›› Editorial

Alors que la Chine a toujours appelé à l’approfondissement des contacts avec l’Union Européenne, leur relation est, depuis l’apparition de la pandémie, tombée au niveau le plus bas depuis 45 ans. Le sommet annuel en vidéo-conférence du 22 juin dernier a rappelé les divergences irréconciliables sur la question de Hong Kong, les cyber-intrusions, la mer de Chine du sud les droits de l’homme, le déséquilibre des échanges et l’accord sur les investissements en négociation depuis 2014. Après les congratulations de la COP 21, les espoirs pour une coopération sur le climat sont retombés, presqu’uniquement réduits à des intentions. Même les échanges pour un vaccin Covid-19 ne sont pas à la hauteur des déclarations.
*
Jamais Pékin n’a considéré l’Europe comme une puissance. François Heisbourg explique qu’elle est géopolitiquement « incomplète » (« Le temps des prédateurs, la Chine, les États-Unis la Russie et nous » Odile Jacob, 2020), non seulement incapable de choisir ses amis et ses ennemis, mais aussi divisée, hésitante et fragilisée par le Brexit.
La Chine la voit uniquement comme un partenaire commercial, la première destination de ses investissements extérieurs à hauteur de plus de 12 Mds d’€ et, surtout, comme la première source de transferts de technologies nécessaires à sa modernisation.
En dépit des livres blancs sur les relations bilatérales édités par le Conseil des Affaires d’État en 2003 et 2014, marqués par un fort idéalisme et malgré les déclarations communes de 2013 et 2016, les rapports entre les deux restèrent heurtés par les différends politiques, tels que les droits de l’homme au Tibet exacerbés en 2008 et la persistance des différends autour du statut d’économie de marché que Bruxelles refuse toujours d’accorder à la Chine.
En arrière-plan, Pékin garde en mémoire l’irritant embargo européen sur les ventes d’armes. Infligé par Bruxelles après Tian An Men, il y a déjà plus de 30 ans, il reste suspendu au-dessus de la relation comme le signe d’une défiance politique.
Rivalité systémique. Fragilité de l’Europe et défiance chinoise.

Depuis 2017, l’UE développe une approche moins complaisante à l’égard de la Chine. Elle a poussé à une meilleure coordination sur les questions économiques, y compris les IDE, les aides d’État et les captations de technologie. Non seulement la Commission européenne a créé un nouveau mécanisme de filtrage des IDE, qui sera opérationnel en octobre, mais elle a également publié des lignes directrices sur la technologie 5G et un livre blanc sur les subventions étrangères. En outre, elle a lancé une stratégie de coopération intra-européenne visant à offrir une alternative européenne aux Nouvelles Routes de la Soie. Enfin, à la mi-mai, Josep Borrell, le chef de la diplomatie de Bruxelles publiait article dans plusieurs journaux européens caractérisant la Chine comme un « partenaire », mais appelait les 27 à une meilleure cohésion prévenant que la Chine pourrait chercher à tirer parti des divergences.
*
Après la crise économique qui frappa l’Europe en 2008 – 2009, suivi de l’accession au pouvoir de Xi Jinping en 2012, rejetant les « valeurs universelles » et les ingérences occidentales, bien décidé à ne plus accepter les critiques contre système politique chinois, le ton de la relation changea, tandis que la secousse politique du départ du Royaume Uni affaiblit brutalement le discours sur l’unité de l’Europe.
En même temps le départ de Londres vers le grand large détruisit en partie l’autorité politique de l’Union et, compte tenu de la richesse de l’enseignement supérieur et de la recherche britanniques, son attractivité intellectuelle et technologique.
Enfin, la naissance à l’Est et au Centre de l’Union d’un groupe politiquement dissident aux valeurs démocratiques moins affirmées avec qui la Chine, contournant Bruxelles, a entamé des relations économiques substantielles, conforte l’actuelle direction chinoise dans sa vision de l’Europe « ventre mou » stratégique de l’Occident.
Mais le rapprochement de Pékin avec l’Italie, la Grèce, le Portugal et seize pays d’Europe Centrale et Orientale (« groupe de Visegrad », États balkaniques, Pays Baltes) dont onze sont membres de l’UE, parfois critiques de la rigidité budgétaire de la Commission a allumé un contrefeu à Bruxelles et provoqué un frémissement stratégique de défiance envers la Chine.
La pandémie qui révéla à la fois le dysfonctionnement du système politique chinois engoncé dans la rigidité verticale d’un système léniniste ayant caché l’ampleur et la virulence des contagions à Wuhan en janvier dernier, suivi par une stratégie planétaire de désinformation et d’autopromotion du régime accéléra le reflux des élans européens de coopération.
Ces derniers n’ont cependant pas disparu. D’abord en France et en Allemagne où survit l’idée que Bruxelles peut installer avec la Chine des échanges plus apaisés que les tensions extrêmes de la relation sino-américaine partie en vrille. Ensuite au cœur même de l’Union où, depuis le port du Pirée contrôlé par les capitaux de COSCO et devenu le 2e port européen, les cargos chinois ont multiplié par 10 les flux commerciaux vers le cœur de l’Europe. (lire : En Grèce et au Brésil, Pékin donne le ton.).
Mais, dit François Godement, « Même si l’Union européenne persiste à dire qu’il peut y avoir un partenariat avec Pékin, les illusions de convergence et de réciprocité, assez fortes il y a douze ou treize ans, se sont dissipées ». De fait en mars 2019, à Paris, Angela Merkel, J.C. Junker et E. Macron, signifièrent à Xi Jinping qu’ils considéraient Pékin comme un « rival systémique » (lire : Face à Pékin, la solidarité hésitante de l’Europe.).
A la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), Valérie Niquet, est plus radicale : « Xi Jinping a réussi à saborder la relation avec les États-Unis, avec l’Afrique, avec l’Asie du Sud-Est et avec l’Europe, dont le grand partenaire français. La stratégie de dénigrement et de division portée par la Chine est allée trop loin. Aujourd’hui tout le monde se rend compte de la folie du système chinois, dont le soutien à certains pays de l’UE qui ne repose que sur l’intérêt financier, est très fragile ».
Du coup surgissent comme aux États-Unis des idées de « découplage » de la relation économique, encore attisées par le sentiment de vulnérabilité industrielle né de la crise.
Depuis l’Italie, Federico Brembati, auteur en 2016, d’un ouvrage sur les risques et les opportunités des « Nouvelles routes de la soie » s’interroge sur la possibilité que l’Europe puisse « s’émanciper de la Chine » (Traduit par Alexis Payette, l’article est paru dans Asialyst).
Au moment où le 1er juillet Angela Merkel partenaire privilégiée mais ambigu de Pékin (lire : Chine – Allemagne – Europe. Le grand malentendu.) a pris pour six mois la présidence de l’Union, la relation entre Pékin et Bruxelles semble durablement ébranlée. Même s’il est improbable que l’Union Européenne parvienne à se passer du marché chinois, il faut s’attendre à un recul des investissements directs.