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Les malentendus de la relation Chine – Russie – Syrie

Le Pragmatisme protéiforme chinois se garde du réflexe des blocs.

Depuis le milieu des années 90 Pékin et Moscou développent une stratégie alternative commune, posant un défi à la puissance univoque américaine. L’un des derniers symboles de ce positionnement fut, en juillet 2015, le double sommet des BRICS et de l’OCS à Ufa, qui regroupait autour de Vladimir Poutine et de Xi Jinping l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, 4 pays d’Asie Centrale, la Mongolie, le Pakistan et l’Afghanistan.

A bien y réfléchir, c’est dans ce vaste enveloppement à vocation économique et commerciale que se perçoivent les plus grands contrastes entre Pékin et Moscou. D’une part, le pragmatisme mouvant des stratégies chinoises qui tentent de tenir à distance la mécanique dangereuse de la guerre froide. De l’autre, le réflexe des blocs hérité du KGB, épine dorsale de l’attitude de Poutine dont il se défend, mais qui le tenaille en réaction aux menées de Washington pour déstabiliser l’ancestrale sphère culturelle russe en Europe et ses approches stratégiques en Asie Centrale.

Même si Pékin craint autant que Moscou l’entrisme américain dans les anciennes républiques soviétiques à l’ouest du Xinjiang, marches méridionales de la Russie et un des grands itinéraires de la route de la soie entre la Chine et l’Europe, le Politburo chinois reste imprégné par les réminiscences du rapprochement sino-américain opéré par Mao et Kissinger en 1972.

Pour l’heure, son intérêt stratégique direct reste le Pacifique occidental et sa relation à la fois heurtée et obligée avec les États-Unis. Malgré les dissonances, la Maison Blanche et Pékin entretiennent une relation à ce point imbriquée et interdépendante qu’au-delà des provocations, des rodomontades nationalistes et des désaccords commerciaux, l’un et l’autre comptent sur le vaste éventail de leurs coopérations pour désamorcer les risques d’escalade militaire.

Un vaste éventail de coopérations avec les États-Unis.

Parmi les imbrications et les connivences les plus visibles, citons l’engouement des élites chinoises pour les études supérieures de leurs enfants aux États-Unis (Xi Mingze, 22 ans, la fille unique du Président chinois, est diplômée en psychologie de Harvard depuis le printemps 2015 où elle avait étudié sous un nom d’emprunt), le commerce bilatéral (593 Mds de $ en 2014, contre seulement 93 Mds de $ avec la Russie), moteur des économies sur les deux rives du Pacifique, la quête chinoise des technologies américaines indispensables pour la modernisation du pays, la crainte commune d’une déstabilisation djihadiste du Pakistan, puissance nucléaire proliférante au flanc sud de la Chine et enfin le rôle que joue Pékin dans la consolidation de l’accord avec Téhéran, vieil allié de la Chine avec qui la proximité remonte à l’antique Perse, il y a 13 siècles.

L’élan continu des échanges bilatéraux s’exprime notamment par le fait qu’en glissement annuel, le commerce bilatéral a, en 2014, progressé avec les États-Unis (+2,8%), alors qu’il régressé partout ailleurs, avec l’UE (moins 7,1%), avec le Japon (moins 11,2%) et avec la Russie (moins 29%). Tout ceci confirme que les stratégies du vieil Empire ne sont jamais un jeu à somme nulle. La proximité existentielle avec Moscou n’exclut pas la relation avec les États-Unis, à la fois repoussoir politique, rival stratégique et partenaire indispensable de la modernisation du pays.

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Pékin refuse les ingérences militaires.

Enfin, les derniers indices et non des moindres que les stratégies internationales de Moscou et de Pékin ne sont pas complètement homothétiques, sont assez clairement apparus au travers des réactions de la Chine aux menées militaires russes en Ukraine, en Crimée et en Syrie.

