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L’Iran, enjeu historique du défi chinois à Washington

En Iran, quinze mois après l’assassinat à Bagdad par un tir de drone américain du général Soleimani du « corps des gardiens de la révolution islamique » et une semaine après les échauffourées verbales de la rencontre d’Anchorage avec Washington, Pékin s’est engouffré dans la brèche des défiances entre le régime des Mollahs, l’Occident et les États-Unis.

Le ministre des Affaires étrangères Wang Yi était attendu par Javad Zarif, son homologue iranien qui lui a déroulé le tapis rouge.

Pour Pékin, flirtant depuis de longues années avec le régime religieux en quête du nucléaire militaire, l’opportunité qui couvait depuis les années 90 avec des hauts et des bas [1], a été précipitée par le raidissement de D. Trump quand, en mai 2018, il décida d’abandonner le « compromis nucléaire – Joint Comprehensive Plan of Action – JCPOA - » signé à Vienne, en juillet 2015 avec les P5 et l’Union Européenne.

En réalité la perspective de « l’alliance anti-américaine des jumeaux totalitaires » (selon l’expression de Brian Hooks, Représentant Spécial des États-Unis pour l’Iran.) inscrite depuis vingt ans dans la trajectoire stratégique chinoise de résistance à l’Amérique était en gestation depuis la visite de Xi Jinping à Téhéran le 23 janvier 2016. Lire : La Chine peut-elle contourner l’Amérique par l’Iran ?

Elle se concrétise aujourd’hui alors que Téhéran dont l’économie est durement touchée par les sanctions, vient tout juste de rejeter le tête-à-queue de la Maison Blanche offrant à l’Iran de reprendre les négociations sur l’accord nucléaire que son prédécesseur avait piétiné.

Mais, le refus de l’Iran n’était pas qu’un simple mouvement d’humeur.

La proposition de Washington avancée par Antony Blinken, le nouveau secrétaire d’État, comportait en effet une extension de l’accord de 2015, visant à mieux contrôler le développement de l’arsenal balistique iranien et à stopper l’appui apporté par Téhéran à Bashar-el-Assad et aux groupes terroristes opérant en Syrie.

La porte fermée à Biden contrastait avec l’accueil réservé à la Chine un mois plus tard.

Téhéran- Pékin un accord « stratégique. »

Le 26 mars, lors de sa conférence de presse, la porte-parole Hua Chunying commentait l’événement en évoquant l’opportunité offerte par la Chine à toute la région de « sortir du chaos provoqué par la rivalité géopolitique des grandes puissances et à se développer hors des pressions et des interférences extérieures, selon des voies adaptées aux réalités de la région ». Elle ajoutait que « la stabilité durable ne pouvait résulter que de la prise en compte de soucis de sécurité légitimes de toutes les parties ».

Contre un accès préférentiel à prix cassés aux hydrocarbures iraniens, le document signé par les deux promet 400 Mds de $ d’investissements chinois sur 25 ans dans une douzaine de secteurs dont le système financier, les télécoms, les installations portuaires, le réseau ferré, la santé et les nouvelles technologies de l’information.

Dans un très clair défi lancé à Washington, le préambule de l’accord décrit le rapprochement comme le « partenariat stratégique de deux anciennes cultures asiatiques [2] à la vision du monde identique et partageant les mêmes soucis de sécurité ».

Mais au-delà de cette déclaration d’opportunité, la réalité est que, par cette prise de position à rebours de la culture agnostique du régime, prenant le contrepied des injonctions de prudence stratégique de Deng Xiaoping, Pékin se place aux côtés d’une puissance théocratique au cœur des tensions de l’Islam entre Chiites et Sunnites.

Lui-même aux prises avec de sévères menaces terroristes, l’Iran est en même temps accusé par Israël et les États-Unis d’être le soutien actif, financier et militaire du Hezbollah. Enfin, depuis les années 70, l’Iran, épisodiquement protégé par la Chine, aux NU, est ciblé par les Occidentaux et les 4 autres membres permanents de porter un important risque de prolifération nucléaire militaire.

La fausse manœuvre de D. Trump.

Alors qu’à partir de 2012, des négociations organisées à Bagdad, Istanbul puis Almaty conduisirent aux accords historiques de 2015 entre les P5+1 avec Téhéran, destinés à mieux contrôler le programme nucléaire militaire du pays en échange d’un allègement des sanctions, l’administration Trump, dénonçant à la fois la persistance de la menace missiles et les risques toujours présents de prolifération, a sévèrement augmenté les sanctions contre Téhéran.

Créant clairement une opportunité pour les investissements chinois, Washington a aussi exercé des pressions sur les entreprises continuant à investir en Iran, dont certaines comme en 2018 le Français Total, avaient préféré jeter l’éponge. Mais l’augmentation des coercitions américaines fut une fausse manœuvre. Non seulement elle a laissé le champ libre aux projets chinois, mais elle a aussi provoqué une réaction d’orgueil du régime soutenu par sa population.

Dès janvier 2020, il est devenu évident que Téhéran avait repris son programme d’enrichissement et augmenté ses stocks d’uranium enrichi dont la quantité a atteint trois tonnes en février 2021, soit, selon une note de l’International Crisis Group, quatorze fois la limite autorisée par l’accord de 2015.

Et les hésitations contradictoires de Biden.

A la rédaction de cette note, la question iranienne qui fermente depuis plus de vingt ans entre Pékin et Washington était, avec la mer de Chine du sud et Taïwan, devenue un des enjeux les plus sensibles de la rivalité sino-américaine. En février, Téhéran rejetait une proposition de l’UE de reprendre les négociations avec Washington mais sans lever les sanctions.

Il n’est pas certain que dans l’état actuel de ses relations avec l’UE et Washington, Pékin accepte de s’entremettre, alors que l’augmentation significative des importations chinoises de pétrole iranien ayant atteint le chiffre record de 480 000 barils/jour en février dernier, affaiblit sa position d’arbitre.

La proximité entre Téhéran et Pékin est encore renforcée par le fait qu’en défiant Washington, la Chine émousse très efficacement la portée des sanctions, tandis que l’élection de Biden crée un espoir. Selon un témoin de « nombreux groupes industriels ne sont plus aussi effrayés par les sanctions depuis l’élection de Jo Biden.

Dès le 17 mars, piqué au vif et adoptant la rhétorique de Donald Trump, l’administration Biden dessinait la perspective d’une augmentation des sanctions. En même temps, elle accusait Téhéran d’être le sponsor du terrorisme et un vecteur de la prolifération globale. Mais, signe que les options américaines d’un apaisement restaient ouvertes, Washington répétait en même temps que son objectif était d’aller vers un allégement des sanctions.

Note(s) :

[2S’il est exact que la Perse est un pays d’Asie Mineure, elle n’est aussi simplement pas « asiatique » au sens où l’entend le président chinois. Après la conquête arabe, et l’emprise de l’Islam, les vieilles relations entre la Perse et la Chine sont marquées par des hauts et des bas.

Lire les racine complexes de la culture iranienne par Henri Massé, orientaliste qui fut professeur de littératures arabe et persane à Alger puis à l’Inalco : Une histoire deux fois millénaire


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