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›› Editorial

Les BRICS, la puissante démographie des émergents, le défi anti-américain de la Chine et le déclin de l’Occident

Pékin constate le déclin de l’Amérique, mais surveille son influence rémanente.

En arrière-plan, Pékin à l’affut d’un affaiblissement durable de l’Amérique garde en tête deux événements majeurs, distants seulement de deux années dont la succession marque, dans la mémoire chinoise, le passage de l’hyperpuissance américaine au début de son déclin.

Le premier événement marquant resté dans la mémoire du parti est la destruction de l’Ambassade de Chine à Belgrade, le 7 mai 1999, par une mission conduite hors OTAN par la CIA dans un contexte général dénoncé par Kofi Annan lui-même où le bombardement de l’ex-Yougoslavie par l’Alliance n’avait pas reçu la caution du Conseil de sécurité des NU.

Le deuxième est le cataclysme géopolitique de la destruction des tours jumelles de New-York le 11 septembre 2001 par des terroristes fanatiques d’Al-Qaïda. Nourrie par la CIA qui, durant la première guerre d’Afghanistan en fit un outil contre l’URSS, l’organisation terroriste a, par le caractère spectaculaire et terrifiant de l’agression, réussi à détruire à la face du monde le mythe de l’invulnérabilité américaine.

En août 2021, vingt ans presque jour pour jour après l’attaque terroriste contre New-York, le retrait chaotique de l’Amérique d’Afghanistan confirmait, dans l’esprit des stratèges chinois, le déclin de « l’hyperpuissance ».

Le 18 août 2021 dans le Global Times on lisait que les États-Unis avaient montré à leurs alliés du monde entier qu’ils étaient incapables ou peu disposés à affronter un petit adversaire d’à peine 70 000 combattants dotés d’un armement très rustique.

Il en résulte, poursuivait l’article, qu’à l’avenir, lorsqu’ils exhorteront leurs alliés à défier les grandes puissances comme la Chine et la Russie, « très peu suivront ». L’article s’achevait par une interrogation qui remettait en cause l’hégémonie des États-Unis à la tête de l’Occident « Alors qu’ils ne sont pas capables d’évacuer un pays dans l’ordre, comment peuvent-ils encore prétendre diriger l’Occident ? ».

Au sein du parti, la trajectoire d’ébranlement de la puissance américaine a nourri une querelle entre les tenants d’une affirmation de puissance opportuniste et ceux partisans de la prudence telle que l’avait prônée Deng Xiaoping au milieu des années 90 « 韬光养晦- cachez votre rayonnement et cultivez l’ombre », stratégie dont il affirmait qu’elle devrait être maintenue pendant un siècle.

Moins d’une année après l’article du Global Times, des indices existent toujours indiquant que la mouvance de prudence, prônant la fidélité à la pensée de Deng Xiaoping qui enjoignait aussi de se tenir à distance des alliances, reste influente.

A la mi-juin, le parti a relevé de son poste Le Yucheng un des vice-ministres des Affaires étrangères dont les discours publics avaient récemment radicalement affirmé une proximité sans faille avec Moscou et un esprit de virulence martiale contre Washington. Lire : Chine – États-Unis. Entre vindicte nationaliste et volonté d’apaisement, la persistance des rancœurs.

Le 25 juin, dans Asialyst, Pierre-Antoine Donnet, familier de l’Asie, ancien rédacteur en chef de l’AFP dont il fut le correspondant à Pékin (1984 – 1989) et à Tokyo (1993 – 1998) suggérait que le limogeage de Le Yucheng était le signe que Pékin « ne souhaitait pas basculer totalement dans l’orbite russe. ».

Le 23 juin dans Nikkei Asia, Katsuji Nakazawa qui analysait la mise à l’écart de Le Yucheng, dont certains disent qu’il se voyait déjà le prochain ministre des Affaires étrangères, exprimait sa conviction que pour Pékin, la relation la plus importante était bien celle avec Washington. « Qu’on le veuille ou non, la réalité est que pour la Chine l’Amérique est la relation extérieure prioritaire. »

C’est avec en tête à la fois ces hésitations internes exprimant une retenue chinoise et l’idée que l’Ouest aligné à Washington est hanté par l’angoisse d’un déclin irrémédiable qu’il faut interpréter la succession rapide des réunions du G.7 de l’UE et de l’OTAN.

