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›› Editorial

Large victoire de Tsai Ing-wen. L’indépendance mise en sommeil. Pékin réagit avec placidité

Le 16 janvier 2016, Tsai Ing-wen a été élue présidente de la République de Chine avec 56,1% des suffrages exprimés contre 31% à son rival Eric Chu. Elle prendra ses fonctions le 20 mai. Son parti, le DPP a également obtenu la majorité absolue au Yuan législatif avec 68 sièges contre seulement 35 au KMT.

Après huit années d’absence, le parti pour le progrès démocratique est revenu au pouvoir, infligeant au KMT la plus lourde défaite de son histoire. Quel que soit l’angle de vue, la très nette victoire aux présidentielles taïwanaises du 16 janvier d’une femme politique native de l’Île, se réclamant de la double origine ethnique aborigène et Hakka (Chinois Han, arrivés dans l’Île à partir du XVIe siècle), et portant un message de séparation politique et identitaire avec le Continent, constitue un événement de première importance.

Après la première expérience heurtée de l’indépendantiste radical Chen Shui-bian, avocat et militant anti-KMT des années 70 – 80, aujourd’hui libéré pour raisons de santé de la prison de Taipei où il purgeait une peine de 19 ans pour corruption, la franche victoire [1], de Tsai Ing-wen se double d’un événement capital, première historique, impossible à sous estimer : la prise de contrôle sans partage par son parti du Yuan Législatif où, parallèlement au scrutin présidentiel, sa formation a réussi à conquérir la majorité absolue avec 68 sièges sur 113 contre seulement 35 au KMT [2].

Diplômée d’économie de la London School of Economics et présidente d’un Parti ayant très nettement adouci son message séparatiste par rapport à celui de Chen Shui-bian, Tsai récolte les fruits d’une connivence étroite avec l’électorat, à la fois très attaché à l’identité politique de l’Île, mais hostile aux provocations directes contre la Chine, porteuses de risques.

Signe que la prudence manifestée par Tsai dans ses relations avec le Continent répondait à un souhait profond des électeurs, le DPP a obtenu la majorité des voix sans l’aide des partis de l’alliance des verts, tandis que le parti indépendantiste radical fondé par l’ancien président Lee Teng-hui n’a obtenu aucun siège au Yuan législatif.

Autre événement d’importance qui signale un glissement des plaques tectoniques politiques de l’Île en faveur de la jeunesse, le mouvement de la Nouvelle Force (時代 力量 shidai liliang) né de la contestation étudiante dite du « Tournesol » qui avait bloqué l’adoption de l’accord cadre sur les services avec le Continent en mars 2014 (lire notre article Taïwan : Craquements politiques dans l’accord cadre. Les stratégies chinoises en question), a obtenu 5 sièges, soit 2 de plus que le parti du peuple de James Soong allié au KMT.

Le fait que son parti ait été devancé par une force politique née il y a à peine un an, constitue un important revers pour le vieux militant originaire du Hunan, fils d’un général loyal à Tchang Kai-chek et ancien interprète d’Anglais du président Jiang Jingguo, le fils du Maréchal.

Enfin, pour terminer le coup de projecteur sur les législatives et le scrutin du 16 janvier – où le nombre des abstentions était en augmentation [3], l’Union solidaire des non partisans (無 當團結聯盟) et les non inscrits n’ont chacun obtenu qu’un seul siège, un résultat qui contredit la crainte de l’éparpillement des voix et renforce la force symbolique de la victoire de Tsai.

Un raz-de-marée.

Sur les 22 circonscriptions territoriales ou municipalités, le DPP en a remporté 18, avec des pourcentages record supérieurs à 60% dans 6 circonscriptions (Yilan 62,06%, Yunlin 63,40%, Chiayi 65,37%, Tainan 67,51%, Kaohsiung 63,39%). Après le 16 janvier, la carte électorale de l’Île s’est uniformément teintée de vert dans la partie occidentale la plus peuplée. Le KMT ne conserve des positions fortes que dans les circonscriptions de Taitung (44,6%), Hualien (47,72%), Kinmen (66,09%), Lianchiang (68,59%). Même dans son fief du Nouveau Taipei dont il était le maire, Eric Chu a subi un revers puisque le DPP a totalisé 51,9% des voix contre seulement 37,49% au KMT.

Battue aux élections présidentielles de 2012, Tsai a retenu la leçon et labouré le sillon politique étroit et ambigu de l’affirmation identitaire et de la souveraineté de l’Île, refusant de reconnaître formellement le « consensus de 1992 » sur « l’existence d’une seule Chine », tout en rassurant le Parti Communiste et ses électeurs auxquels elle a garanti de ne pas bousculer le statuquo.

Après l’annonce de son succès, elle a, dans son premier discours de présidente élue qui prendra ses fonctions le 20 mai, réaffirmé avec force les fondements démocratiques de l’Île et promis aux Taïwanais « plus de transparence et d’attention aux attentes de la société civile ». Reconnaissant les obstacles à venir sur la route des réformes, elle s’est engagée à moderniser l’Île, à rénover les infrastructures et à réparer les « erreurs politiques du passé », sans cependant élaborer sur leur nature.

Tsai place la Chine face à ses responsabilités.

La dernière partie de son discours qui n’a pas mentionné une seule fois l’indépendance, s’adressait au régime de Pékin. Après avoir répété qu’elle ne remettrait pas en cause les bénéfices de l’accord cadre de 2010 dont elle fera le fondement des relations dans le Détroit, respectant en cela le vœu de la majorité des Taïwanais animés par le désir de paix et de stabilité dans la zone, Tsai Ing-wen a mis le Politburo chinois face à sa part de responsabilité dans le maintien de la paix.

Pour la nouvelle présidente, la stabilité ne serait garantie que si les deux rives s’appliquaient à des relations basées sur la dignité, la réciprocité et la reconnaissance de l’autre. La Chine, a t-elle affirmé, se devait de respecter la volonté des 23 millions de Taïwanais de vivre dans un système démocratique, ayant une identité propre et disposant d’une marge de manœuvre internationale.

Toute tentative pour supprimer ces caractéristiques originales constituerait une menace pour la stabilité de la relation. Face à cette prise de position, la réaction du Parti Communiste Chinois a été remarquablement modérée comparée aux violentes critiques adressées à l’Île en 2000, lors de l’élection de Chen Sui-bian.

Note(s) :

[156,1% des suffrages exprimés contre 31% à son rival Eric Chu (tous les chiffres sur les résultats du scrutin sont issus de la Commission électorale nationale centrale – CENC -)

[2Sur les 113 sièges, 73 sont attachés aux circonscriptions géographiques des districts, 6 sont désignés pour représenter les populations aborigènes, premiers habitants de l’Île avant l’arrivée des migrants Han au XVIIe siècle. Les 34 autres sièges sont attribués aux partis sans lien géographique en fonction du nombre de voix obtenu par chaque formation politique. Les députés sont désignés en fonction de leur positionnement sur une liste soumise au CENC avant le scrutin.

[3La participation au scrutin a été de 66,27%, la plus faible depuis 1996.


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