›› Editorial

Le décryptage de la situation et des intentions et de la Chine est d’abord conditionné par l’observation de sa politique intérieure. Même opaque, elle livre des indices sur l’avenir immédiat et à moyen terme. Ainsi, après les promesses claironnantes de l’appareil sur le changement climatique, Xi Jinping était absent de la COP 26 à Glasgow.
Le fait est qu’il était attentif à la préparation du 6e plenum du Comité Central visant à lui assurer sa nomination pour un troisième mandat à la tête de l’appareil lors de son 20e Congrès, à l’automne 2022. Alors même qu’il aura dépassé la limite d’âge de 68 ans fixée par la jurisprudence du Parti après les mandats de Jiang Zemin qui, lui-même, était resté à la tête du Parti pendant 13 ans de 64 à 76 ans (1989 -2002) et à la tête de Commission Militaire Centrale jusqu’en 2005 (79 ans), Xi compte bien être à nouveau désigné au 20e Congrès. Ce qui lui permettra d’accéder pour la troisième fois au poste de Président de la République, en mars 2023 dont la limitation à deux mandats a été supprimée en 2018.
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Le 9 novembre, le Comité Central du Parti Communiste Chinois, parlement interne de l’appareil comptant quelques 300 membres, publiait le compte-rendu de son 6e plenum du 19e Congrès [1].
Le long texte dédié à l’histoire du Parti, dont 50% étaient réservés aux accomplissements de l’appareil depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, faisait état d’une « résolution historique » - la troisième depuis la fondation du Parti en 1921 - dont le texte n’a pas encore été rendu public, mais qui probablement appellera le Parti et les Chinois à se rassembler derrière Xi Jinping.
Après avoir relevé que, grâce à Mao, la Chine ne serait désormais plus harcelée et mise en coupe réglée par l’Occident comme elle l’avait été pendant les « traités inégaux » au XIXe siècle, le compte-rendu, puissant exemple d’un discours convenu d’où avait été effacée jusqu’à la plus infime autocritique, insistait sur les thèmes chers à Xi Jinping.
Sans cesse répétés par l’appareil, ils diffusent l’idée de l’irrémédiable continuité de l’histoire, niant les violentes secousses idéologiques et même la volte-face de Deng Xiaoping à la fin des années soixante-dix. A cet effet, la mémoire de Hu Yaobang et de Zhao Ziyang, les deux secrétaires du Parti des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix porteurs des idées dissonantes d’ouverture démocratique et écartés par Deng Xiaoping, ont été effacés de l’image.
Associant aux discours laudatifs Jiang Zemin et ses « trois représentativités » en même temps que le « développement scientifique » de Hu Jintao, le Parti avait déjà proclamé ce souci constant de se référer aux vertus de la cohérence et de la constance, lors des cérémonies du 70e anniversaire, il y deux ans, et encore récemment, le 19 octobre dernier, après une réunion du Bureau Politique présidée par Xi Jinping.
On y lit toujours la même affirmation de continuité historique sans faille d’un Parti désigné dans les discours par ses dirigeants successifs « 以毛泽东, 邓小平, 江泽民, 胡锦涛同志为主要代表的中国共产党人tous unis dans sa lutte 在党的长期奋斗历程中. » De sorte qu’à la fois nécessaire, implacable et souverain, l’appareil se présente toujours comme la seule structure possible de pouvoir, par laquelle tout commence et tout finit.
Les objectifs affichés ne changent pas non plus. « Unir et conduire le Parti, le peuple et tous ses groupes ethniques 团结带领全党全国各族人民 afin de promouvoir la révolution, 推动革命, la construction 建设 et la réforme, 改革 dont les grands accomplissements 重大成就 sont le socle d’une riche expérience accumulée. 积累了宝贵经验.
Depuis le congrès de 2017 et l’énoncé des « caractéristiques chinoises », citées 28 fois dans le compte-rendu du 6e plenum, le ton qui a radicalement changé, est devenu plus pugnace.
Un nationalisme combatif à la gloire de Xi Jinping.

Pour affirmer la prévalence du Parti à la tête de la Chine, Xi Jinping et le Comité Central ont adopté un ton pugnace et une vision épique de l’histoire du Parti débarrassée de ses soubresauts idéologiques.
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Dans cette continuité combative, le 19 octobre dernier, trois semaines avant la session plénière du 8 novembre, le communiqué de la réunion du Bureau Politique avait le ton et la teneur épiques de la proclamation de la République Populaire par Mao Zedong au balcon de la Cité interdite, le 1er octobre 1949.
« Le Parti Communiste et le peuple chinois déclarent solennellement au monde 向世界庄严宣告 que la nation chinoise s’est levée 站起来了. Grâce à une lutte héroïque et tenace 以英勇顽强的奋斗, elle a accompli le grand pas en avant 伟大飞跃 historique et irréversible 不可逆转的历史进程, menant de l’enrichissement à la puissance, 富起来到强起来的 réalisant ainsi la grande renaissance de la nation chinoise 实现中华民族伟大复兴 ».