L’Occident face à son déclin.

Face à l’émergence d’une contestation globale qui doute désormais de la prévalence de l’Occident, précisément remise en cause dans le contexte de la guerre en Ukraine, où l’appui matériel de l’OTAN et de l’UE à Kiev pourrait rapidement ne pas suffire à équilibrer la déferlante de l’inépuisable artillerie russe, Pékin observe la succession des réunions des puissances occidentales qui tentent un rattrapage d’influence.

Elles répondent non seulement au contexte de la résurgence inattendue d’un conflit meurtrier sur le sol européen, mais également à la dilatation planétaire de l’influence chinoise épaulée par la Russie.

Alors que le Conseil européen des 23 et 24 juin s’est focalisé sur la guerre en Ukraine sans jamais évoquer la Chine, Pékin constate que son opposition aux sanctions n’a suscité aucun écho chez les 27 strictement alignés sur Washington, trois jours plus tard, en Allemagne à Elmau, à 70 km au sud de Munich, le G-7 des « démocraties riches » a en revanche clairement convenu d’une stratégie en Asie-Pacifique ripostant à l’élargissement de l’impact de la Chine.

Le Premier Ministre japonais Fumio Kishida en pointe dans le soutien d’une stratégie concurrente aux « Nouvelles Routes de la soie » chinoises, a promis que le groupe mobiliserait 600 Mds de $ d’ici 2027, dans le cadre d’un programme d’investissement planétaire, dédié aux infrastructures de transport et d’énergie - Partnership for Global Infrastructure and Investment (PGII).

Signe qu’il s’agissait bien dans l’esprit du G-7 dominé par Washington, d’une riposte à l’influence chinoise, le communiqué qui critiquait la Chine sur la situation à Hong Kong, au Xinjiang, en mers de Chine de l’Est et du Sud et sur la stabilité dans le détroit de Taïwan, précisait que les investissements seraient aussi dédiés à la région indo-pacifique.

Alors que monte le spectre d’une famine dans le tiers monde causée par le blocage de la Mer Noire [3], le Chancelier Olaf Scholz a même annoncé que le branlebas aiderait la transition énergétique non seulement en Inde, au Vietnam et en Indonésie, trois pays asiatiques dont les relations avec Pékin sont épisodiquement marquées par des tensions attisées par les réclamations chinoises de souveraineté, mais également au Sénégal du Président Macky Sall où la Chine s’est récemment montrée très active (lire L’Afrique, la Chine et l’Europe).

Pour la perspective, rappelons qu’en 2017, la Banque Asiatique de Développement avait estimé que la mise à hauteur de l’Asie à un standard occidental d’infrastructures, de niveau de vie et de transition vers les « énergies propres », nécessiterait un total d’investissements de 26 000 Mds de $ entre 2016 et 2030, soit 1700 Mds de $ par an.

L’OTAN et la menace chinoise.

Après le sommet de l’OTAN à Madrid des 28 et 29 juin, le communiqué de presse n’a - guerre en Ukraine oblige [4] -, mentionné la Chine qu’une seule fois. Mais il reprenait une alerte déjà exprimée en 2019 et surtout en 2021 qui mettait en garde contre « la compétition systémique de ceux qui menacent les intérêts de l’Alliance, sa sécurité et ses valeurs, cherchant à affaiblir l’ordre international basé sur le Droit ».

Si la déclaration de 2021 évitait de cibler la Chine comme une menace directe, elle indiquait néanmoins un consensus des membres sur le défi qu’elle pose et la nécessité d’y faire face. Même si, comme le souligne une analyse du Collège de défense de l’Alliance à Rome de février 2022, tous les membres n’ont pas la même conscience de la menace chinoise, il n’en reste pas moins que tout en rappelant que sa zone d’action stratégique est l’Atlantique et qu’elle n’a aucune pertinence militaire en Asie, l’OTAN identifie une série de préoccupations.

