›› Taiwan

Le 28 août, quatre années après avoir été écarté par le KMT, Terry Gou coiffé d’une casquette aux couleurs de Taiwan, se présente à nouveau aux suffrages des électeurs de l’Île. Sa plateforme politique qui propose de reconnaître le « consensus d’une seule Chine », le présente sans équivoque comme une « garantie de paix » dans le Détroit, quand la rupture avec le Continent, base politique du DPP, promue par William Lai est vue comme portant un risque de guerre.
Il n’est cependant pas certain que cette vision d’une homme considéré par nombre de Taiwanais comme trop proche du Parti Communiste chinois et en même temps homme d’affaires peu soucieux du droit du travail, suffise à rallier les suffrages des Taïwanais. Pour l’heure, avec cependant l’inconnue du vote des jeunes, certains sondages le créditent de 17% des suffrages, loin derrière les plus 30% d’intentions de votes pour Lai.
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Le 28 août, Terry Gou, 郭台铭 Guo Taiming, 72 ans, le multimilliardaire charismatique autodidacte, fondateur de Foxconn (en chinois 鴻海科技集團 Hon Hai Keji Jituan) a officiellement déclaré sa candidature à l’élection présidentielle du 13 janvier 2024.
Ses affaires de sous-traitance des fleurons mondiaux de la micro-informatique et de l’électronique grand-public ont essaimé, non seulement dans une douzaine d’usines géantes en Chine continentale, mais également au travers de 134 emprises industrielles et sites de bureaux dans 24 pays, en Asie de l’Est, au Brésil, au Mexique, en Inde et en Europe.
L’irruption dans la course présidentielle de Guo qui se présente comme « candidat indépendant », - il doit encore réunir 290 000 signatures d’électeurs de l’île avant le 14 novembre - survient quatre années après sa démission du KMT à la suite de son humiliante élimination à la primaire du KMT en juillet 2019 avec seulement 27,7% des voix contre 44,8% à Han Kuo-yu, maire de Kaohsiung élu en 2018.
Surgi de nulle part, porté par l’effervescence des réseaux sociaux agités par les « trolls » chinois, Han avait été deux ans plus tard, destitué de son poste de maire par un referendum d’initiative citoyenne.
Lire : Le KMT s’alarme des déboires de son candidat. Net redressement de la popularité de Tsai Ing-wen & A Taïwan la démocratie directe éloigne l’Île du Continent.
Les sondages des quelques semaines à venir diront les chances électorales de Guo en janvier prochain, mais la réalité est que son audience dans l’Île est ternie par sa proximité avec l’appareil à Pékin et son style brutal de gestion des personnels peu soucieux du droit du travail.
Droit du travail : La mauvaise réputation de Foxconn.

Manifestation contre le style de « management » esclavagiste de Foxconn. Sur les pancartes qui associent « Apple » aux critiques, on peut lire entre autres, « 工人不是機器 工人 要 有尊嚴. Les travailleurs ne sont pas des machines. Ils exigent la dignité. »
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Au premier semestre 2010, douze employés de l’usine Foxconn de Shenzhen s’étaient jetés dans le vide, parmi eux dix avaient succombé et deux avaient été grièvement blessés.
« La justice ne nous a pas aidés » disaient les parents de ces jeunes migrants qui, venus seuls de leur campagne affronter sans préparation les pièges des grands centres urbains, n’ont pas supporté le déracinement et les conditions de leur nouvelle vie.
L’avocat Li Qiang, Directeur de l’ONG China Labor Watch, expliquait que même les 20% d’augmentation de salaires promis par la Direction du groupe n’amélioreront le malaise qu’à la marge :
« Le rythme de travail est insupportable ; le management est inspiré de l’armée ; on attend des ouvriers qu’ils se comportent comme des machines ; l’ambiance de travail est stérile, personne ne se parle. Il sera très difficile de changer la culture d’entreprise d’une aussi société aussi gigantesque ».
Deux ans plus tard c’est l’usine Foxconn de Wuhan qui faisait la une de l’actualité sociale. Le 2 janvier 2012, 300 employés étaient montés sur le toit d’un atelier pour réclamer une hausse de salaires. Eux aussi menaçaient de se suicider, mais dissuadés par l’entremise du maire et des promesses d’augmentation de salaires, ils avaient renoncé.
La même année, une émeute impliquant 2 000 ouvriers avaient éclaté aux ateliers de Taiyuan, tandis que des témoins avaient vu des vigiles en train de molester des salariés.
En décembre 2012, l’émission « Envoyé Spécial » de France 2 avait diffusé un reportage accablant, qui décrivait les punitions physiques, les bas salaires, l’exposition aux produits toxiques et l’emploi de jeunes mineurs sur les chaînes d’assemblage, notamment au Shandong.
La dernière fois que le géant de l’assemblage, sous-traitant planétaire du secteur de l’électronique grand public, avait fait parler de lui, c’était en octobre 2022 à Zhengzhou.
A la fois saisis de panique et excédés par la rigueur brutale des confinements mis en œuvre, près de 200 000 ouvriers avaient fui leur usine obligeant la direction à affréter une armée de bus pour les ramener au travail. Il s’en était suivi un retard mondial dans la livraison des commandes de téléphones portables.
Une plateforme politique classique d’apaisement avec le Continent.

