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Taiwan à la recherche d’un nouveau soft-power

Diplomatie d’influence.

Le réseau diplomatique « officiel » de l’île fond comme peau de chagrin mais ce n’est plus vraiment pour sauver ce qu’il en reste que les diplomates taïwanais se pressent. L’objectif désormais est de se rapprocher des grandes démocraties mondiales. Dans le cadre de la New Southbound Policy, Taïwan courtise aussi l’Asie du Sud-Est et l’Océanie, dont nombre de pays partagent avec elle des liens économiques et culturels forts.

Dans ce cadre tout de même extrêmement contraint par les pressions chinoises, Taïwan sait se montrer flexible et ingénieux. La track-two diplomacy taïwanaise fait feu de tout bois et permet de poursuivre une diplomatie de substitution utilisant d’autres moyens.

Par exemple, une partie de la diplomatie officieuse de Taïwan est accompagnée par des personnalités ou organisations aux caractéristiques bigarrées. Ces personnalités incluent des chercheurs, des chefs d’entreprises, des militaires et des diplomates à la retraite. Souvent ces personnes cumulent plusieurs fonctions, et elles voyagent beaucoup. Les organisations en question sont souvent des centres de recherche privés ou des fondations…

Tous tissent des liens avec leurs pairs dans les pays ciblés en invitant des personnalités étrangères n’occupant pas de fonction officielle à des évènements à Taïwan, tels que des rencontres entre chercheurs. L’objectif de ces réunions est d’augmenter les contacts entre stratèges taïwanais et étrangers afin de cultiver des relais d’influence et favoriser une réémergence de Taïwan sur la scène internationale.

Ce point est d’ailleurs confirmé par la dernière revue de défense officielle taïwanaise (2017) : « En faisant ainsi, nous démontrons notre volonté de jouer un rôle dans les activités concernant la sécurité régionale et d’augmenter notre participation au maintien de la paix et de la stabilité de la région Asie Pacifique afin de gagner le support de la communauté internationale envers notre sécurité nationale. »

Il est difficile de mesurer les effets concrets de cette diplomatie « de substitution » mais il est raisonnable de considérer qu’il s’agit d’un outil imparfait visant à compenser l’impossibilité pour les Taïwanais de profiter d’une diplomatie classique. Contrainte par la nature officieuse de ses liens avec ses partenaires les plus privilégiés et assommée par le poids et l’omniprésence du facteur chinois, la diplomatie taïwanaise a moins de chances de parvenir à nourrir des relations de confiance avec ses pairs et donc de se rendre audible.

Sans cultiver ce lien, il devient moins probable que Taïwan réussisse à engranger un soutien direct. Le besoin ardent d’exister au niveau diplomatique reste donc confronté à un manque de moyens et d’interlocuteurs. Ce problème fut mis en relief lors de la dernière cérémonie de remise des bourses aux étudiants en langue chinoise ; un événement à la portée somme toute modeste mais auquel le Vice-Président de Taïwan a assisté, délivrant à l’occasion un discours valorisant la poursuite des liens entre l’Île et ses partenaires internationaux. Dans un autre pays, il semble improbable qu’un officiel de ce rang participe à un événement de si faible envergure.

Encore d’importantes marges de progression.

La diplomatie taïwanaise n’a pas encore tout à fait mis de son côté les opinions publiques des pays visés. Pourtant, et devant la difficulté de mobiliser les gouvernements partenaires, Taïwan pourrait investir davantage l’espace médiatique de ces pays pour obtenir un gain de sympathie auprès des opinions publiques. Par exemple, l’utilisation des réseaux sociaux est un outil encore peu exploité. De cette façon, les Palestiniens, les Kurdes et même les Catalans ont réussi à rendre certains publics favorables à leur cause d’autodétermination. Même si la même recette n’est pas applicable telle quelle car les cas sont trop différents, la réflexion sur le « soft power » taïwanais pourrait se nourrir de ces expériences.

Bien que ce soit en projet, les Taïwanais ne disposent pas vraiment d’un service gouvernemental dédié au « soft power » et de peu d’influence pour créer une dynamique vraiment favorable. Le gouvernement français dispose d’une variété de relais d’influence au service du Quay d’Orsay et du ministère de la culture, telle que l’Alliance Française (dont la Chine s’est inspirée pour créer les Instituts Confucius).

Taïwan pourrait s’inspirer de ces exemples pour s’attaquer au déficit de connaissance de l’île. Ici encore, le projet est sur les rails avec la création d’un organe gouvernemental dédié. Le but sera de proposer et de soutenir des initiatives diverses visant à augmenter la connaissance de l’île à l’étranger. Mais à part cette annonce, la communication sur le sujet reste rare.

