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Voyage dans le Yunnan

... et dans la Chine profonde.

Au sud des nuages. L’éternel printemps.

Pour sentir les palpitations des foules chinoises émerveillées par l’immensité et la diversité de leur pays qu’elles ne découvrent que depuis quelques années, je me plonge régulièrement dans les régions reculées du pays. Une de mes destinations favorites est le Yunnan. Littéralement « le sud nuageux » ou « au sud des nuages », car cette langue ambiguë, riche et imprévisible comme le peuple qui la parle, autorise des interprétations diverses.

Les Français, qui y ont séjourné après la conclusion des « Traités inégaux » parce que la zone était proche de l’Indochine, ont aimé le climat du Yunnan, baptisé « le pays de l’éternel printemps », une expression d’ailleurs dérivée d’une formule populaire chinoise. Cette douceur est due à l’altitude qui dépasse souvent 2000 m et abaisse les températures estivales de plus de dix degrés au-dessous de celles de Pékin ou Shanghai. En hiver, la latitude très méridonale préserve la région des froidures de la Chine du Nord. Cependant, aux frontières du Laos et de la Birmanie au sud, le climat est subtropical humide, tandis qu’au Nord il se rapproche des rudesses du plateau du Qinghai, aux confins du Tibet.

Immense plateau entouré de montagnes puissantes et sauvages, parfois hostiles, le Yunnan, grand comme les deux tiers de la France et peuplé de quelques 40 millions d’habitants, est également traversé par trois des plus grands fleuves d’Asie (le Mékong, le Fleuve Bleu et la Salween) et une multitude de rivières qui donnent à la région sont caractère vivace et rafraîchissant.

Enfin, la province dont la partie sud se livre toujours à la culture clandestine, plus ou moins tolérée, du pavot, est la province de Chine ethniquement la plus variée. Si l’ethnie de souche chinoise Han est presque partout ailleurs majoritaire, ici elle doit cohabiter avec environ 20 millions de Chinois appartenant à 26 ethnies non-Han.

Dans ce vastes cirque montagneux aux gradins qui s’élevent abruptement vers le nord-ouest, les sites majestueux sont nombreux et c’est toujours un spectacle étonnant de voir les nuées de Chinois remontés des plaines en denses cohortes regroupées en unités de travail, en familles élargies ou en classes d’écoles, de lycées ou d’universités, se déverser des longues colonnes de cars, dans les hautes plaines du Shangrila (3800 m), escalader les raides escaliers des temples boudhistes de la région de Zhongdian peuplée de Tibétains, ou se déverser le long du Chang Jiang, qu’on appelle aussi le Fleuve Bleu (un adjectif tout aussi immérité que dans le cas du Danube, le fleuve étant boueux et jaune dans la plus plus grande partie de son cours).

Dans ces régions de hautes montagnes et de vallées encaissées, les eaux écumantes coulent entre de profonds et sombres défilés de roches rouges et noires que les touristes photographient interminablement après avoir descendu les escaliers de la « passe du saut du tigre », où le cours du Fleuve Bleu se transforme en rapides. La descente vers ce site, l’un des plus fameux, sinon le plus spectaculaire de Chine, se fait au milieu des chaises à porteurs qui, chargés de leurs fardeaux de touristes fatigués, courent torse nu en transpirant sur les marches abruptes avec une adresse qui vient du fond des âges. Les voyant on ne peut s’empêcher de penser à la « Condition humaine » de Malraux.

En bas, où se pressent les inévitables marchands de colifichets et de souvenirs artisanaux, on vous explique en haussant la voix pour dominer les grondements du fleuve, qu’en des temps immémoriaux un tigre monstrueux a franchi la passe par un double bond, en prenant appui sur une roche qui affleure à peine au-dessus de l’écume et qu’évidemment on photographie en se bousculant. Inutile de dire que, pour s’imprégner de la majesté du lieu, il vaut mieux venir en saison creuse ou faire l’effort d’un lever à l’aube pour échapper aux foules dont la densité ne faiblit jamais à partir de 9h00 du matin jusqu’à la tombée de la nuit.

Les hordes de touristes à l’assaut de la majesté des sites.

