›› Politique intérieure

Le 23 mai à l’Assemblée Nationale les 3000 députés qui se réunissent une fois l’an, ont acclamé debout le n°1 et le Bureau Politique qui célébrèrent la victoire sur le covid-19. Mais au-delà de la propagande, la lutte à Wuhan a révélé quelques fragilités de l’appareil mises à jour par les lanceurs d’alerte.
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Le 17 mai dernier, le Dr Zhong Nanshan, 钟南山 pneumologue de 84 ans, Directeur de l’Institut des maladies respiratoires de Canton et conseiller du gouvernement chinois dans la lutte contre l’épidémie Covid-19 donnait une interview à CNN dont certains aspects éclairent le fonctionnement interne de l’appareil politique chinois à l’origine du cafouillage initial du régime à Wuhan.
Officiellement Zhong Nanshan est connu en Chine et dans la communauté internationale comme une référence de courage et de déontologie. Il serait la conscience morale de la communauté médicale chinoise pour avoir, en 2003 contesté la ligne officielle et démontré que la maladie pulmonaire qui se développait dans la région de Canton était due à un nouveau virus, ce que le pouvoir, craignant de propager la peur, refusait d’admettre.
La vérité est cependant différente. La mémoire de cette vertueuse transparence est elle-même voilée par le poids du centralisme politique allergique à toute contestation.
Ainsi, s’il est vrai que le Dr Zhong Nanshan, avait en 2003 acquis la notoriété d’un praticien qualifié, ayant depuis Canton rendu public un traitement du SRAS contre un virus qu’il avait lui-même identifié, le véritable lanceur d’alerte que la norme politique centrale tient cependant à distance pour cause de dissidence politique, fut Jiang Yanyong, le médecin chef de l’hôpital militaire 301 à Pékin.
En 2003 déjà, la férule paralysante de l’appareil.

En juin 2003, après le scandale du SRAS, provoqué par l’opacité de l’appareil Madame Wu Yi, vice-premier ministre, surnommée par le Time « la Déesse de la transparence » a, au pied levé, pris les fonctions de Ministre de la santé en plus de celle de ministre des Affaires étrangères.
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C’est en effet Jiang qui en avril 2003 décida de rendre publique sa lettre confidentielle au Parti révélant que le nombre de malades du SRAS dans les hôpitaux de la capitale était bien plus important que les chiffres officiels.
La révélation provoqua un séisme politique et la chute du ministre de la santé de l’époque Zhang Wenkang, remplacé en catastrophe par Madame Wu Yi, alors vice-premier ministre que le Time Magazine d’avril 2004 avait surnommée « La déesse de la transparence » [1].
Dans la capitale, le maire et le secrétaire général du Parti furent démis de leurs fonctions. C’est à Wang Qishan, l’actuel vice-président qu’incomba la difficile mission d’éteindre l’incendie politique et de réparer l’image passablement abîmée de l’appareil à Pékin. Depuis, la parole publique qui admira sa vivacité, l’a affublé du sobriquet élogieux de « pompier du premier feu ».
Il reste que la personnalité du vrai lanceur d’alerte qu’était Jiang Yanyong, son caractère entier, sa posture d’adversaire politique ont fait qu’il n’a pu être coopté par l’appareil. L’absolu moral, même exemplaire, reste subordonné à l’approbation du parti. Ne pouvant être porté par un opposant, il doit céder le pas à la norme politique.
Jiang, une dérangeante obsession de vérité.

Jiang Yanyong, en 2003 quand il était à la tête de l’hôpital militaire 301, d’où il dénonça les mensonges de l’appareil.
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Le problème avec Jiang (88 ans) c’est en effet que, contrairement au très consensuel Dr Zhong, il s’était toujours élevé, et aujourd’hui encore, contre la manipulation de l’information et plus largement contre le système politique lui-même.
14 ans plus tôt, il avait d’autant plus fustigé la répression violente du 4 juin 1989 à Tian An Men, qu’à l’hôpital, son équipe de chirurgiens avait soigné les étudiants victimes de la fusillade. « Cette nuit là, en 2 heures de temps, mes services d’urgence avaient reçu 89 blessés par balles (…) En Chine, la grande majorité des gens que je connaissais savaient que la répression des étudiants était une erreur. Mais la pression exercée par le Parti les avaient dissuadés de protester ».
Après le scandale de 2003, Jiang qui continue de répéter que « pour un médecin la moindre des choses est de dire la vérité », a continué à réclamer que l’appareil reconnaisse l’erreur de Tian An Men. Non seulement, le Parti ne l’a pas fait, mais il a effacé l’épisode de la mémoire des livres d’histoire, tandis qu’il harcèle Jiang soumis à des séances de lavage de cerveau. Relâché en 2004 après 45 jours de détention, il fut à nouveau été arrêté en 2005.
Depuis avril 2019, l’inflexible docteur, ayant le rang de Général dans le service de santé de l’APL, est en résidence surveillée, isolé et privé de voir sa famille. Malade, il a été hospitalisé à l’hôpital 301, là même, d’où, il y a quatre décennies, une nuit de juin 1989, il avait commencé son combat contre le mensonge.
Note(s) :
[1] On le voit, l’exigence de transparence traverse le temps et les cultures. En baptisant ainsi Wu YI, Le Time, par contraste, pointait du doigt l’opacité de l’appareil. Mais il manquait une importante partie de l’image.
En cette Chine encore très patriarcale du début du XXe siècle Wu Yi, une des personnalités les plus aimées des Chinois et très respectée par les étrangers, symbolisait bien plus que la transparence. Dans les campagnes très religieuses - superstitieuses disent les communistes -, où pèse malgré l’athéisme ambiant l’influence bouddhiste partie des croyances syncrétiques, les paysans voyaient en elle la réincarnation de Guanyin, la déesse de la miséricorde.