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›› Editorial

Lune de miel entre Londres et Pékin. Le faste monarchique au service du pragmatisme

Le président chinois Xi Jinping a effectué un voyage officiel en Grande Bretagne du 20 au 23 octobre qui a marqué une rupture avec la vieille prudence politique de Londres à l’égard du régime de Pékin. David Cameron et Georges Osborne, le chancelier de l’échiquier, principaux artisans de cette manœuvre, ont l’ambition de faire du Royaume Uni, déjà la première destination européenne des investissements chinois, le partenaire européen privilégié de la Chine.

Au milieu de fastes monarchiques, Londres et Pékin ont signé plus de 60 Mds de $ d’accords, principalement dans les domaines de l’énergie, de la santé, des moteurs d’avions, du tourisme naval et des finances où une compagnie chinoise de travaux publics associée à la CITIC a été choisie pour construire le nouveau centre financier de la capitale anglaise.

Malgré les vives critiques venant d’une partie de la classe politique, de la presse et des organisations de droits de l’homme qui stigmatisèrent « l’humiliation » et le « sacrifice des valeurs humanistes à des fins mercantiles » (1), mettant au passage en garde contre les stratégies obliques de Pékin à la recherche d’influence et de technologies, l’impression générale qui ressort de la visite de Xi Jinping est celle d’un solide pragmatisme économique et d’un pari.

Décidé à tirer partie sans complexe de la puissance des finances chinoises, de la très vorace quête d’énergie de l’industrie chinoise et du dynamisme d’une classe moyenne aux exigences de plus en plus articulées autour de la réactivité des services financiers, de la qualité de l’offre de santé et des loisirs, Londres fait résolument le pari de la Chine en dépit des ratés de sa croissance.

Mais, symptôme du lent glissement des plaques tectoniques des stratégies mondiales, Washington s’inquiète des concessions faites à la Chine par son plus ancien allié à qui certains critiques reprochent de sacrifier son rôle stratégique à l’objectif plus terre à terre et plus immédiat de renflouement de son économie au prix d’un rapprochement suspect avec Pékin.

Quant à l’Europe de Bruxelles, pourtant concernée au premier chef par l’introduction dans le paysage énergétique anglais de l’industrie nucléaire chinoise associée aux français EDF et AREVA, elle est restée discrète face au réajustement des stratégies de Londres. A peine a t-on pu lire dans le Guardian sous la plume de l’ancienne directrice du Monde Nathalie Nougayrède, énoncé comme un vœu pieux, une vérité maintes fois rappelée mais jamais mise en œuvre : face à la Chine, seule une Europe unie, ayant une vision de long terme, serait capable de concilier l’exigence humaniste de respects des valeurs et le pragmatisme économique.

Londres – Pékin, la mémoire douloureuse d’une histoire coloniale.

Parmi les relations des pays occidentaux avec la Chine, celle entre Londres et Pékin est, du fait de l’histoire coloniale heurtée, l’une des plus chargées d’arrière-pensées. Les Chinois, le régime et ses intellectuels n’ont pas oublié le commerce de l’opium imposé par la force à la dynastie mandchou (1839 – 1842), expédient colonial de l’empire britannique et de la Compagnie des Indes Orientales, pour corriger le déficit commercial du Royaume Uni (déjà). L’épisode qui est entré dans les mémoires comme « La première guerre de l’opium » fut prolongé par une redite où Londres reçut l’appui militaire de Washington, Paris et Moscou (1856 – 1860).

Avec les Britanniques les aigreurs et les méfiances chinoises se prolongèrent longtemps après la chute de l’Empire et très avant dans l’histoire de la République Populaire par le truchement de la présence coloniale anglaise à Hong – Kong, jusqu’à la rétrocession en 1997. Le retour dans le giron de la République Populaire fut entouré de sérieuses acrimonies de Pékin à l’égard de Londres et du dernier gouverneur de la colonie, Chris Patten.

Alors que la démocratie n’avait jamais été le souci de la règle britannique, ce dernier avait, au grand dam du Parti Communiste et, selon toute vraisemblance, contrairement à l’avis des sinologues du Foreign Office (2), imposé une Loi Fondamentale (Basic Law) modifiant le système électoral qui donnait au vote populaire plus d’impact dans la gestion du territoire.

Les conséquences politiques de cette insistance libérale de la onzième heure sont aujourd’hui le fond tableau de la situation politique à Hong-Kong, prise en étau entre la volonté de contrôle de Pékin et les ferments démocratiques instillés par le dernier gouverneur.

Récemment, elles ont eu un effet négatif sur les relations diplomatiques entre Londres et Pékin exprimé par une brève rebuffade chinoise qui a, en décembre 2014, en contradiction avec les accords de rétrocession, refusé le visa d’entrée dans la R.A.S à une délégation de députés britanniques qui se proposaient d’enquêter sur la situation après la fronde du mouvement « Occupy Central ». Lire notre article Hong Kong : « Occupy Central » s’étiole, tandis que resurgit le contentieux sino-britannique

Enfin, les crispations réciproques sont entretenues par le fait que la famille royale elle-même, en la personne du Prince Charles et occasionnellement les politiques anglais ont par le passé ouvertement exprimé une sympathie pour le Dalai Lama et leurs préoccupations pour la situation au Tibet.

En 2012, après l’entretien privé à Londres entre David Cameron et le chef spirituel Tibétain, Pékin avait convoqué l’Ambassadeur britannique et annulé une visite de Wu Bangguo, alors n°2 du régime et président de l’Assemblée Nationale Populaire. A l’époque, un commentaire de Xinhua avait décrit l’événement comme « un épisode sombre des relations sino-britanniques ». La brouille qui se manifesta par l’envoi d’une délégation officielle réduite aux JO de Londres conduite par Liu Qi, membre du Bureau Politique en fin de mandat, avait duré 18 mois.

*

(1) Dans le Guardian du 18 octobre, Ma Jian écrivain chinois dissident réfugié en Allemagne (parmi les plus connus de ses romans : « Beijing coma » et « la mendiante de Shigatze ») a signé un article au vitriol intitulé « Les plaintes des prisonniers chinois hanteront la réception royale prodiguée à Xi Jinping », dans lequel on pouvait lire : « une fois de plus “big brother “ est en territoire britannique. Cette fois pourtant il n’est pas accueilli par une poignée de mains distante, mais les bras ouverts au milieu d’une honteuse flagornerie ».

(2) Voir l’ouvrage de Jonathan Dimbleby, The Last Gorvernor : « Chris Patten and the handover of Hong-Kong » (avril 1998).


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