Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

›› Lectures et opinions

Subjuguer Taiwan : les cinq options de coercition du parti communiste

Début novembre, Hal Brands, professeur à l’Université d’études internationales John Hopkins, proposait sur Bloomberg, une très complète analyse de cinq options d’une éventuelle offensive de Pékin contre Taiwan. Sa conclusion, plutôt pessimiste, est alignée sur celle des milieux proches du Pentagone qui anticipent un conflit dans le Détroit vers 2027-2030.

Le 9 novembre, intervenant en visio-conférence à la Conférence de sécurité de Taipei (lire : Promouvoir la démocratie et les libertés pour échapper au face-à-face avec Pékin), Michèle Flournoy, 63 ans, ancienne sous-secrétaire d’État à la défense de 2009 à 2012 sous la présidence de Barack Obama, soulignait que sous l’impulsion de Xi Jinping, l’armée chinoise se préparait à une attaque de l’Ile.

« Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, la Chine montre ses muscles économiques, met en œuvre une stratégie coercitive et renforce son armée, avec comme objectif de la rendre apte à une action de force contre Taiwan ».

La vision est la même que celle de l’actuel responsable de l’armée de l’air américaine, Frank Kendal : « Quelles que soient ses intentions réelles, [les faits montrent que] la Chine se prépare à une guerre et plus spécialement à une guerre contre les États-Unis. »

*

Les cinq hypothèses de Hal Brands vont d’une attaque amphibie et aéronavale directe, prélude à une invasion militaire de l’Île jusqu’au harcèlement permanent dont les effets s’observent aujourd’hui, en passant par le blocus naval, la saisie par un coup de force militaire des îles de Qinmen 金门 (Quemoy) et Matsu 马祖 (respectivement situées près de Xiamen et face à Fuzhou à moins de 3 et 5 nautiques du Continent) avec les variantes de bombardements et de prises de gages territoriaux.

Chacune des options est présentée avec ses avantages, inconvénients et risques pour les trois protagonistes que sont Taipei, Pékin et Washington.

Mais Brands ajoute au passage que la meilleure hypothèse de paix serait que Xi Jinping prenne conscience que tous les cas de figure recèlent plus ou moins un risque fatal pour l’appareil. En revanche, dit-il, les plus gros périls pour la paix résident dans l’échec des solutions les moins violentes qui pousserait Pékin à passer à l’action.

1re option : Réunification pacifique, sous contrainte.

Il s’agit à l’évidence du premier choix de Xi. Encore plus conscient depuis la guerre en Ukraine des risques d’une agression directe, il préfère clairement la coercition soigneusement calculée pour rester en dessous du seuil d’un conflit militaire.

Depuis des années, l’APL multiplie les démonstrations de force, franchissant la ligne médiane du détroit et pénétrant aux limites sud, au large de Kaohsiung, dans la zone d’identification de défense aérienne de l’Île. Sans jamais pénétrer dans son espace aérien, elles ont un but tactique et psychologique, destiné à réduire la liberté de manœuvre de la chasse taïwanaise et à donner l’impression que l’île est incapable de se défendre.

La désinformation, les cyberattaques, les efforts visant à isoler diplomatiquement Taïwan et la puissance des interactions économiques et commerciales [1] complètent cette campagne.

Ce mode d’action, largement privilégié par les stratèges chinois à un engagement militaire direct, conduirait à un affaiblissement de l’esprit de résistance des Taiwanais et, à la longue, à la prise de conscience du caractère inéluctable de la réunification.

Le problème est que la manœuvre ne fonctionne pas.

Sur la scène internationale, au lieu d’isoler l’Île, elle l’a rapprochée des Etats-Unis. A L’intérieur, elle a provoqué une réaction adverse des Taiwanais. Les pressions et menaces militaires chinoises qui se sont également exercées contre les démocrates à Hong Kong, à moins de 2 heures de vol de Taipei, ont politiquement affaibli la mouvance du KMT qui porte un projet de réunification.

En revanche, elles ont conforté le « Min Jin Dang, Parti du progrès démocratique 民进党 » en rupture avec l’idée d’une seule Chine.

Le rejet du Continent se lit dans les chiffres des sondages. Entre 1996, année de la première élection présidentielle au suffrage universel direct et 2023, le pourcentage des taiwanais favorables à une réunification immédiate - ajoutés à ceux qui l’espèrent après une période de statuquo - est passé de 22,9 à 7,45%.

Par contraste, le Taipei Times du 2 septembre, rapportait qu’un sondage de la « Taiwanese Public Opinion Foundation » effectué auprès d’un échantillon de la population entre 22 et 44 ans, révèle que 48,9% des personnes interrogées soutiennent l’indépendance. Hormis Taoyuan, ce courant constituerait le groupe le plus important dans la totalité des villes du pays.

