›› Editorial
« Jusqu’à l’os ». Le féroce nettoyage politique de Chen Yixin.

Chen Yixin, 61 ans, né au Zhejiang, est le principal responsable des campagnes de rectification lancées par l’appareil. Il est un des hommes de confiance du président Xi Jinping qui l’avait connu au Zhejiang, à l’époque où il était aux commandes politiques de la province, quand Chen était n°2 du comité du Parti.
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Dans ce contexte, la priorité en politique intérieure émergeant des textes renvoie sans cesse à la sécurité du Parti et à la consolidation du pouvoir de Xi Jinping.
Le souci s’exprime par la prévalence dans les déclarations, des notions de fidélité et de loyauté 忠诚 relayées par Chen Yixin.
Secrétaire du Parti à la Commission des affaires légales, ayant parlé « d’extirper le poison en grattant l’os et en cultivant la peur », il est chargé de veiller au respect du slogan « 442 » apparu en 2018 [1] dont l’unique objet est la protection du pouvoir et de ses organes de direction contre toute contestation. Lire : Sévère campagne de rectification de l’appareil de sécurité.
La crispation intérieure se précise alors que surgissent des contestations venant du cœur même de l’appareil. La plus directe, révélant sans doute des dissensions internes à la machine politique, a été formulée à l’été 2020 par Cai Xia, ex-professeure de l’École Centrale du Parti. Exclue du Parti et réfugiée aux États-Unis, elle dénonce la dérive autocratique du n°1 qu’elle a qualifié de « chef mafieux », jugeant que le Parti tel qu’il fonctionne aujourd’hui, n’est plus une force mais un obstacle au progrès de la Chine.
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Il est vrai que la mise en œuvre des réformes qui semblent placer la loyauté politique au-dessus de l’expertise – renvoyant au vieux slogan maoïste « le rouge vaut mieux que l’expert » [2] génère quelques contradictions.
La première est l’obédience centralisée à un système léniniste vertical par nature opposé aux nécessités de plus de souplesse dans la recherche d’une meilleure consommation intérieure, dans l’innovation, dans la satisfaction des aspirations des jeunes diplômés et dans la gestion de la main d’œuvre mal formée que sont les 250 millions de migrants intérieurs.
En même temps, l’augmentation de la consommation intérieure articulée au slogan « des deux flux » entamera les ressources destinées aux investissements publics. Pour contrôler l’augmentation inéluctable des déficits budgétaires il serait nécessaire – mais ce choix est improbable - de réduire les dépenses, notamment celles de la bureaucratie du parti, de la montée en puissance militaire et du système de surveillance de la population.
Autre exigence contradictoire, dans la perspective de l’augmentation inéluctable des dépenses sociales et des charges de l’État, la Banque Mondiale note que la nécessaire augmentation de la productivité et la réduction des gaspillages ne sont pas au rendez-vous, tandis que l’harmonisation des systèmes des pension et de santé est encore loin d’avoir été menée à bien.
La lutte contre la pollution – une des priorités fréquemment rappelées par Xi Jinping – n’est pas un vain mot en Chine. Mais alors que le pays est en tête dans l’utilisation des sources d’énergie vertes, la contradiction entre l’écologie et les exigences du développement, avec en arrière-plan, l’exigence de créer chaque année 8 à 11 millions d’emplois reste entière, tandis la production d’énergie ne suffit qu’à 50% de la demande.
Dans ce contexte, la tentation du charbon dont la part (58%) dans les sources d’énergie ne baisse que lentement, est toujours présente [3]. A côté des réacteurs nucléaires (49 en service, 15 en construction, 43 planifiés), le pouvoir envisage la construction de vastes barrages dans la basse vallée du Brahmapoutre – qui gêneront l’Inde -.
Tensions avec les démocraties.

Avec la « rééducation » des Ouighour regroupés dans des camps au Xinjiang, la mise au pas de Hong Kong est un des points durs des frictions avec les pays démocratiques. Le fait que les manifestants aient brandi le drapeau américain, en signe de ralliement contre Pékin a sérieusement agacé l’appareil.
