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Le psychodrame de la chasse aux ballons espions chinois

Dans une situation où dominent les émotions et la peur de l’autre montées en épingle, où le moindre incident est, pour des raisons de politique intérieure en Chine comme aux États-Unis, considéré comme une « provocation » et un risque majeur de «  sécurité nationale  », l’incident récent de la destruction par la chasse américaine d’un ballon dont la menace réelle avait pourtant été sérieusement relativisée par au moins un haut-responsable militaire américain, quand des parlementaires qui furent plus agressifs, le désignaient comme « une dangereuse activité d’espionnage  », en dit long sur le très mauvais état de la relation sino-américaine.

Le comble est que le psychodrame commenté par nombre de médias occidentaux sur un mode alarmiste, a provoqué l’annulation de la mission en Chine du secrétaire d’État Antony Blinken prévue le 5 et le 6 février.

Après les extrêmes tensions attisées par la visite de Nancy Pelosi à Taïwan début août 2022, première visite à ce niveau d’un responsable américain en Chine depuis 2018, la visite avait, selon la Maison Blanche, pour but de « replacer la relation bilatérale sur les rails », dans la foulée de la rencontre étonnement conviviale à Bali, entre Joe Biden et Xi Jinping, le 14 novembre dernier.

Repéré à la fin janvier au-dessus de l’État du Montana où, détail rappelé par le Pentagone, se trouve la base de Malstrom abritant des missiles intercontinentaux « Minuteman  » [1], le ballon de la taille d’un autobus dont la Chine - qui a d’abord nié qu’il était chinois -, affirme qu’il n’était qu’une sonde météo détournée par le vent – version à laquelle les Américains ne croient pas -, a finalement été abattu le 4 février par un chasseur F.22 Raptor au-dessus de l’Atlantique, au large de la Caroline du sud, alors qu’il se trouvait à 20 000 m au-dessus des eaux territoriales américaines.

Après avoir - occurrence très rare - présenté des excuses publiques, puis, le 3 février – la veille de la destruction de la sonde -, renvoyé son Directeur de l’agence météo Zhuang Guotai, 60 ans, démis de ses fonctions par le Conseil d’État (gouvernement) dont il n’est pas inutile de rappeler qu’il est aux ordres du Premier Ministre Li Keqiang, à la fois démissionnaire et politiquement ostracisé par Xi Jinping depuis 2013, Pékin qui ne s’attendait peut-être pas à la destruction en vol du ballon, a réagi avec aigreur.

Sans élaborer et restant ambigu, le 5 février, le porte-parole du ministère de la défense Tan Kefei qui parlait d’abord à l’opinion chinoise plus qu’à la communauté internationale, a dénoncé la « sur-réaction de la destruction d’un aérostat civil  ». Pour rester dans le ton de son narratif interne de puissance agressée, prête à se défendre, il a prévenu que l’APL se réservait le droit de réagir « dans des situations similaires  ».

Depuis, les commentateurs de tous bords calculent à l’infini la signification réelle de cette menace - certains, ne reculant devant aucune surenchère, imaginèrent même la destruction par la Chine d’un avion américain au-dessus de Taïwan - tandis que, le lundi 6 février, Pékin reconnaissait qu’un « autre ballon » repéré au-dessus du Costa Rica et de la Colombie était également chinois. L’explication de la porte-parole du Waijiaobu Mao Ning tout de même affaiblie par les tentatives d’occultation qui l’ont précédée, restait conforme au discours initialement calibré par l’appareil.

«  Le ballon a « sérieusement dévié » de sa trajectoire prévue et est entré dans le ciel d’Amérique latine et des Caraïbes « par erreur » en raison des conditions météorologiques et de la capacité de contrôle limitée de l’engin.  »

L’histoire d’une « nouvelle guerre froide » semble se répéter. Mais le souvenir évoqué par les commentaires de la destruction au-dessus de l’URSS de l’avion espion américain U2 dont il faut répéter qu’à rebours de ce que disent les commentateurs il renvoie à un événement bien plus dramatique, évoque une autre époque.

Le rival de Washington n’était pas Pékin mais Moscou, tandis que la Chine, enfermée dans les affres idéologiques internes et catastrophique du « Grand Bond en avant  » et des « communes populaires » maoïstes ne comptait pas dans le jeu mondial.

S’étant fourvoyée dans l’obsession mortifère de rattrapage de puissance qui provoquèrent plus de trente millions de morts (lire notre article : 墓碑 mu bei de Yang Jisheng, est paru en Français),mais dont en Chine l’histoire exacte a été rayée des livres d’enseignement public, son PIB moyen par habitant atteignait à peine 100 $, alors que, toutes proportions gardées liées aux parités de pouvoir d’achat et aux occultation des propagandes, celui des États-Unis était de 9000 $ et celui de l’URSS 3000 $.

