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Après la dénonciation par D. Trump de l’accord sur le nucléaire iranien, Pékin dont les relations avec Téhéran contribuèrent dans les années 90 à renforcer le programme nucléaire et missile iranien, saisit l’opportunité d’affirmer sa capacité à défier Washington. En même temps, Xi Jinping engage la Chine sur un terrain où, en dépit des déclarations vertueuses, le camp occidental reste divisé.
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Récemment la presse internationale est revenue sur l’accord en gestation entre Pékin et Téhéran, insistant le plus souvent sur le contournement des sanctions américaines. Le 11 juillet dernier, le New-York Times titrait « Défiant les États-Unis, la Chine et l’Iran se rapprochent d’un accord commercial et d’un partenariat militaire ».
L’analyse s’appuyait sur un projet d’accord bilatéral en persan de 18 pages que les auteurs disent avoir obtenu du pouvoir iranien. La genèse remonte au 23 janvier 2016, quand Xi Jinping en visite officielle à Téhéran avait proposé aux Ayatollahs une augmentation substantielle de la coopération bilatérale. Ce n’était pas la première fois que la Chine faisait cause commune avec Téhéran.
Dans les années 90, Pékin s’était lancé dans des coopérations sensibles qui favorisèrent le programme nucléaire iranien, aujourd’hui au cœur des vindictes de Washington. L’agilité diplomatique chinoise atteignit cependant ses limites quand Washington accusa Pékin de soutenir le vaste programme missiles iranien (Sol-sol, sol-air et anti-navires) et surtout de favoriser avec la Russie la poursuite d’un programme nucléaire militaire.
Le 31 juillet 2006 (résolution 1696) après s’y être longtemps opposée par son veto, alors même qu’elle était montrée du doigt par l’AEIA, la Chine renonça à sa coopération nucléaire avec Téhéran et accepta de s’associer aux résolutions onusiennes (ou de ne pas les bloquer).
La suite est connue. Au fil de la montée en puissance de la Chine et des défis qu’elle pose à l’Amérique, elle conduit droit à la crise actuelle, dont l’affaire iranienne n’est qu’un aspect.
L’alliance anti-américaine des « jumeaux totalitaires [1] »

Quel que soit l’angle de vue, le rapprochement entre un pays théocratique historiquement impliqué dans le terrorisme shiite international, appui inconditionnel du Hezbollah, État dans l’État au Liban, et la puissance montante de la Chine agnostique et affairiste devenue le rival global des États-Unis, dessine un opportunisme stratégique d’autant plus délétère qu’il s’alimente de la haine de Washington. Il n ‘est pas certain qu’à Pékin tout le monde soit à l’aise avec cette évolution violemment émotionnelle. Nombre de stratèges chinois considèrent en effet toujours qu’en dépit des actuelles tensions, le point clé des relations internationales repose toujours sur un modus-vivendi négocié avec les États-Unis.
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Le 8 mai 2018, sous la réprobation générale, notamment d’Emmanuel Macron, d’Angela Merkel, de Valdimir Poutine, de l’Union européenne et de l’ONU, mais aux exceptions notables d’Israël et de l’Arabie Saoudite, D. Trump dénonçait l’accord sur le développement du nucléaire civil signé en 2015 après douze années de négociation entre la « communauté internationale » et Téhéran dont le but était de mettre progressivement fin aux sanctions qui frappaient l’Iran.
Six mois plus tard, Total, effrayé par les menaces de sanctions américaines, abandonnait en rase campagne ses parts (50,1%) dans la JV avec CNPC en Iran, laissant à son partenaire, le n°1 chinois des hydrocarbures, le champ libre de l’exploration et de l’exploitation pétrolière au pays des Ayatollahs.
Le 25 août 2019, Javad Zarif était en visite à Pékin, (la 3e en seulement une année) et le 5 juillet dernier il confirmait que l’Iran négociait un accord avec la Chine pour une durée de 25 ans dont la teneur avait été approuvée par le gouvernement en juin dernier. L’arrière-plan de l’accord est cependant extrêmement délétère au milieu de relations internationales délabrées.