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Le rapport du 5e plenum qui, comme nombre de documents du Parti renvoyait aux difficultés de l’époque 时代的艰难, exprimait aussi des inquiétudes à propos de la situation internationale. « Le monde connaît aujourd’hui des changements majeurs inédits depuis un siècle » (…), « alors que l’environnement international devient de plus en plus complexe, l’instabilité et l’incertitude augmentent ».
Le paragraphe sur la politique étrangère se référait, entre autres, à la pandémie mondiale et à la récession économique globale ; aux relations tendues avec l’Amérique ; à la détérioration des relations avec l’Occident démocratique ; ainsi qu’aux risques accrus de « découplage » dont le pays, encore dépendant des transferts de technologies, craint l’aggravation. Lire : Avis de rupture du monde de la high-tech.
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Avec comme premier souci le renforcement de l’audience domestique de l’appareil affaiblie par les cafouillages de la bureaucratie à l’éclatement de la pandémie en janvier 2020, la vaste opération de propagande de la Chine autour de ses livraisons de masques et d’équipements médicaux, ajoutée à l’activisme des projets des nouvelles routes de la soie a, de proche en proche, provoqué des contrefeux anti-chinois dans presque tous les pays occidentaux.
Sacrifiant la « puissance douce » sur l’autel de la politique intérieure, le Parti a développé une stratégie dite du « Loup guerrier », tout en prônant sans cesse, dans ses discours, la coopération internationale à l’aune d’une gouvernance mondiale dont les références seraient chinoises.
En même temps, la pression exercée sur le modèle occidental jugé affaibli et obsolète s’est doublé d’une manœuvre de contournement par le Tiers monde dont nombre de pays ont apporté à Pékin un soutien notable en riposte aux accusations de brutalité au Xinjiang contre les Musulmans Ouïghour.
A Hong Kong où Pékin a mis fin à la spécificité des « Deux systèmes », la mouvance démocrate était sèchement mise sous le boisseau par une loi sur la sécurité interdisant les manifestations dont le premier objectif était de tuer dans l’œuf l’émergence d’une pensée séparatiste menaçant la rétrocession complète de la R.A.S en 2047.
Pour 2021, la proximité Sino-Russe, renforcée par l’hostilité commune de Moscou et Pékin envers les États-Unis et consolidée par la dépendance chinoise au gaz de Sibérie, résistera encore un temps aux agacements russes produits par la dépendance à la Chine, les empiètements chinois en Sibérie orientale et la branche arctique des nouvelles routes de la soie.
En revanche, en dépit de la signature avec l’UE d’un accord sur les investissements, assouplissant les conditions d’entrée sur le marché chinois, dont un des objectifs était d’affaiblir le lien transatlantique, l’appareil anticipe une aggravation de sa discorde avec les pays démocratiques.
Malmenées par la vaste rivalité stratégique sino-américaine, le rejet des « valeurs démocratiques » exprimé dès 2013 par la « Directive n°9 » et, récemment portées au rouge par la sévère discorde avec l’Australie à propos de l’origine de la pandémie, les relations de la Chine avec l’Occident et les pays de l’Alliance quadrilatérale – Inde, États-Unis, Japon, Corée du sud – sont au plus mal.
Mal compensées par le vaste accord de libre échange signé à la mi-novembre avec le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, la Nouvelle Zélande et les dix pays de l’ASEAN comptant pour 30% du PNB de la planète, par lequel Pékin se crée des clients obligés, mais peu d’amis, les tensions latentes persistent autour des deux points chauds de l’Asie-Pacifique que sont Taïwan et la mer de Chine du sud.
Taïwan et la mer de Chine du sud.

La dichotomie entre les discours d’apaisement chinois et les faits est sensible dans le détroit de Taïwan et en Mer de Chine où la marine chinoise patrouille pour protéger ses revendications violant les lois de la mer, en se réclamant de la paix globale. Ici “ 维护 世界 和平“.
