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Présidentielles. Victoire de Lai Qing De ; net recul législatif du Min Jin Dang. Souple et pragmatique, Ko Wen-je renforce sa position d’arbitre

Confirmant les sondages, le « ticket » Lai Qing De – Hsiao Bi-kim (lire : Présidentielles 2024 : Lai toujours favori. L’écart avec Hou se resserre. Les perspectives du scrutin législatif se brouillent) dont la vie intellectuelle et politique est fortement influencée par l’Amérique a été élu au suffrage universel direct à un tour avec 40,02% des voix contre 33,49% au candidat du KMT Hou You Ih qui n’a réussi à rallier que 33,49% des électeurs.

Alors que la participation est tombée à 71,86% contre 74,90% en 2020, l’un des faits remarquables de l’élection est que Ko Wen-je, chirurgien urgentiste, ancien maire de Taipei (2014-2022) au parler atypique et abrupt [1], fondateur en 2019 du « Parti du Peuple Taïwanais » confirme sa qualité d’acteur politique crédible avec 26,46% des voix, en majorité celles de la jeunesse, avec le pouvoir potentiel d’influer sur les prochains scrutins.

A l’annonce des résultats, des supporters de Hou, le candidat du KMT, battu par Lai de plus d’un million de voix, n’ont pas manqué de blâmer la défection de Ko Wen-je, parti le 27 novembre dernier en claquant publiquement la porte de leur alliance. Lire le § « Mise à jour le 27 novembre » de notre article Promouvoir la démocratie et les libertés pour échapper au face-à-face avec Pékin. Les frustrés soulignent que, si les deux avaient maintenu leur compromis, leur « ticket » aurait triomphé avec plus de 60% des voix.

En réalité, l’attelage était improbable, non seulement à cause de leurs divergences historico-politiques, Ko ayant une aversion pour l’époque de la « terreur blanche » infligée à partir de 1947 à l’Île par Tchang Kai-chek et prolongée par son fils Jiang Jingguo jusqu’en 1988, mais aussi à cause de l’antipathie égotique caractérielle entre Ko et Hou.

Mais à Washington et à Pékin, les deux acteurs rivaux de ce théâtre stratégique régulièrement enflammé par les menaces chinoises, toujours au bord de l’explosion attisée par la mèche lente de l’intention taïwanaise de rupture, les observateurs attentifs n’ont pas manqué de constater qu’au milieu des communiqués de victoire, le paysage politique de l’Île évolue, tiraillé par des tendances contradictoires.

On y distingue à la fois une forte progression de la conscience identitaire séparée de l’Île et, en même temps, depuis les législatives de 2020, confirmé par le scrutin présidentiel de 2024, un recul de l’élan de rupture, dont la force est tempérée par le surgissement de la troisième voie de Ko Wen-je et de son Parti du Peuple Taiwanais (TPP).

La force insistante de l’élan de rupture avec le Continent.

La montée de la conscience identitaire est indéniable.

Durant le quart de siècle qui court depuis 2000, la démocratie surgie dans l’Île à la fin des années quatre-vingt et mise en œuvre pour la première fois en 1996, par l’élection à la présidence au suffrage universel direct du candidat KMT Lee Teng Hui avec 54% des voix, les Taïwanais ont porté cinq fois au pouvoir une figure de la mouvance de rupture dite du progrès démocratique - DPP – Chen Shui Bian : 2000, 39,3% des voix – et 2004, 50,11% des voix ; Tsai Ing-wen : 2016, 56,12% des voix ; 2020, 57,13% des voix ; Lai Qing De : 2024, 40,02% des voix.)

Dans le même temps, selon les sondages, la proportion des électeurs qui se disent avant tout Taïwanais a augmenté de 20% en 1994 à 58% en 2022 ; tandis la proportion de ceux qui s’estiment avant tout chinois s’est effondrée de 25% à 3%. Les réponses exprimant à la fois une identité taïwanaise et chinoise ont également reculé de 45% à 30%.