Puis les cars repartent vers la prochaine destination. Presque toujours il s’agit d’un restaurant ayant passé contrat avec une multitude d’agences de tourisme. C’est qu’en Chine, où on mange presque tout le temps, sans d’ailleurs trop grossir car la nourriture n’est jamais très calorique, il n’est pas question de sauter un repas même pour les besoins d’une découverte touristique. Cela donne des grandes bouffes ni très bonnes, ni très propres, préparées dans des gamelles en fer blanc dans les cours attenantes aux éviers et aux cuisinières de fortune, et servies dans d’immenses réfectoires au sol gras, pour de grandes tablées rondes, vociférantes et rigolardes.

Quand la première fournée est rassasiée elle quitte les lieux bousculée par la suivante, la moitié des convives ayant le téléphone portable à l’oreille pour hurler à leur famille leur joie de découvrir cette Chine qu’ils ne connaissaient pas et qu’ils sont encore bien loin de comprendre. Alors commencent les manœuvres des cars qui mettent un temps infini à s’extraire de leurs places de parking, forcément étriquées sur ces routes de montagne. Puis toute cette humanité grégaire épuisée et repue, s’endort pour attendre le prochain hôtel où, bien sûr, on se retrouvera en foule compacte et hurlante dans un réfectoire qui ressemblera à s’y méprendre à celui qu’on vient de quitter.

Beaucoup de ces gentils touristes anonymes noyés dans ce flot bousculé et compact, n’avaient jamais quitté leur province natale. L’excitation de ce premier voyage les épuise. Souvent ils dorment dans les cars, oubliant d’apprécier la beauté des paysages.

On aura compris que le tourisme sportif écologique, sac au dos et longues marches solitaires pour goûter la majesté des sites et le silence de la piste, n’est pas encore à la mode en Chine. Les Chinois qu’on rencontre sur les routes ne font que quelques courtes étapes à pied. En revanche on voit parfois des étrangers comme ce jeune couple tchèque tous deux biologistes qui, avec leur fille déjà grande, marchaient depuis des semaines au Yunnan, pour examiner l’état des forêts et s’imprégner de la beauté naturelle des rives du Grand fleuve.

Partout ce sont des nuages blancs effilochés au flanc des montagnes, des cascades argentées coulant le long des crevasses, des petits villages aux murs et aux toits d’ardoise, blottis au fond des vallées. De temps à autre on aperçoit au loin un troupeau de chèvres graciles et rustiques accrochées aux roches instables. La couleur dominante est le vert d’une végétation très dense et le rouge de l’argile. Le vert tendre du fond des vallées étroites laisse la place en altitude à la sombre couverture des épineux, dont le faîte se perd dans la brume des nuages.

Dès que les versants tournent au sud, apparaissent les cultures en terrasses, méticuleusement étagées par un travail millénaire des hommes courbés et abrutis de fatigue, des buffles puissants et rétifs ou, plus au nord, des yacks aux longs poils blancs et noirs et aux grands yeux doux.

Il ne faut cependant pas s’y fier, car l’animal est farouche et n’obéit qu’à son maître. Ce dernier, le visage buriné des Tibétains, coiffé d’un chapeau à larges bords et revêtu d’un poncho de laine qui lui donne un air sud américain, surveille jalousement sa bête dont le prix est évalué à 2000 euros, une fortune dans ces régions déshéritées où les revenus moyens ne dépassent pas 70 euros par mois. De temps à autre, ce pâtre mi-sédentaire, mi-nomade qui se déplace beaucoup d’un pâturage à l’autre au fond des vallées, enfourne dans la gueule de son Yack une poignée malaxée de céréales mélangées qu’il sort discrètement d’un petit sac accroché à la taille.

De retour dans son village, dont les maisons aux murs épais évasées à la base selon le style tibétain sont dispersées au milieu des prairies et des champs de colza ou de pommes de terre, il se restaurera d’un plat de mouton frit parfumé à la menthe et d’un morceau de fromage blanc au goût âcre. Le tout sera arrosé de larges goulées d’un alcool de céréales qui brûle la gorge et laisse dans la bouche un étrange goût acidulé.


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