côtes Haijing 35111 et 2169 dans la ZEE indonésienne au large de Ranai, à 124 nautiques au nord dans l’archipel des Natuna. Venant de Fiery Cross ils évoluaient à l’intérieur à la fois de la ZEE indonésienne et de la ligne en 9 traits chinoise.

Réagissant vivement, le Président Joko Widodo déclara que la souveraineté indonésienne sur les Natuna n’était pas négociable, puis rappela l’arbitrage de la cour de La Haye du 12 juillet 2016, réfutant les droits de la Chine à l’intérieur de la « ligne en 9 traits »

Fin décembre, l’ambassadeur de Chine était convoqué pour recevoir une protestation officielle. Le 7 janvier, l’armée de l’air déployait 4 F-16 sur l’île de Riau. Le lendemain, le Président Widodo se rendait en personne sur l’archipel, tandis que 8 bâtiments de guerre étaient dépêchés sur zone. Sur place, Ronny Irianto Moningka, commandant la base aérienne déclarait que Jakarta ne faisait que protéger son territoire.

*

Ce n’est pas la première fois qu’un ambassadeur de Chine est convoqué à Jakarta. En 2016 déjà, raconte le NYT, l’Indonésie protesta officiellement après qu’un garde-côte chinois avait – dans cette même zone, mais à l’intérieur des eaux territoriales de Jakarta -, percuté un navire indonésien qui remorquait un pêcheur illégal chinois.

Le choc avait libéré le chalutier chinois, mais laissé l’équipage aux mains des Indonésiens. A l’époque, ulcérée, la ministre des pèches indonésienne, Susi Pudjiastuti, déclara que « l’arrogance de la Chine sabotait la paix »

La vigueur de la réaction indonésienne marquait un tournant dans une longue suite d’incidents dans cette région où Jakarta, l’œil rivé sur sa part de marché en Chine, avait souvent baissé pavillon. En mars 2013, toujours au large des Natuna, un garde-côte indonésien qui avait capturé un chalutier chinois et séquestré son équipage de 9 hommes, céda sous la menace des canons d’un patrouilleur chinois.

De toute évidence, Pékin dont l’intention d’empiètement sur la ZEE indonésienne et sur le gisement des Natuna traversée par la « ligne en 9 traits » ne faiblit pas, teste la détermination indonésienne. A Zhongnanhai on estime peut-être que la force des liens économiques dessine de nouvelles opportunités pour les appétits chinois.

Le chantage impérial de Pékin.

Il est vrai que depuis 2016, la diplomatie sonnante et trébuchante de Pékin n’a pas ménagé ses efforts. Les liens économiques entre Jakarta et Pékin ont explosé. Le commerce bilatéral qui, en 2003, plafonnait à 3,8 Mds de $, atteint aujourd’hui 36,1 Mds de $ et la Chine est désormais le premier investisseur dans l’archipel (2,3 Mds de $ au cours du premier semestre 2019, représentant 16% du total des IDE.)

Surtout, les promesses électorales de Widodo faites en 2019, de restaurer les infrastructures le rendent sensibles à l’attrait des finances chinoises. En juillet 2019, il avait même proposé à Xi Jinping la création d’un fonds spécial d’investissements à faible taux d’intérêt pour faciliter les investissements chinoise dans 4 « corridors » des « Nouvelles routes de la soie ». Cinq mois plus tard, le Comité de coordination des investissements étrangers attribuait la valeur de 91 Mds de $ de projets d’infrastructure aux groupes chinois.

Enfin, début janvier, Jakarta acceptait l’aide chinoise pour mener à bien le projet pharaonique de déplacer la capitale dans la province de Kakimantan-Est, sur l’île de Borneo.

Ces réalités étaient rappelées par le porte-parole chinois lors de la conférence de presse journalière du Waijiaobu, après l’incident des Natuna : « Nous pensons que l’Indonésie gardera également à l’esprit la vue d’ensemble des relations bilatérales et de la stabilité régionale, résoudra correctement les différends avec la Chine ».

D’abord confiante dans ses atouts, la Chine a décidé de ne pas obtempérer. Même après les mises en garde, 4 garde-côtes continuèrent un temps d’évoluer dans la ZEE indonésienne. Nombre de commentateurs se demandent si Pékin n’a pas franchi une ligne rouge. A Jakarta, en tout cas le marchandage chinois suscite un débat.

A Jakarta l’orgueil national et l’enjeu de souveraineté.

Tout en reconnaissant l’importance des liens commerciaux et des investissements chinois Luhut Pandjaitan, le ministre des Affaires maritimes également en charge des IDE a jeté un pavé dans la mare, en rappelant que le pays ne « vendrait pas sa souveraineté » à Pékin.

Traduisons : La souveraineté est une ligne rouge. La nouvelle administration élue n’a pas modifié la manière dont elle considère les incursions maritimes chinoises. Comme le dit aussi Edhy Prabowo, le nouveau ministre des pèches, « la pèche illégale est le premier ennemi de l’Indonésie. »

Les enjeux sont élevés. Ils valent aussi pour toute l’ASEAN. Isolément aucun pays n’est en mesure de résister aux pressions chinoises qu’elles soient militaires, financières ou commerciales. Il est vrai que jusqu’à présent, écartelés entre leurs intérêts commerciaux, l’attrait des finances chinoises et les défis de leur développement, les pays membres n’ont pas montré une grande solidarité.

Certains comme le Laos ou le Cambodge, durablement intoxiqués à l’aide chinoise, n’ont même pas la marge de manœuvre suffisante pour modifier leurs allégeances. D’autres comme la Thaïlande, la Birmanie, ou les Philippines flottent. Impossible d’ignorer le poids économique et stratégique du grand voisin.

Mais, écrit Collin Koh, chercheur à l’Université technologique de Singapour, en plaçant publiquement Jakarta en porte à faux comme elle vient de le faire, usant à la fois de l’intimidation par ses garde-côtes et du chantage aux aides économiques sous conditions impériales, la Chine a peut-être poussé ses avantages un peu trop loin.

Alors que le Vietnam qui préside l’ASEAN est déjà enclin à durcir sa position, tandis qu’avec Hanoï, Kuala Lumpur conteste la « ligne en 9 traits » par sa requête d’élargissement du plateau continental, les derniers incidents avec Jakarta pourraient contribuer à dresser contre Pékin un front rebelle rejetant ses exigences du code de conduite.

A trop vouloir affirmer sa prévalence par la force, Pékin est en train de brouiller l’image de « puissance douce » que depuis les années 90 elle tente de propager, en contrepoint des alliances militaires américaines.


• Commenter cet article

Modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

• À lire dans la même rubrique

Au Pakistan, des Chinois à nouveau victimes des terroristes

Munich : Misère de l’Europe-puissance et stratégie sino-russe du chaos

Au Myanmar le pragmatisme de Pékin aux prises avec le chaos d’une guerre civile

Nouvelles routes de la soie. Fragilités et ajustements

Chine-UE. Misère de l’Europe puissance, rapports de forces et faux-semblants