Dans un environnement global dont les grands défis sont inédits « complexes et graves, jamais vus depuis un siècle » où la Chine s’est hissée au statut d’acteur majeur, c’est logiquement au Parti, avec à sa tête Xi Jinping cité 15 fois dans le texte, que sont attribuées la modernisation de l’APL, la préservation de stabilité sociale, l’amélioration générale des conditions de vie par l’accès de tous à « une prospérité commune 共同富裕 », les réformes modifiant le schéma de croissance [2] ainsi que les victoires contre l’épidémie de Covid-19 et contre la très grande pauvreté.
Ayant réécrit son histoire pour en gommer toutes les aspérités, le Parti qui dit lui-même que sa trajectoire des cent dernières années fut « une contribution glorieuse à la civilisation humaine, 中国共产党百年辉煌成就对人类文明的贡献 », affirme que l’exposé de ses grandes réalisations constitue la base indispensable pour aller de l’avant.
Il s’agit de maintenir les « caractéristiques chinoises » tout au long de « l’ère nouvelle », de renforcer à la fois la capacité de répondre aux défis et la résilience de la population pour réaliser « le rêve chinois de renaissance nationale », tout en confirmant la prévalence politique indiscutable de Xi Jinping.
Si on cherchait une preuve supplémentaire que l’exercice orchestre la prolongation du mandat de Xi Jinping au moins jusqu’en 2027 et peut-être au-delà, dans une ambiance générale marquée par le retour hystérisé du culte de la personnalité, il suffit de se référer aux articles laudatifs des médias publics.
Le 5 novembre, trois jours avant l’ouverture du plénum, Xinhua, parlant de Xi Jinping, écrivait dans un tweet « C’est à la fois un homme de détermination et d’action, et un homme de pensée aux sentiments sincères ; un homme qui travaille sans relâche, héritier de l’histoire mais osant innover et doué d’une capacité de vision. »
Opacité du régime, perplexités et inquiétudes.

A gauche, Xi Jinping, Wang Qishan, le Vice-Président et Li Keqiang, le premier ministre. Idéologiquement tout les sépare. Quand Wang ancien financier prêtait la main à la lutte contre la corruption, à la tête de la Commission de discipline, il savait et l’avait dit, que la violente opération « main propres », parfois brouillée par des arrière-pensées politiques ne traitait que les symptômes, le mal étant généré par le système lui-même.
Quant à Li Keqiang, issu de la « ligue de la jeunesse », ayant travaillé sur un livre synthèse de la situation chinoise, patronné par la Banque Mondiale, il est un adepte de la vérité des faits à mille lieues de la vision politique anti-occidentale de Xi Jinping. Mais par patriotisme et fidélité au système, Wang et Li restent dans le rang. Pourtant, même si elles sont bridées par la censure, des oppositions internes existent.
A droite, Xu Zhangrun, ancien professeur de droit à Qinghua qui avait vertement attaqué Xi Jinping pour avoir replacé la Chine dans le sillage toxique de Mao et Madame Zi Zhongyun, 91 ans, politiquement intouchable, historienne et sociologue, ancienne spécialiste des études américaines à l’Académie des Sciences Sociales, le plus puissant centre de recherche du pays, elle stigmatisait récemment l’agressivité internationale de Pékin.
« J’affirme sans aucun doute, que tant que les activités et la pensée renvoyant à la révolte xénophobe des Boxers recevront la caution officielle du pouvoir en l’assimilant à du patriotisme, et aussi longtemps que, génération après génération, nos compatriotes chinois seront éduqués dans cette mentalité, de “Loup guerrier“, il sera impossible pour la Chine de prendre sa place parmi les nations civilisées modernes du monde. ».
Pour J.P. Béja, sinologue et Directeur de recherche au CNRS, en dépit de la censure, « les informations parviennent à passer à l’étranger. Internet existe, la censure peut être contournée, les Chinois voyagent, Hong Kong et Taïwan restent des lieux où les informations s’échangent. »
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En attendant la parution de la « Troisième résolution historique », la plupart des observateurs tentent de percer l’opacité de la machine politique pour en constater non seulement les excès hystérisés, mais aussi les failles et d’éventuels contrefeux internes.
Valérie Niquet, sinologue de la FRS, qui constate l’emprise croissante du contrôle idéologique et le retour du culte de la personnalité, note que « la pensée présidentielle déjà inscrite dans la Constitution, est devenue l’an dernier une application pour smartphone et un sujet d’étude à part entière dans toutes les universités de Chine. »
La paranoïa de contrôle se diffuse même à l’étranger. Fin octobre, l’université Tongji de Shanghai et le consul chinois à Düsseldorf, Feng Haiyang, sont intervenus pour empêcher la présentation du livre de Stefan Aust et Adrian Geiges « Xi Jinping der mächtigste Man der Welt – Xi Jinping, l’homme le plus puissant du monde » Piper, Munich 2021. 288 pages, ISBN 978-3-492-07006-5.