Prenant le contrepied de la stratégie de rupture de Tsai Ing-wen et du DPP, la plateforme politique de Terry Gou propose d’apaiser la relation dans le Détroit en adhérant au « Consensus d’une seule Chine » dont la genèse historique et le sens baignent dans l’ambiguïté. L’approche passe cependant sous silence l’agressivité de la Chine de Xi Jinping qui, depuis 2012, fait de la réunification un objectif essentiel à réaliser coûte que coûte, y compris par la force si les Taiwanais tardaient trop à se soumettre.
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En présentant sa candidature, Terry Gou, à la retraite depuis 2019, a tenu à rappeler qu’il n’était plus à la tête du groupe depuis quatre ans, qu’il n’a jamais été sous le contrôle de l’appareil politique chinois et qu’il « ne laisserait jamais Taïwan devenir la prochaine Ukraine ».
Son argument politique, principal garant de la paix dans le Détroit qui prend le contrepied du candidat du DPP William Lai, adepte de la rupture, pour le moment en tête dans les sondages, est qu’il est impossible d’apaiser la relation avec Pékin sans reconnaitre « l’existence d’une seule Chine ».
Son principe, cependant controversé par certains historiens, avait été posé en 1992 à Hong-Kong entre Pékin dont le nº 1 du Parti était Jiang Zemin et Taipei alors sous la présidence KMT de Lee Teng-hui, qui tous deux avaient adhéré au « Consensus d’une seule Chine » [1].
A ces conditions, dit-il, il garantira d’apporter la paix dans le Détroit pour les cinquante prochaines années : « 給我四年時間, 我承諾給台海帶來五十年的和平, 為兩岸互信打下最深厚的基礎 - Donnez-moi quatre ans et je promets d’apporter la paix dans le détroit de Taiwan pendant cinquante ans et de jeter les bases les plus profondes d’une confiance mutuelle entre les deux rives. »
Note(s) :
[1] En novembre 1992, à Hong-Kong, à l’époque encore territoire britannique neutre, Pékin et Taïwan dont les relations bilatérales officielles étaient encore bloquées par l’interdiction des « trois liens » (transport, commerce, communications postales et téléphoniques), étaient parvenu à un « consensus » d’abord non ratifié par la signature de documents officiels, dont la teneur réelle est restée floue.
Alors que Pékin y fait référence pour affirmer que Taïwan et Pékin reconnaissent « l’existence d’une seule Chine », la réalité historique et ses interprétations sont équivoques.
Baptisé 九二共識 (Jiu er Gong Shi - consensus de 92) l’accord négocié à Hong Kong et formellement signé en 1993 à Singapour, ne concernait en réalité que le rétablissement des liens postaux.
Il avait été conclu par des négociations entre deux entités présentées comme « non gouvernementales », en réalité directement pilotées par Pékin (ARATS – Association for the Relations Across the Taiwan Strait - 海峡两岸关系协会 -) et Taipei (S.E.F Straits Exchange Foundation- 海峽交流基金會 -).
Alors que ni les responsable de la SEF ni ceux de l’ARATS n’ont eux-mêmes jamais publiquement fait état d’un authentique « consensus d’une seule Chine », dans ses mémoires, Koo Chen-fu 辜振甫 – Gu Zhen-fu -, représentant taïwanais de la S.E.F lors des négociations de 1992, décédé en 2005 à l’âge de 88 ans, souligne que les deux parties avaient « une interprétation différente de la rencontre de Hong Kong de 1992 et du Consensus ».
Le terme de « Consensus de 92 » a été utilisé pour la première fois en 2000 par Su Chi 蘇起 – Su Qi, 74 ans, KMT qui fut Ministre des Affaires continentales sous la présidence de Lee Teng-hui de 1999 à 2000, puis secrétaire général à la Sécurité Nationale de 2008 à 2010, sous la présidence de Ma Ying-jeou.
Le « Consensus » est encore évoqué en 2005, par Lien Chan alors président du KMT, et James Soong lors de leurs visites successives en Chine dont le but était de renouer un dialogue avec Pékin après la brouille dans le Détroit surgie suite à l’élection de Chen Shui-bian du Min Jin Dang à la tête de l’Île en 2000.