Alors que les relations sino-américaines tombaient violemment en déshérence, l’Ayatollah Khameini renouvelait sa promesse de venger l’assassinat du Général Qassem Soleimani par un tir de drone devant l’aéroport de Bagdad le 3 janvier 2019, dessinant un rapprochement avec Pékin clairement fondé sur la haine de Washington .
La mise en scène par le régime religieux de la phobie anti-américaine destinée à l’opinion publique va loin. Le 27 juillet des images satellites révélaient que Téhéran avait fait tracter une réplique d’un porte-avions américain dans le détroit d’Ormuz pour servir de cible aux entraînements de tir de la marine iranienne.
Infrastructures, télécoms, finance et base militaire.

La carte a été établie à l’été 2019, au moment où se multipliaient les attaques contre les pétroliers – que le Pentagone attribue à Téhéran -, dont 4, le 12 mai (2 Saoudiens, un Émirati et un norvégien) et 2 autres le 13 juin (un norvégien et un japonais). Pour Washington la sensibilité de la zone a encore augmenté depuis que flotte l’information de l’installation d’une base militaire chinoise à l’entrée de la mer d’Oman, au port iranien de Bandar-é-Jask, à 400 nautiques à l’est du PC de la 5e flotte américaine, à Bahreïn.
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Selon le New York Times, l’accord qui comporte une centaine de projets pour un investissement de 400 Mds de $ « élargirait considérablement la présence chinoise dans le secteur bancaire, dans les télécoms, les ports et les voies ferrées. En échange, la Chine bénéficierait d’importantes réductions sur le prix du pétrole iranien durant les 25 ans à venir ». (…)
Plus encore, le document fait état d’un approfondissement de la coopération militaire, avec non seulement les classiques exercices conjoints, mais aussi des échanges de renseignements et des recherches partagées sur les armements de pointe.
Enfin, et peut-être est-ce là un des plus gros soucis du Pentagone, les documents font état de l’attribution à la marine chinoise de facilités portuaires le long de la mer d’Oman. L’une d’entre elles serait située à Bandar-é-Jask, au débouché du golfe persique, à 400 nautiques à l’est du commandement de la 5e flotte américaine basé à Bahreïn.
Si l’information était vérifiée, elle ne ferait que confirmer le radical changement de concept de Pékin qui, avant l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, affirmait ne pas vouloir répliquer le système de forces prépositionnées de Washington.
Aujourd’hui, cité par Mathieu Duchatel dans une publication en ligne de l’Institut Montaigne, de juin 2019, les chercheurs militaires chinois affirment que « pour protéger ses intérêts à l’étranger, la Chine établira progressivement un système de bases logistiques 后勤保障的网络体系 au Pakistan, au Emirats, au Sri Lanka, au Myanmar, à Singapour, en Indonésie et au Kenya (la liste n’est pas close) ».
Dans cette région hautement sensible du Golfe, Pékin disposera d’un réseau de trois bases, à Djibouti dans la corne de l’Afrique, à Gwadar au Pakistan et à Jask en Iran.
Alors que la mise en œuvre du projet iranien restera à vérifier, une chose est sûre. Le document préparé alors que Pékin et Téhéran sont animés de profonds ressentiments à l’égard des États-Unis, exprime leur volonté conjointe de dresser un front commun où transparaît l’insistance de Xi Jinping à accorder la prévalence aux différences culturelles.
En écho aux « caractéristiques chinoises », pensée centrale du 19e Congrès par laquelle Pékin s’autorise la transgression du droit international, notamment en mer de Chine du sud, une des phrases du projet mentionne expressément que l’Iran et la Chine expriment « deux cultures asiatiques ».
Par-là, – renvoyant en contrepoint au vieux débat sur les « valeurs asiatiques » - le document laisse entendre que la gouvernance mondiale ne saurait s’inspirer de règles uniques.
Note(s) :
[1] L’expression est de Brian Hooks, Représentant Spécial des Etats-Unis pour l’Iran.