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Liu He à Davos. Entre éloquence, séduction et réalité

La face cachée des hyperboles.

Il y a cependant quelques ombres à ce tableau, la première étant que l’image d’une puissance sereine sachant se projeter dans la longue durée de manière stable et déterminée qui apparaît rassurante à certains, en inquiète d’autres.

Et notamment la plupart des pays occidentaux et quelques voisins de l’ASEAN percevant dans l’ampleur enveloppante des « nouvelles routes de la soie », le retour de l’antique prétention chinoise à l’universalité politique et culturelle exprimée par la nouvelle insistance sur les « caractéristiques chinoises » rejetant quelques valeurs essentielles du monde de l’après guerre que sont le droit des individus et le droit international, y compris celui du commerce.

Surtout, nombre de points particuliers du discours de Liu He dont la rumeur dit qu’il pourrait être promu au rang de vice-premier ministre, soit ne correspondent pas à la réalité de la situation, soit sont tiraillées entre des intentions opposées. Ces contradictions renvoient à la difficulté des réformes handicapées par la survivance d’un corporatisme des hommes d’affaires dont les alliances plongent profondément dans la machine politique du régime.

Alors qu’intervenant après Liu He, Donald Trump faisait la promotion de la nouvelle attractivité américaine produite notamment par la baisse de la taxe sur les entreprises ramenée de 35 à 21% et dénonçait la Chine sans la nommer, accusée de « ne pas jouer le jeu du libre marché et d’exploiter le système au détriment des autres », l’examen de la situation chinoise d’après le Congrès analysée par Barry Naughton (China Leadership Monitor n°55, janvier 2018) offre l’image contrastée d’un système tiraillé entre la volonté de réformes vers plus d’efficacité, de transparence et d’autonomie des grands groupes et la tentation de faire de ces derniers les instruments d’une stratégie nationale où la priorité aux lois du marché et au respect de la propriété intellectuelle ne tiennent pas le haut du pavé.

Propriété intellectuelle.

Coïncidence néfaste, alors que le forum de Davos battait son plein, le 24 janvier, le procureur général adjoint des États-Unis John Cronan a jugé le groupe Sinovel n°1 chinois des fabricants de turbines d’éoliennes coupable d’avoir dérobé des logiciels de régulation et de connexion au réseau électrique développés par la société américaine AMSC.

En prononçant le jugement, le procureur a précisé que le piratage de Sinovel rendu possible par la corruption d’un agent du groupe américain arrosé par un pot de vin de 1,7 millions de $ (South China Morning Post), avait « presque détruit » la compagnie américaine dont la valeur des actifs a baissé de près d’un milliard de $, entraînant la mise à pied de 700 employés. Le Chinois qui affirme être prêt à défendre ses droits devant la justice américaine, pourrait être contraint de payer une amende de 4,8 Mds de $. Le verdict définitif qui précisera le montant de la sanction est attendu en juin.

L’affaire survient au milieu d’un raidissement commercial antichinois en Europe et aux États-Unis, tandis que Washington a entamé une action plus vaste pour faire cesser les pratiques chinoises conditionnant l’accès au marché à des transferts de technologies. Commentant le jugement, depuis Davos, le secrétaire d’État américain au commerce Wilbur Ross a mis le doigt sur le contraste entre les discours publics chinois et la réalité : « Voilà longtemps que les chinois excellent dans la rhétorique sur le libre marché et qu’ils sont encore meilleurs dans leurs politiques protectionnistes ».

Il serait cependant injuste de dire que le gouvernement a totalement négligé la question de la propriété intelectuelle. Avec la réduction des risques financiers, l’urgence d’instaurer une croissance qualitative plutôt que quantitative et la lutte contre la pollution, le sujet était au cœur des réunions politiques et économiques de l’après congrès. Il est raisonnable de penser qu’à l’avenir le pouvoir s’efforcera de sanctionner en interne les actes de pirateries qui le mettent en porte-à-faux à l’international.

Ouverture au marché et humanisme.

En revanche, il est exact que les intentions affichées de mieux respecter le marché, de réduire les dettes et d’assainir le secteur financier sont en partie contredites par des réticences et des habitudes adverses (à ce sujet lire Le nationalisme économique perpétue les risques de crise financière.) . A quoi s’ajoute la tendance de l’État à peser directement sur l’économie pour orienter les capitaux vers des secteurs et des groupes privilégiés dont la rémanence de leurs connexions avec le pouvoir les protègent d’autant plus de la mise aux normes que Xi Jinping a en tête d’en faire le point départ de grands champions industriels nationaux.

La récente controverse publique autour du traitement réservé aux migrants dans la périphérie de Pékin offre un autre point de contraste entre le discours social humaniste de Liu He et la réalité (lire : Nettoyage de la capitale et expulsions. Incendie et polémiques. Les migrants, « citoyens de seconde zone .)

S’il est légitime que la mairie entreprenne de nettoyer les bidonvilles insalubres autour de la capitale, la brutalité des expulsions décidées sur de très courts préavis choqua les intellectuels, tandis qu’un officiel se laissa aller à désigner les migrants par le terme méprisant de « population bas de gamme – 低端 人口 – diduan renkou » qui en dit long sur la manière dont la bureaucratie considère la main d’œuvre industrielle et les migrants intérieurs pourtant en partie à l’origine du miracle chinois.

Les impasses écologiques.

Enfin, le dernier domaine en demi-teinte où les hyperboles relayées par les médias choqués par l’abandon américain de l’accord de Paris, ne correspondent pas tout à fait à la réalité est l’environnement. S’il est vrai que la nouvelle conscience écologique chinoise contrastant avec de longues années de laisser-faire est incontestable, il n’en reste pas moins que les congratulations auto-laudatives et les belles images cachent une réalité plus complexe et moins réjouissante.

Outre le tabou que l’un des principaux moyens de réduction des émissions de carbone est la construction d’un nombre considérable de centrales nucléaires dans des zones densément peuplées, multipliant les risques d’accident écologique de grande ampleur, le discours plaçant désormais la Chine en pointe de la lutte globale contre le réchauffement ignore d’abord la réalité de l’empreinte charbon à l’intérieur.

A l’extérieur, il passe aussi sous silence la centaine de centrales électriques à combustible fossile construites par la Chine dans le cadre de ses coopérations internationales, notamment le long des « routes de la soie ». (lire : COP 21 : entre illusions et scepticismes. Réalités et limites des contributions chinoises.)

En Chine même, en juin dernier, l’agence Xinhua faisait état d’un rapport d’inspection du ministère de l’environnement selon lequel 70% des 20 000 emprises industrielles contrôlées dans 28 villes du nord de la Chine n’avaient pas satisfait aux critères écologiques standard de protection de l’air ambiant, des nappes phréatiques des cours d’eau ou des lacs.


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