Plus encore, le résultat s’il était confirmé par d’autres sondages marquerait une claire bascule de l’opinion en faveur de l’indépendance et un écart par rapport à l’idée d’un statuquo que les sondés ne soutiennent plus qu’à 26,9%.

Si le retournement de l’opinion tournant le dos à la prudence attentiste était validé, il confirmerait que la contrainte sans la guerre ne fonctionne pas et que le centre de gravité politique de l’Île s’éloigne du Continent.

Le constat confirmé par un sondage du Centre d’Analyse électorale de juin 2023 attestant que 62,8% des sondés se disent plus taiwanais que chinois (ils étaient seulement 17,6% en 1992), conduirait Pékin à envisager de prendre le risque d’une action de force.

2e option : Prise de gage par l’occupation de Jinmen et Matsu.

Mao Zedong qui, en 1955, avait été dissuadé par Washington de les annexer (1re crise de Taiwan), les avaient fait lourdement bombarder en 1958 (2e crise de Taiwan), avant – sans pourtant cesser de les pilonner - d’y renoncer, après que 31 Mig-17 chinois aient été abattus par des missiles air-air « Sidewinder » équipant les F-86 « Sabre » livrés par Washington.

Aujourd’hui, compte tenu du rapport de forces et de la position des îles imbriquées dans les côtes du Fujian, les deux îles ne seraient pas défendables militairement, d’autant que Pékin pourrait aussi y déployer des troupes sous un prétexte humanitaire.

En première analyse cette solution de prise de gages territoriaux enchâssés dans « la gueule du dragon » paraît un ingénieux machiavélisme. Taipei serait placé devant un choix impossible : soit engager son armée au prix d’importantes pertes ; soit laisser Pékin envahir une partie de son territoire.

Le dilemme serait aussi américain : soit combattre la Chine pour deux îlots sans la moindre signification stratégique ; soit risquer de faire peser un doute sur sa promesse de protéger Taïwan. Par ce coup de maître, disent les thuriféraires de la puissance chinoise, la Chine humilierait Taipei et ferait sans risque l’étalage de sa domination militaire, tout en créant des choix difficiles et peut-être des dissensions chez ses ennemis.

Il reste que, compte-tenu de la géographie, la réalité tactique est cependant que la prise de contrôle des îles ne peut être considérée comme la prémisse d’une invasion de Taïwan, de l’autre côté d’un bras de mer, large de 130 à 180 km.

Il est même possible que, dans l’actuelle prise de conscience taiwanaise de l’urgence d’organiser une défense opérationnelle territoriale (lire : A l’ombre de Pékin, un « Double Dix » à l’esprit de résistance), l’agression des îles catalyse l’esprit de résistance des Taiwanais et accélère encore le rapprochement militaire entre Washington et Taipei.

Atteignant en réalité l’inverse du but recherché, la conquête de Jinmen et Matsu pourrait même inciter Washington à stationner des troupes sur l’Île, rendant par là même son invasion encore plus difficile.

Note(s) :

[1La dépendance des exports taiwanais au marché chinois reste une vulnérabilité en dépit des efforts de l’Île pour diversifier ses clients. Entre 2012 et 2022, la croissance moyennes des exportations taiwanaises vers le Continent et Hong-Kong était de +4,4%. Le résultat est que le Continent et la R.A.S restent les principales destinations des exportations de Taïwan, représentant 38,7% des exportations globales en 2022.

Dans ce total, les semi-conducteurs constituent en valeur (estimée à plus de 150 Mds de $), la plus grande part des ventes à la Chine qui ne cesse de croître. En 2012, elle ne représentait que 32,9% des exportations. En 2022, le ratio est passé à 62,4%. Les chiffres tracent l’ampleur de l’interdépendance dans ce secteur stratégique.

A cette dépendance structurelle, il convient d’ajouter la stratégie visant à augmenter les connections entre l’Ile et le Fujian (lire : Séduction au Fujian, harcèlements dans le Détroit, le dilemme taïwanais du Parti Communiste chinois) et les efforts financiers proposant aux ingénieurs taïwanais des très attractifs salaires.

Selon Nikkei Asia, plus de 3000 ingénieurs informaticiens taïwanais travaillent en Chine, attirés par une surenchère sur leurs salaires 2,5 fois plus élevés que chez le Taïwanais TSMC.


• Commenter cet article

Modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

• À lire dans la même rubrique

Chine - Occident. Une guerre d’images

Depuis le conflit à Gaza, Pékin confirme son nationalisme antioccidental

Le Parti met en examen Terry Gou, candidat à la présidentielle taiwanaise

L’impasse énergétique de Tsai Ing-wen

Un expert japonais de la Chine explore les arrière-pensées stratégiques de Xi Jinping