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« Super Girl » et la société civile chinoise. Le dernier rêve de Guy Sorman

Contrairement à ce que croient beaucoup d’Occidentaux la société chinoise est aujourd’hui traversée par de très fortes tensions. Elle n’est ni ordonnée, ni harmonieuse, ni complètement éduquée. Croire qu’un système politique ouvert pourrait s’installer de but en blanc et sans dommages c’est prendre un risque considérable d’explosion que le pouvoir refuse d’assumer. On pourra le taxer de mauvaise foi ou de pusillinanimité. Mais lorsque le « China Daily » écrit que l’émission « illustre les perversions d’une démocratie mal préparée », il renvoie au spectre de l’effondrement de l’URSS, livrée aux oligarques mafieux et souligne la méfiance que l’ouverture politique inspire aux dirigeants.

Une société civile indépendante en Chine a t-elle des chances de voir le jour et quels en seraient les ferments ? Aujourd’hui les abus restent nombreux (salaires impayés, y compris à Pékin, protestations brutalement étouffées, terres confisquées, exploitations abusives de mines dangereuses, corruptions et spoliations massives, dérives mafieuses...) ; les contrôles sont omniprésents et la société, fragmentée socialement et géographiquement, est éclatée comme des milliards de grains de sable (l’image est de Sun Yat Sen). Etouffée par la contrainte, elle est pour l’instant incapable de la moindre spontanéité politique et encore moins de générer une opposition structurée.

Contrairement à ce que suggère l’auteur les dirigeants voient bien que la société devient plus complexe à mesure que la Chine se modernise et s’urbanise (dans un vingtaine d’années plus de 50% de la population chinoise vivra dans les villes), tandis que l’élévation du niveau de vie, l’ouverture à l’étranger et peut-être la lassitude du matérialisme économique susciteront de nouvelles attentes. Celles-ci, dont il faut bien dire qu’elles commencent à réinvestir de manière informelle et non organisée la sphère politique, s’expriment sur des centaines de milliers de « blogs » du réseau internet.

De rudes épreuves attendent donc les tenants de l’immobilisme et du contrôle totalitaire. Rien ne dit qu’ils ne seront pas débordés et qu’ils parviendront à toujours verrouiller les initiatives spontanées, sources de contre pouvoirs. Rien ne dit non plus qu’ils ne devront pas céder le pas aux réformateurs, convaincus que la meilleure manière d’éviter d’aller dans le mur est d’instiller progressivement l’état de droit, tout en mettant en oeuvre une sorte de « démocratie limitée aux caractéristiques chinoises ». Il s’agirait en somme d’un difficile exercice d’équilibre : donner la parole au peuple, aux intellectuels et aux chercheurs - ce qui peut s’avérer utile pour lutter contre les abus des cadres locaux, les bavures de l’appareil sécuritaire souvent trop expéditif ou les entrepreneurs sans scrupules -, sans cependant aller jusqu’à remettre en cause le système lui-même.

Prenons quelques exemples : les échecs de l’Etat dans les secteurs de l’éducation, de la médecine et des couvertures sociales pourraient susciter de nouvelles vocations philantropiques et l’émergence de systèmes parallèles, versions humanistes de l’enseignement et de la médecine privés, réservés aux priviligiés. Déjà une nouvelle classe de riches entrepreneurs voit le jour, moins corrompue, moins matérialiste, plus à l’écoute de la population et disposée à aider les plus démunis, d’ailleurs dans la plus pure tradition de la morale confucéenne. Cette mouvance, dont les enfants sont formés à l’étranger et éduqués à l’esprit critique, se connecte sur le web et exprime ses aspirations en rivalisant d’ingéniosité pour contourner les censeurs.

On cite aujourd’hui des cas où, pour tenter d’échapper à leur détresse ou sauver un malade condamné par le manque de ressources, les plus pauvres s’adressent directement aux plus riches, en dehors des circuits officiels inopérants. Faisons le pari que le pouvoir tentera de récupérer ces tendances en les organisant. Simultanément le PC, assisté par le BIT, songe à revoir le droit du travail et à donner plus de pouvoir aux syndicats. Qu’il le fasse par humanisme social ou simplement pour tenter de mettre au pas les chefs d’entreprises abusifs, le fait est que le système, qui mesure les risques des frustrations et se livre à des expériences très contrôlées de démocratie locale, n’est pas aussi immobile qu’on le dit. Quant à l’avenir, personne ne sait. Pas plus Guy Sorman que les autres.

Reste en effet à savoir si les évolutions en cours, qui avancent le long d’un étroit sentier, en prenant le contrepied de la modernisation à tout va, heurtant de puissants intérêts économiques et politiques, ne génèreront pas des tensions au sein même du pouvoir. Une pespective noire qui serait peut-être le prélude à de nouveaux désordres, car en Chine, les crises, qui font aussi le lit des changements, ne viennent pas des jeunes filles qui chantent à la télévision, mais presque toujours de luttes politiques au sommet.


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Par Anonyme Le 28/08/2006 à 16h46

> « Super Girl » et la société civile chinoise. Le dernier rêve de Guy Sorman.

Je n’ai rien écrit sur la Chine dans L’Express ce qui relativise la valeur de la critique . En revanche , aprés des années passées en Chine , j’ai bien publié un livre assez gros L’année du Coq , Chinois et rebelles , Fayard ( 2006 ) . Il y est question de Supergirl mais pas que de cela.
Guy Sorman

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