Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

›› Editorial

Pékin agacé par Trump l’inconoclaste. L’irrémédiable rapprochement sino-russe

Pékin et Moscou contre Washington.

A Pékin les élites intellectuelles du Parti voient dans les discordances américaines évoquant sans cesse la destitution du Président, la confirmation que la démocratie est porteuse de chaos, à mille lieues de « l’harmonie » politique suscitée par le système despotique dont elles ne cessent de faire l’éloge.

A Moscou, les commentateurs agacés par les sanctions relèvent à l’instar de Poutine, il y a quelques mois, « le préoccupant manque de professionnalisme de l’exécutif américain » et la cacophonie d’une situation où le Congrès se mettant en travers de sa stratégie de rapprochement avec Moscou, oblige le Président à exercer des représailles indirectes en faisant un détour par la Chine.

En juin dernier, Alexandre Loukine [3], signait un article dans la Revue de la Défense Nationale faisant l’historique du rapprochement sino-russe depuis la chute de l’URSS dont il précisait qu’il avait été accéléré par la politique américaine « hostile aux deux pays, cristallisant les intérêts communs, toujours plus nombreux entre Russie et Chine ».

Au milieu de propositions suggérant que « les États-Unis et leurs alliés abandonnent le monopole d’interprétation du droit international auquel ils s’étaient habitués depuis l’effondrement de l’Union soviétique », il affirmait que « l’ancrage asiatique de la Russie, qui procède à la fois de ses intérêts réels et d’une réaction à l’attitude hostile de l’Occident, était largement irréversible. »

Précisant sa pensée, il ajoutait sèchement que « si quelqu’un, à Washington, pensait que les États-Unis pouvaient utiliser la Russie comme un pion dans leur confrontation avec la Chine, il se fourvoierait cruellement. »

Si les relations de Washington avec Moscou se sont crispées depuis l’entrisme de l’OTAN dans la pré-carré russe après la chute de l’URSS, celles avec Pékin ne sont pas plus brillantes, ponctuées par un bras de fer douanier sur fond de rivalités culturelle et stratégique globales. Après la nouvelle des sanctions américaines contre le département de l’équipement, la CMC rappela aussitôt le vice-amriral Shen Jinlong qui participait à un séminaire naval avec les États-Unis et annula toutes les rencontres militaires planifiées en 2018.

Simultanément, le ministère du commerce, choqué par la nouvelle salve de taxes touchant 200 Mds d’exportations chinoises, annulait sa participation à une négociation qu’il avait d’abord acceptée.

Incompréhensions et nationalismes.

Aux États-Unis, fleurissent les appréciations inquiètes sur les risques que les rivalités enkystées entre Pékin et Washington dégénèrent en conflit militaire ouvert, soit qu’elles se réfèrent au « piège de Thucydide » qui conduisit au premier conflit mondial, soit qu’elles évoquent l’enchaînement des crises économiques creuset des « émotions populistes et des solutions simplistes », mécaniques infernales à l’origine de la 2e guerre mondiale.

Le 28 juillet Cheng Li, sinologue d’origine shanghaienne, Directeur d’études à la Brookings et Président de la Commission Nationale pour les relations sino-américaines, publiait avec Diana Liang, assistante de recherche à la Brookings, une analyse pessimiste décrivant les difficultés pour Pékin et Washington de parvenir à un accord.

Après avoir rappelé que depuis l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001, les États-Unis et la Chine se sont affrontés dans 35 querelles commerciales, le point de vue met l’accent sur les facteurs non économiques pouvant, cette fois, enkyster et aggraver la discorde entre les deux premières économies de la planète.

L’essentiel est articulé à l’analyse des émotions nationalistes qui, en Chine contraignent le Parti à ne pas donner à l’opinion l’impression qu’il « capitule sous la pression ». Celles-ci freinent tout compromis, en dépit des dommages déjà causés à l’économie chinoise par la guerre des taxes dont les effets sont, selon Cheng Li, toujours plus sensibles pour une économie en surplus commercial et dont l’un des moteurs de la croissance est l’export.

Menaçant la stabilité politique interne tributaire de l’offre d’emploi et de la réussite des grands projets d’aménagement du territoire (Xiong’an, Grande baie de Zhuhai, couloir économique Pékin – Tianjin – Hebei) -, la guerre commerciale fragilise moins Washington que Pékin dont la croissance et les réserves de change reposent en partie sur une obédience à géométrie variable aux règles du marché et dont la capacités de riposte du tac au tac sont réduites par le moindre volume des exportations américaines vers la Chine. (Voir l’annexe)

La réaction nationaliste chinoise n’incitant pas au compromis est encore aggravée par les analyses américaines de l’appareil de défense présentant la Chine comme une menace stratégique, tandis que le Parti considéra comme un affront que, dans son dernier discours à l’Union, Trump ait présenté la Chine et la Russie au milieu d’une liste « d’États voyous » et de groupes terroristes.

A Washington, des méfiances symétriques sont nées de l’impression que Pékin, appuyé par Moscou, jouait double jeu sur la question nord-coréenne, tandis qu’à Taïwan, le gouvernement démocratiquement élu subissait un harcèlement militaro-diplomatique sans précédent de la part du Continent. La réaction du Congrès votant le « Travel Act » qui augmentait le niveau politique des visiteurs officiels dans l’Île a ajouté de l’huile sur le feu.

Quant à la communauté d’affaires américaine, s’il est vrai qu’elle se plaint des mesures tarifaires augmentant le prix des exportations de sous-traitants délocalisés en Chine, elle reste globalement solidaire du bras de fer engagé par la Maison Blanche, jugeant préoccupante la trajectoire politique chinoise marquée par l’augmentation du poids du Parti dans les co-entreprises et par la loi sur la sécurité nationale restreignant l’utilisation d’Internet, censurant la presse, tandis que plane toujours l’intention, pour l’instant reportée suite aux protestations, d’obliger les acteurs étrangers à livrer leurs codes de cryptage internet à la sécurité publique.

*

La dernière partie très pessimiste de l’article qui anticipait l’escalade en cours, exhortait les deux parties à considérer la possibilité d’un compromis pour éviter que « le conflit commercial ne dégénère en guerre réelle ».

Signe que, pour l’instant, l’affaire est dans une impasse, le 19 septembre Roberto Azevêdo, Président de l’OMC, – que D. Trump menace de quitter ce qui réduit à néant la portée de la proposition -, offrait que son organisation serve d’arbitre au conflit.

Note(s) :

[3Directeur du département des relations internationales de l’École des hautes études en sciences économiques de Moscou et du Centre d’études de l’Asie orientale et de l’Organisation de coopération de Shanghai auprès de l’Institut d’État des relations internationales de Moscou. Professeur titulaire à l’Université du Zhejiang et à l’Université du Nord-Ouest en Chine.


• Commenter cet article

Modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

• À lire dans la même rubrique

Le révisionnisme sino-russe sur les traces de la révolution mondiale maoïste. Au Moyen-Orient, les risques avérés d’une escalade mortelle

A Hong-Kong, l’inflexible priorité à la sécurité nationale a remplacé la souplesse des « Deux systèmes. »

14e ANP : Une page se tourne

La stratégie chinoise de « sécurité globale » face aux réalités de la guerre

Que sera le « Dragon » ?