La tendance de fond élargissant le fossé de la rupture à la fois avec le KMT et le Parti Communiste chinois a de longues racines. L’un des haut-responsables Taïwanais qui l’incarne le mieux dans l’histoire de l’Île est Peng Ming-min.

Décédé le 8 avril 2022 à l’âge de 98 ans, il avait déjà en 1972 publié « Le goût de la liberté – Mémoires d’un indépendantiste formosan » traduit en français en 2011 par les éditions René Viénet. Lire : « Le Goût de la liberté », Mémoires d’un indépendantiste formosan.

Une autre trace de la longue trajectoire séparatiste de l’Île est incarnée par le parcours politique de Lee Teng-hui décédé en juillet 2020 à 97 ans.

Premier président de l’Île issu du KMT, authentiquement taïwanais, élu au suffrage universel direct en 1996 avec 54% des voix, précisément contre Peng Ming Min du 民進黨 qui obtint 21,1% des suffrages, Lee avait, en 1999, alors qu’il était encore Président, opéré un brutal virage stratégique en faisant la promotion des « deux États séparés ».

Après son mandat à la tête de l’Île, suivi par les huit années de la présidence de Chen Shuibian, premier chef de l’État élu en 2000, issu de la mouvance de rupture du Minjindang, Lee Teng-hui se rapprocha de Tsai Ing-wen. Pendant deux décennies, et en dépit des violentes critiques du KMT dont il fut exclu, il porta jusqu’à la fin de sa vie l’intrépide défi démocratique et identitaire de l’Île.

Le scrutin du 13 janvier 2024 marque cependant aussi un freinage de l’élan de rupture.

Note(s) :

[1Ko Wen-je, nouvel arbitre du jeu politique taïwanais.

Bien implanté dans le nord de l’Île, maire très populaire de Taipei, Ko Wen-je a récemment montré qu’il pouvait rallier des soutiens dans les fiefs indépendantistes du sud.

Sa popularité de chirurgien urgentiste devenu homme politique est en hausse, essentiellement parce que, sans heurter Pékin dont en 2015, tournant le dos au DPP, il a reconnu la « politique d’une seule Chine » qui le rapproche du KMT, il propose une troisième voie politique. Sa plateforme politique qui s’éloigne de la confrontation entre le KMT et le DDP portant toujours les stigmates de la guerre civile, séduit les jeunes générations, dont les regards se tournent plus vers les défis domestiques.

Interrogé par un journaliste sur sa volte-face politique de 2015 qui l’éloigne de la plateforme de rupture du DDP, il a répondu sans commentaires que la plupart des grands pays du monde reconnaissent « la politique d’une seule Chine ».

Le 13 janvier, plus d’un quart des électeurs taïwanais, dont de nombreux jeunes, ont choisi de voter pour ce non-conformiste qui a fait campagne sur la fin de l’opposition binaire entre les « Bleus » et les « Verts » et dont l’ascension a été confirmée par les progrès de son parti aux législatives.

Son audience dans l’Île augmente malgré ses fréquentes gaffes. En octobre 2023, il comparait les relations entre les deux rives au « cancer de la prostate » dans une métaphore qui, selon lui, illustrait la nécessité de coexister avec ses ennemis.

Il avait aussi été critiqué pour plusieurs commentaires misogynes au cours de son mandat politique de maire de Taipei, mais que ses supporters assimilèrent à une « excessive franchise », dont il était prêt à reconnaître l’outrance. Ses ennemis rappellent qu’en 2018, il avait déclaré que « les femmes taïwanaises qui ne se maquillaient pas pouvaient effrayer le public quand elles sortaient dans la rue. »

Il reste que ses résultats personnels à la présidentielle et la performance de son Parti aux législatives sont à ce jour les signes le plus clairs que ses électeurs dont beaucoup sont des passionnés, sont en train de parvenir à élargir et à déverrouiller le paysage politique de l’Île. Sauf accident, il faudra compter sur le pragmatisme de Ko Wen-je à la présidentielle de 2028.


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