Elles vont de la pénétration des réseaux 5G en Europe et en Afrique, aux ambitions territoriales chinoises en Asie-Pacifique, en passant par la prise de contrôle partielle ou totale de plusieurs ports européens [5] et de sociétés de réseaux de distribution d’électricité au Brésil, en Italie, en Grèce, au Portugal, au Royaume Uni, au Luxembourg, au Monténégro et à Malte.

En septembre 2018, une note de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) recommandait « impérieusement » à Bruxelles de mettre en place un mécanisme européen de sauvegarde permettant d’éviter « le contrôle partiel ou global par un seul État extra-européen des sociétés de distribution d’électricité du continent européen ».

Lire : Les grandioses projets planétaires de 国家 电网

Pékin renvoie vertement l’Amérique à ses contradictions.

Le 29 juin, Zhao Lijian le porte-parole du Waijiaobu a réagi à ces raidissements anti-chinois par une très longue conférence de presse.

La première salve a ciblé le G-7 accusé d’interférer dans les affaires intérieures chinoises, de cultiver une mentalité de guerre froide et de chercher à diviser le monde au lieu d’en promouvoir l’harmonie. Les États-Unis furent particulièrement ciblés à propos de Taïwan, qualifiés de « fauteurs de guerre, et de principale menace pour la sécurité du monde. »

Puis, mettant l’accent sur la faiblesse démographique des pays du G-7 (moins de 10% de la population mondiale), sans évoquer leur poids économique (45% du PIB mondial, il est vrai en baisse depuis les années 70 où ils en constituaient 67%), il leur a nié le droit de parler au nom de toute la planète, tout en les exhortant une nouvelle fois à cesser de discréditer la Chine et de se mêler de ses affaires intérieures, y compris au Xinjiang, au Tibet et à Taïwan.

Avec toujours en arrière-plan le rôle néfaste joué par les ambitions planétaires de l’Amérique qui prétend diffuser ses « valeurs universelles », et la crainte que Washington cherche à freiner la montée en puissance de la Chine, Zhao, qui constatait la participation de la Corée du sud et du Japon au sommet de l’OTAN à Madrid a aussi réitéré le soupçon que l’Alliance cherche à étendre son influence en Asie-Pacifique.

Enfin, ripostant aux accusations d’autocratie ne respectant pas les droits individuels, réfutant en bloc toutes les accusations d’abus perpétrés au Xinjiang, Zhao a consacré de longs développements à fustiger le fonctionnement de la démocratie américaine polluée par le lobbying financier, et à dénoncer les abus de la police et les désordres sociaux en Amérique, la persistance de la pauvreté, les cancers causés par les 928 explosions nucléaires effectuées à proximité des réserves indiennes, d’un peuple tenu en marge et victime de génocide.

Note(s) :

[3En temps normal, l’Ukraine fournit 40% de son blé au Programme alimentaire mondial (PAM), et respectivement 16% et 40% des besoins mondiaux de maïs et d’huile de tournesol.

[4En réponse à l’agression de l’Ukraine, l’OTAN a réaffirmé la validité de l’Art 5 stipulant la réaction coordonnée de tous les membres en cas d’agression de l’un d’entre eux, décidé de porter à 100 000 puis à 300 000 les effectifs d’une force de réaction rapide disponible sur bref préavis, d’augmenter les effectifs américains positionnés en Europe, et d’établir en Pologne un QG de l’armée de terre américaine.

Les décisions prises en réaction à l’agression russe, prennent le contrepied de la position de D. Trump dont les déclarations isolationnistes avaient affaibli la crédibilité de l’Alliance. Elles diffusent aussi une vision pro-Atlantique qui nuance la bascule stratégique de Washington vers le Pacifique occidental opérée par Barack Obama en 2011.

[5Les transporteurs chinois China Ocean Shipping Corporation (COSCO) et China Merchants Holdings (CMHI) ont investi dans les sociétés de gestion d’une douzaine de ports européens parmi les plus importants avec des parts majoritaires de contrôle au Pirée (100 %), à Zeebrugge (85%) et à Valence (51%).


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