Dans ce contexte de durcissement inédit du régime chinois à l’extérieur comme à l’intérieur, Jean-Pierre Cabestan, sinologue, auteur avec Pierre-Antoine Donnet de « La Chine le grand prédateur », août 2021, éditions de L’aube, note que, depuis 2012, « Xi Jinping s’est fait beaucoup d’ennemis au sein des élites et de la classe moyenne. »
Enfin, alors que Pierre Haski constate, comme la plupart des observateurs « l’importance d’une partie ambitieuse et risquée que Pékin joue à l’échelle du monde, où tout le monde n’obéit pas aussi facilement à Xi Jinping », Nicolas Chapuis ambassadeur de l’UE à Pékin, récemment cité par Frédéric Lemaître, dans Le Monde du 8 novembre proposait une synthèse des contradictions dans lesquelles le régime qui craint pour sa pérennité, se trouve enfermé.
« L’affirmation de plus en plus soutenue de la puissance chinoise dans l’ordre international issu de la seconde guerre mondiale conduit au paradoxe qui suit : la Chine conteste ouvertement un système dont elle a su, mieux que d’autres, tirer le plus grand bénéfice au cours des quarante dernières années mais qui, selon elle, lui dénie le rôle de premier plan auquel elle aspire dans l’organisation de la planète et, sans doute, menace la pérennité de son régime politique » [3].
Note(s) :
[1] Durant les cinq années de la mandature d’un congrès, le Comité Central tient 7 sessions plénières ou « plénums » - 197 membres de droit et 151 suppléants -, dont la sixième est généralement consacrée aux mises au point idéologiques et à la construction du Parti. Cette fois, la cession a revêtu une importance particulière.
Par une résolution qualifiée « d’historique », inscrite dans l’histoire de l’appareil depuis 1921, au même titre que celles reconnaissant les rôles majeurs de Mao et Deng, elle vise à consolider le pouvoir de Xi Jinping en vue de sa reconduction pour un troisième mandat à la tête de l’appareil à l’automne 2022, lors du 20e Congrès.
Pour clarifier les conditions de cette éventuelle nomination, rappelons que la règle de la limitation à deux mandats présidentiels, supprimée par l’ANP en mars 2018 sur proposition du Comité Central et de Xi Jinping, ne concerne pas la charge de secrétaire général du Parti. En revanche, celle-ci est toujours soumise à la jurisprudence d’un âge limite.
Jusqu’à présent elle obligeait ceux âgés de 68 ans et plus à laisser la place ; quand ceux de 67 ans et moins étaient autorisés à rester en fonction. L’appareil qui raffole des synthèses à 4 caractères appelle cette règle non écrite « 七 上, 八 下 – qi shang, ba xia - 7 (pour 67) on monte, 8 (pour 68) on descend » . Or Xi Jinping, né en 1953 aura 69 ans en 2022. En toute logique il devrait donc laisser la place.
[2] Quand le Comité Central et Xi Jinping expliquent qu’ils « réforment » la structure générale de l’économie et son schéma de croissance, ils évoquent un chantier dont la difficulté est inextricable.
Exemples : 1) S’il est exact que la croissance a été spectaculaire, avec un taux encore supérieur à 10% en 2010, aujourd’hui elle freine sensiblement à seulement +4,5%. Son maintien à ce niveau exigera de réformer le schéma productif toujours en partie basé sur l’apport de la main d’œuvre des 200 millions de « migrants intérieurs » dont le statut socio-économique reste vulnérable.
2) La crise toujours en cours du géant immobilier « Evergrande » est le symptôme d’un dysfonctionnement grave du système de propriété encore exonéré de taxes qui pousse mécaniquement à la spéculation et à la hausse des prix. Lire : Le grand défi politique des taxes à la propriété.
[3] Les reproches faits à la Chine - en réalité au régime communiste - devenu clairement agressif depuis l’avènement de Xi Jinping, ne s’alimentent pas seulement des craintes de sa montée en puissance, principal argument de l’appareil quand il se heurte à des contrefeux internationaux.
Une bonne partie de la défiance suscitée par la Chine est d’abord attisée par ses prétentions territoriales en mer de Chine du sud grande comme la Méditerranée que Pékin prétend annexer à 80%. Les tensions ont récemment été attisées par l’entrée en vigueur 1er septembre dernier d’une nouvelles version amandée 修订 de la Loi chinoise sur la sécurité maritime. Lire : Mer de Chine méridionale. Le fait accompli se pare de juridisme.
Quel que soit l’angle de vue, cette initiative qui transforme la mer de chine du sud en mer intérieure chinoise exigeant des navires qui y pénètrent qu’ils s’identifient et donnent les détails de leur chargement, est un fait accompli.
Son premier effet est non seulement de dresser contre Pékin tous les riverains de la Mer de Chine, mais également d’accélérer la cristallisation de l’alliance « Quad » qui sous l’égide de Washington établit avec Tokyo, New-Delhi et Canberra un front anti-chinois.
Le même raisonnement vaut pour l’accélération des pressions militaires contre Taïwan dont le premier effet est de rapprocher Taipei et Washington et d’augmenter l’intérêt de la communauté internationale pour le système démocratique de l’Île.