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La « casuistique » jésuite à l’œuvre en Chine

Ceux qui s’intéressent à la situation de l’Eglise catholique en Chine et aux blocages avec le Vatican après une série d’incidents dramatiques en 1950 et 1951 (persécutions et exécution de prêtres accusés d’espionnage et de tentative d’assassinat de Mao) qui finirent par le renvoi des légataires du Pape et la rupture diplomatique, n’auront pas manqué de réfléchir aux conséquences de l’avènement du premier Souverain Pontife de l’histoire issu des Jésuites.

La cause en est bien sûr qu’avant de se fracasser sur la « querelle des rites » - 1705 – 1744 [1], la Compagnie de Jésus a une histoire édifiante en Chine et que sa tradition cultive une réputation de subtilité intellectuelle et de pragmatisme.

Rompus à une pratique pédagogique articulée à liberté d’appréciation individuelle et à la conscience de la complexité de chaque cas particulier - d’où le terme de « casuistique » - , les Jésuites, à la suite de Mateo Ricci arrivé en Chine par Macao en 1582, réussirent à s’introduire dans les cercles confucéens proches du trône pour avancer la cause de l’église catholique dans le vieil Empire

Grâce à leur savoir et à l’étude de la langue chinoise, portant le projet improbable de convertir les « Fils du Ciel » par « la tête », par l’éclectisme de leur enseignement en mathématiques et en astronomie, ils se firent admettre d’abord à la Cour des Ming puis, après 1644, à celle des Qing.

Surtout, malgré les critiques des autres congrégations, ils autorisèrent les fidèles chinois à incorporer le culte des ancêtres, la piété filiale et la célébration de Confucius dans le dogme catholique. L’accommodement qui était le produit de leur pragmatisme casuistique, fut à la fois un des moteurs de leur succès populaire et la cause de leurs déboires.

La Bulle du Pape Benoît XIV interdisant l’adaptation des dogmes catholiques à la culture chinoise fut perçue par la bureaucratie impériale comme une humiliante ingérence. Au point qu’ulcéré, l’empereur Yongzhen (雍正, 1722 - 1735) fils de Kangxi (康熙 1661 - 1722) expulsa tous les missionnaires de la Cour.

Aujourd’hui, presque trois siècles plus tard, avec cependant son objet ayant glissé des rites à la nomination des évêques, la question de l’ingérence est encore au cœur de la querelle entre le Vatican et Pékin.

Le climat change.

Jusqu’à l’élection du Pape François, l’inflexibilité du Vatican n’avait pas évolué d’un iota, considérant que la nomination des évêques était de son ressort, tandis que Pékin insistait pour contrôler la hiérarchie catholique chinoise dans le contexte irritant pour le régime de la prolifération d’une église catholique dissidente.

Ces dernières années plusieurs incidents, analysés par Questionchine en 2014 à l’occasion de la visite du pape en Corée, témoignèrent que la brouille restait vive et les positions rigides, Pékin continuant à soumettre le rétablissement des liens diplomatiques à la « non ingérence » du Vatican dans la nomination des évêques et à la rupture avec Taipei en gage de la « reconnaissance d’une seule Chine ».

Lire : Le Pape François en Corée. Retour sur les relations entre le Vatican et la Chine.

Mais depuis quelque temps, la souplesse « casuistique » du Pape jésuite semble vouloir faire bouger les lignes.

Depuis son avènement, il a publiquement exprimé son souhait de se rendre en Chine pour améliorer les relations. En août 2014, alors à bord de son avion en route vers Séoul, traversant l’espace aérien de Pékin, il avait adressé un message d’amitié au peuple chinois.

Dans un ouvrage en 2 volumes « The catholic church in Taïwan » - publié en 2018 à New-York par les éditions anglaises Palgrave Macmillan – qui analyse le développement du catholicisme dans l’Île, l’auteur, sœur Béatrice Leung Kit-fun, professeur de sciences politiques à l’Université des langues Wenzao des ursulines à Kaohsiung, considère que, tôt ou tard, Pékin et le Vatican établiront des relations diplomatiques même si, à Rome, chacun a bien conscience de la difficulté de rapatrier le nonce apostolique sur le Continent sans heurter les Taïwanais.

Signe de la difficulté de la manœuvre et de la sensibilité de la question à Taïwan, Sœur Leung suggère, non sans naïveté, que, quand le moment du rapprochement entre Pékin et le Vatican sera venu, le discours officiel et les médias évitent de parler de « rupture », pour « ménager l’angoisse de l’opinion publique dans l’Île ».

L’accent, dit-elle, devrait au contraire être mis sur l’approfondissement des relations culturelles avec Taiwan, académiques et religieuses qui, selon elle, seront les meilleurs vecteurs de la propagation du catholicisme dont la pratique dans l’Île est en recul de 20% tombée de 290 000 fidèles en 2008 à 230 000 en 2014.

Note(s) :

[1Ces deux dates marquent le durcissement sur le terrain en Chine d’une controverse qui durait depuis 1634 au sein de l’Eglise entre, d’une part les Jésuites partisans de l’accommodation des dogmes aux coutumes indigènes – en l’occurrence en Chine le culte des ancêtres – et, d’autre part, les Franciscains et les Dominicains qui accusaient la Compagnie de Jésus de favoriser un retour au paganisme. En 1704, le Pape Clément XI prononce une première interdiction et en 1744 une Bulle du Pape Benoît XIV proscrit définitivement tout ajustement des rites aux coutumes locales.


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