Le rapport de puissance de un à trois n’empêcha pas l’Union Soviétique de mettre le 4 octobre 1957 en orbite le premier satellite artificiel de la terre baptisé « Spoutnik – Compagnon de route ou satellite - », dans l’ambiance générale de compétition de puissance, en effet homothétique de celle que nous observons aujourd’hui, mais au sein d’une « guerre froide » de cloisonnement du monde bien plus hermétique.

L’annexe, revient sur deux incidents infiniment plus dramatiques que celui du « ballon espion » monté en épingle par les rivalités de politique intérieure en Chine et aux États-Unis et par les alarmes apocalyptiques des « centrifugeuses médiatiques  ».

*

Vingt-deux ans après la crise de l’EP-3, « l’incident du ballon » achevé par sa destruction par missile après un ordre martial de Joe Biden, heurte la fierté nationaliste chinoise attisée par le Président Xi Jinping depuis 2013. Quand bien même les circonstances sont infiniment moins dramatiques, Pékin accuse Washington d’avoir sur-réagi en annulant une rencontre diplomatique, puis en détruisant un ballon météo inoffensif poussé par le vent.

Il reste que dans une ambiance générale sino-américaine où l’espionnage chinois constitue un très persistant fond de tableau [2], nombre de commentaires des médias manquent au moins deux importantes parties de l’image.

La première rappelle que l’utilisation de « ballons espions » n’est pas une nouveauté. Durant la guerre froide le Pentagone en a utilisés de gigantesques. Aujourd’hui, plus proches de la terre que des satellites, ils ont certes l’inconvénient de ne pas être discrets et de constituer une cible facile. Mais, permettant des imageries infra-rouges et des écoutes radio, ils peuvent être un complément à l’imagerie satellite.

Selon des informations rendues publiques par l’armée de l’air américaine, en 2019, un « ballon  » chinois avait survolé Hawaï, la Floride et l’île de Guam. Au milieu d’une effervescence politique américaine où les Républicains critiquent l’administration Biden de n’avoir pas détruit le ballon chinois plus tôt - « shoot down the balloon !  » avait twitté Trump, le 3 février - le Pentagone a récemment rappelé que, durant la présidence Trump, trois « ballons » chinois avaient survolé les États-Unis.

Le 6 févier, Jack Sullivan, le Conseiller pour la sécurité nationale à la Maison Blanche ajouta à la controverse de politique intérieure en expliquant que la présidence Biden avait augmenté les capacités de surveillance du pays pour « repérer des incidents que l’administration Trump avait été incapable de détecter ».

*

Enfin, l’autre réalité aujourd’hui complètement passée sous silence par les commentaires, est qu’avant la destruction du ballon, Chinois et Américains avaient clairement exprimé dans leurs commentaires l’intention de ne pas monter l’incident en épingle.

Début février, Wang Yi l’ancien ministre des AE entré au Bureau Politique, appelait à éviter les malentendus, tandis que le MAE affirmait que « la partie chinoise s’efforcerait de maintenir le contact avec Washington pour « gérer au mieux une situation imprévue ». Simultanément, très rare occurrence de contrition, Pékin admettait avoir commis une erreur et regrettait la course erratique du ballon.

En même temps, un officiel du Pentagone réduisait la tension en expliquant que le « ballon n’avait qu’une valeur ajoutée limitée en matière collecte de renseignements ». Il relativisait aussi l’espionnage chinois en expliquant que les États-Unis avaient eux aussi une « longue histoire d’espionnage de la Chine, habituellement par des technologies plus avancées que celles d’un ballon.  »

Mais, aux États-Unis l’angle de vue d’apaisement a commencé à se brouiller quand le sujet s’est invité dans les rivalités de politique intérieure entre Républicains et Démocrates.

Dès les premiers jours de l‘affaire, le sénateur Tom Cotton milita pour l’annulation du voyage de Biden, « Cessez de “cajoler“ et d’apaiser les communistes chinois. » (…). « Détruisez le ballon au plus vite et analysez la somme de renseignements contenues dans les équipements qu’il transporte ». Dans la foulée, D. Trump ajoutait de l’huile sur le feu en invitant lui aussi la Maison Blanche à « détruire le ballon ».

Une fois la cible détruite par un chasseur de combat, la crispation chinoise alimentée par le sentiment d’avoir perdu la face, augmenta d’un cran et Pékin ne répondit pas aux tentatives de contacts téléphoniques de Washington. Shi Yinhong, Directeur du Centre d’Études américaines à l’Université du Peuple de Pékin, constatait les dégâts en plaçant la discorde dans une perspective plus vaste.

« Compte tenu du nombre de points de friction récemment exacerbés, depuis la question de Taïwan jusqu’à la guerre des microprocesseurs en passant par l’augmentation de la présence militaire américaine aux Philippines, les possibilités d’un apaisement de la relation à court terme sont minces. » Il ajoutait même « L’aggravation régulière des tensions sino-américaines crée une situation à ce point délicate que Washington et Pékin ne sont plus en mesure de gérer la moindre secousse  » (…) et « Une amélioration notable et durable de la relation tiendrait du miracle ».

