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Guerre froide ? Guerre chaude ? Le risque des dérives somnambules

La mer de Chine du Sud, théâtre possible d’un accident militaire majeur.

Théâtre d’une des plus vastes revendications territoriales de l’histoire moderne, appuyée sur le rejet sans esprit de recul du droit international par Pékin au nom de la prévalence historique de la culture chinoise dans la zone, l’espace maritime grand comme la Méditerranée constitue, dit Kevin Rudd, « un cas d’école de la stratégie chinoise de la zone grise ».

Sans jamais déployer ostensiblement ses navires de guerre, Pékin y affirme ses intentions hégémoniques par ses garde-côtes géants à la coque en acier spécialement construits pour couler par abordage les chalutiers récalcitrants opérant à l’intérieur de sa « ligne en 9 traits » dont le tracé empiète sur les ZEE des riverains.

Lire : En mer de Chine du sud, les limites de la flibuste impériale chinoise.

En même temps, suivant l’élargissement des ilots des Spratlys et des Paracels qui augmentent les réclamations chinoises sur la dimension de ses eaux territoriales autour des nouvelles structures modifiées par bétonnage dont au trois dans les Spratlys - Fiery Cross, Mischief et Subi et Woody dans les Paracels, ont été militarisés [4], Pékin a, le 17 avril 2020, annoncé l’établissement de deux zones administratives nouvelles de niveau district couvrant les Paracels (district de Xisha, dont le chef lieu est à Woody – Yongxing – 永兴岛) et les Spratlys (district de Nansha, avec le chef lieu à Fiery Cross – Yongshu – 永暑岛).

Alors même que l’arbitrage rendu le 12 juillet 2016 par la Cour de la Haye réfute ces revendications, dans l’esprit de Pékin, la mesure décidée alors que la pandémie faisait rage, augmente l’assise administrative légale de ses réclamations territoriales. Elles couvrent les vastes ressources d’hydrocarbures de la zone estimées entre 750 et 2 Mds de barils de pétrole (Selon US Geolocical Survey), y compris celles situées dans les ZEE des riverains. Lire : Arbitrage de la Cour de La Haye. Tensions et perspectives d’apaisement.

La réclamation administrative de Pékin entraîna trois mois plus tard, le 13 juillet 2020, une réaction inédite de Washington annonçant une modification majeure de sa position sur le statut légal des revendications chinoises.

Alors que par le passé, les États-Unis, n’ayant pas ratifié la Convention des NU sur le droit de la mer, étaient restés neutres, ils ont, pour la première fois, réfuté la validité légale des revendications chinoises. Formellement, l’ajustement aligne Washington sur la position des membres de l’ASEAN qui contestent les prétentions de Pékin. (Vietnam, Malaisie, Philippines, Brunei).

La riposte formelle chinoise vint discrètement quelques jours plus tard, modifiant la désignation des zones contigües de « zones off-shore » en « zones côtières ». Elle se précisa quelques jours plus tard, par le déploiement de bombardiers H-6J à long rayon d’action assignés à la surveillance de toute la région.

Le 20 août, le ministère vietnamien des Affaires étrangères réagissait à la présence d’un bombardier chinois sur Woody, dans les Paracels : « le déploiement d’armes et de bombardiers viole la souveraineté vietnamienne et menace la stabilité de la région »

Depuis 2013, la mer de Chine du sud est devenue une zone volatile, où le déploiement militaire chinois et épisodiquement américain à l’occasion des manœuvres conjointes avec les Philippines, ajoutés à ceux des riverains dont tous les budgets de défense augmentent rapidement, créent un important potentiel explosif.

Ce dernier est encore augmenté par les missions régulières des destroyers lance-missiles de l’US Navy pour affirmer la liberté de navigation dans les eaux réclamées par Pékin comme ses eaux territoriales, dont Washington réfute la légitimité.

Les somnambules.

Dans ce contexte où se succèdent les provocations et les ripostes, on ne compte plus les analyses mettant en garde contre la marche « somnambule vers un conflit ».

Les références vont de l’antique guerre du Péloponnèse, où Thucydide décrivait la rivalité entre Sparte la puissance établie comparée à l’Amérique d’aujourd’hui et Athènes la puissance montante – la Chine du XXIe siècle -, au livre de l’historien australien Christophe Clark « Les somnambules – The sleepwalkers », traduit en Français en 2015 publié aux éditions Champs, rappelant que l’événement apparemment ponctuel de l’assassinat en juin 1914 de l’archiduc d’Autriche à Sarajevo, se dilata en une guerre mondiale.

Rappelons cependant que ces prévisions catastrophiques se réfèrent à des périodes où les rivaux n’étaient pas dotés de l’arme nucléaire dont la puissance mesurée en 1945 au Japon, est désormais, par le souvenir tragique que personne n’a oublié, un garde-fou de première grandeur contre les dérapages militaires vers les extrêmes.

Il n’en reste pas moins que, même si l’apocalypse est aujourd’hui improbable, le risque existe d’un dérapage majeur dépassant l’ampleur d’un incident ponctuel. Il est attisé par le surgissement au sein du parti unique chinois d’une pensée politique à deux volets.

Le premier réfute au « nom des caractéristiques chinoises » l’héritage démocratique pouvant menacer le magistère du parti ; le deuxième qui attise les rancœurs chinoises des humiliations subies par l’Empire au XIXe siècle, trace la route de la Chine vers la place de n°1 mondial en 2049.

Les États-Unis et l’Occident que Pékin réfute et classe dans une catégorie hostile faisant obstacle à sa puissance, sont divisés et traversés par le doute. Impressionnés par les réalisations matérielles du régime chinois dont la propagande cache soigneusement les vulnérabilités, certains sont même tentés de remettre en cause les principes des sociétés libres et démocratiques.

Par dessus tout flotte le spectre dangereux des émotions nationalistes dont le premier effet est d’obstruer les voies des solutions raisonnables. Au-delà de la propagande et des postures, un apaisement ne peut que s’articuler à la refonte d’un ordre international capable d’accommoder la compétition sino-américaine.

Mais contrairement à ce que certains envisagent en Chine comme en Occident, ses armatures ne peuvent pas reposer sur la rancœur, les rapports de force, la volonté hégémonique et l’uniformité des systèmes politiques. Dans l’immédiat, l’urgence est de mettre en place des mécanismes de concertation directe pour désamorcer les dérapages intempestifs.

Quant à la nature du régime chinois aujourd’hui obsédé par le contrôle de la société, refusant d’évoluer vers plus de droits individuels, sa rigidité politique se perpétue à ses risques et périls.

Note(s) :

[4Au total Pékin a construit 88 hangars pour chasseurs de combat – essentiellement des J-11 - (72 dans sur les 3 îles des Spratly et 16 sur Woody dans les Paracel). Le dispositif constitue un important réseau de bases d’observation radar de toute la zone et de points d’appui logistique – y compris des réserves de missiles de croisière anti-navires des modèles YJ-12B et YJ-62, à proximité d’une zone d’affrontement potentielle, alors que les réserves américaines les plus proches se trouvent à 1300 et 1400 nautiques à Okinawa et Guam.

En s’aventurant dans la zone, comme elle vient de le faire récemment avec deux porte-avions, la marine américaine étire considérablement ses lignes de communication logistiques et devient un cible pour les missiles balistiques anti-navires DF-21D guidés par les satellites du système Beidou opérationnel depuis janvier (lire : Le système de navigation Beidou 3 est opérationnel.) tirés à partir du Continent et dont la portée est de 1500 km.


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