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L’agression contre Taïwan que certains Cassandre aux États-Unis et dans l’Île anticipent, mais dont nombre voix internes en Chine soulignent les risques, n’aura peut-être jamais lieu. En tous cas, le Parti n’en prendra pas le risque au cours de l’année faste du centenaire.
En revanche, il maintiendra les pressions psychologiques, non seulement par les démonstrations de forces, les intrusions de cyberguerre et les actions de désinformation, mais également par les incitations économiques - séductions et menaces de boycott -.
Aussi longtemps que le Min Jindang sera au pouvoir, le rythme des harcèlements y compris contre le réseau diplomatique de l’Île, restera élevé. En même temps, les actions du Front Uni, chercheront à rapprocher les populations riveraines du Détroit au Fujian par des échanges commerciaux et culturels.
Les échéances de 2049 sont encore éloignées, mais le moment viendra peut-être où les puissances démocratiques et notamment les États-Unis seront confrontées au dilemme de risquer un affrontement militaire avec Pékin, ou d’abandonner les 24 millions de Taïwanais à un destin les privant de liberté. Pour Washington, le défi dépasse largement la situation dans le Détroit.
Robert Kagan le soulignait récemment tout en nuançant lui aussi l’imminence d’une agression chinoise : « Le succès d’une réunification par le biais d’une action de force, provoquerait un bouleversement stratégique d’ampleur globale ». (…)
« Le Japon, la Corée et d’autres acteurs régionaux repenseraient probablement leurs relations avec les États-Unis. (…) ; tandis que, rebattant les cartes de l’équation mondiale, une Chine ayant récupéré Taiwan serait en passe de dominer l’Asie de l’Est et le Pacifique occidental comme jamais auparavant. »
Quant à la mer de Chine du sud, grande comme la Méditerranée que Pékin revendique presqu’en totalité, elle est devenue le symbole des intentions impérialistes chinoises.
Pékin réclame même une partie des ZEE des riverains, à proximité desquelles l’APL tient garnison dans les Paracel et les Spratleys sur des îlots élargis dont elle revendique les eaux adjacentes comme ses eaux territoriales. L’ ampleur des prétentions de Pékin dont il faut rappeler qu’elles datent de 1947, à l’époque de la République de Chine de Tchang Kai-chek, suscite des réactions vigilantes de Washington, Tokyo, Séoul, Hanoï et New-Delhi.
En Europe, le Royaume Uni, la France et l’Allemagne ont commencé à joindre leurs voix aux protestations des pays asiatiques et y ont envoyé des bâtiments de guerre en patrouille.
Note(s) :
[1] Le slogan « 442 四 四 二 » se réfère aux « Quatre consciences 四个意识 – intégrité, hauteur de vue, protection du n°1 et fidélité à l’appareil - ; aux « quatre confiances 四个自信 » – dans la civilisation chinoise, la méthode du Parti, sa théorie politique des « caractéristiques chinoises » et son système centralisé, et aux « deux protections 两保护 » - de la position du Secrétaire Général et de la direction politique du Comité Central.
[2] Dans « Les habits neufs du président Mao » Simon Leys commente cette formule de la révolution culturelle. Datant de 1966. L’idée maoïste s’inspirait de la vieille notion confucéenne que « l’homme de bien ne s’abaisse pas aux questions pratiques 君子不器 ».
Mais, moins de dix années plus tard, au moment où il commençait à reprendre le contrôle de l’armée pour éliminer Lin Biao, Mao associait la critique de son ministre de la défense à celle de Confucius, fond immémorial de la pensée chinoise dans un slogan anarchique et violemment dé constructeur, dénonçant dans un même élan Lin Biao et le Vieux Maître : 批林批孔. - Pi lin Pi Kong.
[3] Fin 2020, le « mix » énergétique était : charbon 58%, pétrole : 20%, hydraulique : 8%, gaz : 8% , nucléaire : 2%, renouvelables : 5%.