Il passait cependant sous silence un non-dit. Quel était l’intérêt pour Pékin d’orchestrer une provocation aussi visible à la veille d’une rencontre destinée à extraire la relation de la logique de l’empoignade publique ? Chez nombre d’observateurs, surgit l’hypothèse que l’incohérence serait le fruit d’une dissonance au sommet.

Alors qu’aux États-Unis, les rivalités de pouvoir entre Démocrates et Républicains s’étalent sur la place publique, en Chine, elles fermentent sous la surface, mais n’en sont pas moins féroces. L’histoire de la Chine antique et moderne fourmille d’exemples de luttes de pouvoir acharnées et d’éliminations pures et simples de rivaux politiques.

Avant la destruction du ballon, perte de face à l’origine d’un retour à la cohérence martiale du discours de Pékin, les hésitations des mises au point publiques qui nièrent d’abord que le ballon était chinois, semblent indiquer une fêlure dans l’harmonie de l’appareil. Elle survient quatre mois seulement après l’affichage fabriqué d’une unité sans faille du 20e Congrès du Parti.

Au milieu des surenchères nationalistes, il appartient à ceux qui, de part et d’autre, ont compris que les empoignades publiques d’une rivalité dilatée en bataille systémique tutoyant les risques de guerre totale, est un jeu à somme nulle, de tenter de replacer la relation sur une trajectoire moins explosive.

La première et très urgente initiative à prendre serait probablement celle suggérée par Evan Medeiros professeur à l’université Georgetown et responsable de la zone Asie au Conseil de Sécurité Nationale de la Maison Blanche : mettre sur pied un mécanisme bilatéral de gestion de crise protégé des surenchères médiatiques et politiques principaux carburants de l’escalade.

Note(s) :

[1L’hypothèse d’espionnage en survolant une base de missiles stratégiques avec un ballon évoluant en haute atmosphère visible à l’œil nu paraît insolite à l’heure des satellites d’observation chinois « Gaofen-14 » capables d’images stéréo à la précision inférieure au mètre. Pourtant, le général Victor Renuart, ancien patron du NORAD (North American Aerospace Defense) soulignait que « les risques potentiels portés par ce type d’équipement sont plus importants que ne le croit le grand public. »

La communauté du renseignement remarque en effet que le stationnement prolongé d’un ballon d’observation dont le coût est voisin de zéro au-dessus d’un site, est complémentaire d’un système plus sophistiqué bien plus onéreux dont l’observation épisodique est tributaire de ses passages en orbite.

Quoi qu’il en soit, l’examen des débris du ballon récupérés par l’US Navy - dont Pékin réclame en vain le retour en Chine - accréditera définitivement l’hypothèse de l’espionnage. Pour l’heure, mis en présence d’un procédé renvoyant aux premières époques de la guerre froide, les experts américains sont perplexes. Les spéculations vont bon train. Certains imaginent même que les Chinois pourraient maîtriser des techniques qu’ils ne connaissent pas.

[2Le FBI et la CIA ont établi une longue liste de cas d’intrusions ou d’espionnage chinois dans le système de sécurité nationale.

Récemment les médias ont fait état des accusations portées contre les réseaux d’infrastructures 5G du groupe Huawei, capables à la fois de collecte d’informations sensibles et de lancer des cyberattaques contre, entre autres, les systèmes de distribution d’électricité, de stockage de données ou de gestion des dépôts de carburant. Lire : HUAWEI, le flambeau du succès High Tech, pilier de la captation de technologies ?.

En 2018, le FBI et la CIA avaient mis en garde contre les équipements d’infrastructure Huawei installés à proximité des sites de lancement de missiles stratégiques. La manœuvre chinoise s’inscrit dans une vaste recherche d’influence face à l’Amérique, y compris sur ses plates-bandes historiques d’Amérique du sud, dont Washington a pris conscience au dernier « Sommet des Amérique », début juin 2022 à Los Angeles. Lire notre article : Au sommet des Amériques à Los Angeles, l’ombre portée de la Chine.

D’autres affaires ont mis en évidence l’implication de chercheurs ou d’étudiants chinois inféodés à Pékin et à la sécurité d’État dont certains ont été condamnés par la justice fédérale. Au milieu de plusieurs dizaines d’affaires portées devant la justice, l’un des cas les plus emblématiques d’espionnage a récemment connu un dénouement par la condamnation aux États-Unis à 20 ans de prison de Xu Yanjun.

Officier traitant et n°2 du ministère de la sécurité d’État, extradé aux États-Unis depuis la Belgique, il avait, entre 2013 et 2014, recruté et organisé un réseau d’espionnage technologique de l’Américain GE et du Français SAFRAN.


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