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›› Editorial

Fêlures

Les ambiguïtés de la lutte contre les corrompus.

Loin d’être un cautère sur une jambe de bois, - elle a déjà induit de nombreux suicides y compris parmi la haute hiérarchie militaire, ce qui réjouit l’opinion publique chinoise -, il est cependant un fait que la campagne contre les prévaricateurs ne s’attaque qu’à la surface du phénomène, enraciné dans la culture du « Guanxi » et le fonctionnement même de l’appareil.

Wang Qishan, fidèle du président qui, en dépit de ses réserves, a loyalement mis en œuvre la campagne contre la corruption, ne fut pas le seul à s’interroger sur les causes du mal et ses remèdes.

A l’automne 2014, une jeune chercheuse de l’Académie des Sciences Sociales de Qingdao avait courageusement pointé du doigt, dans une étude, le fonctionnement même de la machine politique du Parti. Elle y ciblait notamment les conditions de travail des cadres, la compétition féroce des courtisans et les promotions par cooptation incitant aux mensonges et aux bilans hyperboliques.

Lire : Guerre contre la corruption : le Parti s’interroge sur lui-même.

La lutte contre la gangrène des prévarications, passe-droits, conflits d’intérêts, délits d’initiés à quoi s’ajoute le commerce des promotions dans l’administration et l’armée, cibles de l’action répressive du président, renvoie à un conflit de méthodes, lui-même articulé à deux conceptions de la société.

Deux visions de la société et des hommes.

La première est marquée par l’espérance humaniste de Confucius spéculant sur la capacité des hommes à se bonifier par l’étude et les enseignements de la morale ; la deuxième se construit autour de la vision moins optimiste selon laquelle la société dont les tendances naturelles ne créent pas les conditions de l’harmonie, doit être fermement encadrée par un système répressif inflexible.

Faisant souvent référence aux anciens, Xi Jinping mêle dans ses discours, d’une part, l’idéal de « bénévolence morale » de Confucius, dont les aphorismes sont un des principaux adjuvants des « séductions culturelles » chinoises et, d’autre part, la brutale sévérité légale de Han Feizi qui en est l’exact contraire. Alors que le « Vieux Maître Kong » spécule sur l’étude comme principal moyen d’augmenter la qualité des hommes, le courant Han Feizi s’en méfie et compte sur la répression impitoyable pour garder la société en ordre.

Le « Qin – 秦 - » (259 – 210 av JC) que les Chinois admirent de plus en plus, après avoir longtemps dénoncé sa cruauté brutale, avait articulé la règle de son gouvernement à Han Feizi rompant avec les Confucéens et méprisant les intellectuels qu’il fit mettre à mort et dont il avait brûlé les livres.

Le fait est qu’aujourd’hui on lui reconnaît le succès d’avoir fondé le premier empire chinois. Ayant trouvé une Chine féodale, partagée en royaumes, il en fit un empire puissant dont l’exigence d’unité résonne encore aujourd’hui comme l’épine dorsale de la politique intérieure chinoise.

La pensée du légiste Li Si 李斯, contemporain de Han Fei, promoteur d’un gouvernement par la rigueur des lois et les promotions au mérite, résonne aujourd’hui étrangement à travers les siècles comme une des très lointaines racines des « caractéristiques chinoises ».

Premier ministre du Qin il y a plus de 2000 ans, artisan de l’unification administrative, il s’appliqua aussi à convaincre l’Empereur de réprimer les critiques des intellectuels. L’idée était qu’il était difficile de moderniser le pays au milieu d’un trop grand nombre de penseurs libres exprimant des idées critiques.

« Il est permis à chacun de gouverner à sa guise, en s’accommodant aux temps nouveaux ; mais c’est une vérité qu’un sot professeur ne comprendra jamais. Il y eut jadis des princes qui rassemblaient autour d’eux des lettrés et se faisaient un devoir de les consulter sur toutes choses. »

« Tu as fondé un empire qui de génération en génération durera plus de trois mille ans ; il t’est permis de changer de méthode et de ne prendre conseil que de toi-même.