Une part de l’offre culturelle à Taïwan se fait toujours à l’ombre de groupes médiatiques obscurs aux priorités douteuses et proposant au public des contenus indigents. La télévision insulaire est médiocre et ne dispose d’aucune chaîne internationale comparable à ARTE même s’il pourrait s’agir d’un outil pratique pour se distinguer. Le pays possède la presse la plus libre de toute l’aire asiatique, mais aucun grand titre n’émerge à l’international.

L’essentiel est d’ailleurs très partisan, centré sur l’actualité taïwanaise ou inter-détroit et n’est pas disponible en langue anglaise. Le contenu a donc peu de chances d’intéresser des lecteurs étrangers. Surtout l’aide à la création culturelle manque cruellement. La méconnaissance du problème parmi les diplomates taïwanais et au sein du ministère de la culture engendre passivité et manque de coordination. Quatre décennies de dictature nationaliste ont aussi inhibé pendant longtemps la promotion des arts taïwanais, longtemps tombés en disgrâce.

C’est pourtant l’arbre qui masque la forêt : les arts, la chanson et la littérature à Taïwan sont des secteurs florissants [2]. Qui sait en France qu’Ang Lee, le réalisateur des blockbusters Hulk (2003) et Secret à Brokeback Mountain (2008) est taïwanais ? Tout comme Hou Hsiao-Hsien, réalisateur de l’excellent Father to Son (2018) ? Que le Nature writer Wu Ming-yi, comparé à Haruki Murakami ou à Gabriel Garcia Márques pour son sens du réalisme fantastique, est originaire de Taipei, un signe parmi de nombreux autres de la grande vitalité de la littérature taïwanaise ?

Taïwan peut aussi compter sur la mobilisation d’acteurs étrangers qui lui sont sympathiques. C’est le cas en France de l’Association Francophone d’Etudes Taïwanaises (AFET). Celle-ci fait la promotion en France et à Taïwan de la recherche et de la littérature taïwanaise ou francophone centrée sur l’Île. Elle est soutenue par un certain nombre de chercheurs et d’acteurs très motivés de la société civile. En France l’ambassadeur de facto de l’Île et son équipe se déplacent volontiers pour soutenir ces initiatives.

Du reste, les réseaux diplomatiques de Taïwan à l’étranger sont motivés pour mettre en valeur l’île et la faire connaître. Leur collaboration avec de nombreux partenaires internationaux rend compte d’une rare diversité : théâtre, danse, arts plastiques, littérature…

L’ensemble des acteurs œuvrant pour le « soft power » taïwanais sont donc très motivés mais ils continuent à souffrir d’un certain manque de support et de coordination depuis Taipei. A la fin, on ne sait pas bien quels sont les publics visés et le savoir diffusé sur Taïwan est parcellaire. En revanche, toutes ces initiatives ont le mérite de dévoiler le potentiel de l’Île en matière de « soft power. »

Enfin Taïwan, pays par ailleurs très bien aménagé, possède un fort potentiel touristique nourri par un généreux patrimoine culturel et naturel. Mais ces richesses sont assez souvent mal mises en valeur et l’offre peu développée. Certaines politiques d’aménagement (du littoral surtout) sont chaotiques et l’intégration des rares infrastructures touristiques à leur environnement est parfois désastreux. A l’étranger, le soutien au tourisme est faible. En réalité l’attractivité touristique de Taïwan repose encore en partie sur le bouche à oreille, indice de qualité mais pas de popularité.

Face au Léviathan chinois, la vigueur avec laquelle Taïwan défend son modèle politique intéresse et interroge le reste du monde. Son besoin de sécurité et d’indépendance est en accord avec l’humanisme défendu par les nations démocratiques. Riche de ses nombreuses influences et portée par des acteurs motivés, l’offre culturelle taïwanaise se développe, se diffuse, et crée empathie et passion à l’étranger.

Taïwan possède donc un fort potentiel en termes de « soft power » et les nouvelles élites politiques de l’Île sont en train de le réaliser. Cette stratégie taïwanaise pourrait bien être en mesure de compenser pour partie l’isolement diplomatique de l’Île en la replaçant dans les esprits et sur la mappemonde. En ce sens, tabler sur le « soft power » et augmenter le prestige de Taïwan à l’étranger est une façon efficace de décrédibiliser l’action chinoise visant à rendre Taïwan invisible à l’international.

Mais l’Île revient de loin, la décision de développer son « soft power » est toute récente, la marge de progression est très importante et le besoin que des actions soient entreprises devient pressant. En attendant, les actions internationales entreprises par Taïwan restent très contraintes par le facteur chinois, omniprésent dans les calculs diplomatiques de ses partenaires.
C’est cette barrière que le « soft power » taïwanais doit permettre de contourner.

*

L’auteur remercie chaleureusement Didier Lesaffre pour son soutien dans l’élaboration de cet article et sa relecture attentive. Cet article a été réalisé pour le comité Asie de l’Association des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (ANAJ-IHEDN).

Note(s) :

[2Le site francophone Lettres de Taïwan Lettres de Taïwan rend compte de cette vitalité.


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