S’il est vrai que les deux se sont souvent retrouvés à l’ONU pour écarter des sanctions contre l’Iran, puis, plus tard pour protéger Bashar el Assad d’une intervention militaire occidentale, Pékin, rejetant catégoriquement le « droit d’ingérence », s’est d’abord soigneusement tenu à distance de l’affaire ukrainienne.

En mars 2014, le porte-parole chinois rappelait les principes de non interférence dans les affaires intérieures des États, tout en précisant, comme pour excuser Moscou, mais sans élaborer, que « l’actuelle évolution de la situation en Ukraine pouvait s’expliquer ». La nuance signalait une hésitation et un dilemme. Alors que Moscou attendait un veto chinois à la résolution condamnant le référendum en Crimée, Pékin s’est contenté de s’abstenir.

Aux attaques des Sukhoi russes en Syrie, le Politburo chinois a réagi avec la même ambivalence. Le 30 septembre, puis le 1er octobre, après que la Douma ait approuvé les frappes russes, Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères qui ne fit pas mention de Daesh, appelait les Nations Unies à organiser une conférence internationale sur la Syrie. Surtout, après avoir reconnu que « la communauté internationale ne pouvait pas rester les bras croisés », il condamnait les « interférences arbitraires ».

Par principe opposé aux frappes militaires mais, hésitant à se désolidariser de Moscou et soucieux de ne pas rester en marge dans la solution du terrorisme global, le régime a, par la succession des analyses de son agence de presse officielle, livré quelques jalons du cheminement de sa réflexion.

On y lit d’abord une justification des frappes et une solidarité avec Bashar el Asad, puis un doute - « à quel jeu joue Poutine ? » - et, enfin, un soulagement, au travers d’une dépêche publiée le 9 octobre, commentant une entrevue entre Lavrov et Kerry sur les thèmes privilégiés par Pékin, mais encore très improbables, de la désescalade et d’un règlement politique. Le ton très approbateur de Xinhua confirmait que Pékin gardera ses distances avec les frappes militaires russes.

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Et s’il est vrai qu’à l’occasion la presse du régime montre son admiration pour l’audace de Poutine, ses qualités de chef politique ayant redonné sa fierté au peuple russe, exprimant une capacité originale à résister à la vision univoque du monde de Washington, tout indique que le cœur des préoccupations stratégiques de Pékin se trouve toujours dans le Pacifique occidental et dans ses relations turbulentes mais obligées avec les États-Unis.

Le projet de retour de puissance de Moscou est sous-tendu par le même objectif : redonner à la Russie les moyens de résister aux arrogances de la Maison Blanche. Mais cette rivalité à trois, où la Chine et la Russie se cabrent contre l’Amérique, le regard fixé sur sa puissance et guettant son déclin, laisse en plan la solution de la question syrienne et du terrorisme islamiste.

Enfin, la vérité oblige à dire que, dans une situation extrêmement violente où, soutenu par Téhéran et Moscou et avec une extrême prudence par Pékin, le régime alaouite, s’accroche au pouvoir au prix de massacres récurrents de sa population, tandis que, dans le même temps, les dérapages sanglants du projet de Califat global menacent l’Occident d’une rupture civilisationnelle radicale à coups de destructions, de viols et de têtes coupées diffusés sur Youtube, le parti pris de Pékin prônant une issue négociée, est certes vertueux, mais il est plus proche de la posture que d’une solution réaliste.

Ni Pékin qui rejette toute action de force en observant une prudence de Sioux, ni Moscou et Washington qui refusent de s’engager au sol, étrangers à la zone et aux haines entre Sunnites et Chiites, ne détiennent les clés d’une solution de l’imbroglio syrien. Le chemin du règlement, s’il existe, passera d’abord par les États de la région et par le dépassement de leurs rivalités religieuses et politiques pour s’allier contre les fous de Dieu de l’État Islamique. Ce qui supposerait que les Sunnites du Golfe s’allient à la fois aux Chiites d’Iran et à l’armée Bashar el Asad dont ils veulent la perte, contre les Sunnites de Daesh.


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