« Que chacun fasse son métier ! Que les lettrés s’occupent de littérature ! Mais ils ont la fureur de se mêler de ce qui ne les regarde pas. Ils exaltent le passé, ils méprisent le présent ; infatués de leur courte sagesse, front contre front, nez contre nez, ils conversent mystérieusement, médisent de tout le monde, critiquent tes lois et tes ordonnances. » G. Valbert, Revue des Deux Mondes « Confucius et la Morale chinoise », 4e période, tome 150, 1898 (p. 673-684).

*

20 siècles plus tard, les réminiscences du Qin tentent à l’intérieur de mettre la pensée libre des lettrés sous le boisseau, provoquant les premiers craquements visibles de la scène politique chinoise depuis l’affaire Bo Xilai en 2012.

En apparence et jusque il y a peu, l’appareil, les intellectuels et les médias, dûment chapitrés par la censure adhéraient à cette normalisation culturelle et policière. Mais sous la surface des voix discordantes continuaient à exprimer leur désaccord. A l’été 2018, leur écho encore discret a percé le mur de l’orthodoxie politique du Régime.

A l’extérieur, la « spécificité » devenue l’alpha et l’oméga unique de la pensée politique du Régime, articule une stratégie d’influence géopolitique autiste qui, de fil en aiguille, conduit à la confrontation directe dénoncée par les anciens. La déconvenue prend racine dans le malentendu illusoire que la mondialisation commerciale dont la Chine se fait le champion, suffirait à rallier des émules – essentiellement dans les pays en développement - au mode de gouvernance politique chinois.

En réalité, dit Nicolas Chapuis, sinologue, diplomate, traducteur, essayiste, et ambassadeur de France au Canada jusqu’en 2017, « c’est exactement le contraire qui se manifeste au quotidien : la mondialisation, loin de rapprocher, accentue les frictions et le nationalisme culturel. Les progrès, incertains, de la “connaissance réciproque “ ou du “transculturel“ apparaissent aujourd’hui encore trop ténus pour endiguer les crues souvent violentes de désamour ou d’incompréhension. »

*

Quant à la confrontation directe avec les États-Unis ou à la tentation mimétique de reproduire leur magistère planétaire, bouteille à l’encre de la masse des commentaires spéculant sur « montée en puissance de la Chine » nouvelle puissance hégémonique, contre lesquelles mettent précisément en garde les caciques du Régime, Wang Jisi ancien responsable des Affaires américaines à l’Académie des Sciences sociales, en avait déjà énoncé les risques en 2010, dans une période où, déjà, le Parti percevait les vents contraires générés par l’affirmation de puissance.

Dans une conférence donnée le 21 juillet 2010 à Beida, pour bien faire comprendre ses idées sur ce que devraient être les ambitions internationales de la Chine, Wang Jisi n’hésita pas à utiliser en contre exemple l’histoire de Zhuge Liang (诸葛亮), le stratège de Shu de l’époque des Trois Royaumes (蜀) (Note de QC : actuel Sichuan), vénéré par la grande majorité des Chinois comme un héros exemplaire d’une grande probité morale.

« Liang était d’une moralité parfaite. Mais comme souverain, malgré ses succès, il n’a pas compris que la reconstruction du pays exigeait de conserver un profil bas. Au lieu de cela, il s’engagea, malgré sa faiblesse, dans une compétition avec le Royaume de Wei (魏) » – (Note de QC : avec comme capitale Luoyang, le Wei s’étendait de la plaine centrale au nord de Pékin et à l’Ouest au-delà de l’actuel Xian).

« Mais il échoua dans son ambition d’unifier la Chine ». Plus encore : « S’il avait eu moins d’ambitions stratégiques, son action, appuyée par ses talents diplomatiques, aurait été plus bénéfique pour la société, pour le peuple et pour lui-même ».

Lire : De l’arrogance à l’inquiétude.


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