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Voyage dans le Yunnan

... et dans la Chine profonde.

La société matriarcale des Mosous. Une survivance insolite et fragile.

Une des 26 ethnies non Han de cette attachante province présente une caractéristique unique puisqu’elle vit toujours selon une organisation sociale matriarcale. Il s’agit des Mosous, qui comptent encore 40 000 âmes réfugiées dans un site reculé au bord du lac Lugu à la frontière du Sichuan.

La survivance de la tradition matriarcale est protégée de l’invasion des touristes par la mauvaise qualité de la route de pierre, souvent effondrée à la suite des pluies torrentielles, qui relie en une journée d’un voyage assez pénible, le fief des Mosous à l’aéroport le plus proche.

Nichés au bord d’un grand lac d’eau claire, les Mosous sont regroupés en clans tous dirigés par des lignées de femmes qui élisent leurs chefs, parmi celles qui leur paraissent les plus capables, souvent de jeunes femmes dynamiques et instruites. Les revenus (tourisme, artisanat, produits agricoles) sont partagés parmi tous les adultes, à parts égales, après déduction des dépenses communes. Ayant ainsi réglé leurs intérêts matériels par le biais d’une organisation de type communiste qui n’a plus cours en Chine depuis longtemps, les femmes Mosous gèrent leur vie sentimentale en pratiquant l’union libre.

L’élu qui deviendra l’amant pour quelques jours, quelques mois ou « plus si affinités », est discrètement choisi lors des nombreux rassemblements des clans qui discutent la vie des villages et au cours desquels sont votées les décisions collectives. Il rejoindra sa bien aimée le soir à la tombée de la nuit et retournera vers le clan de sa mère à l’aube. Si un enfant naît ce sont les frères du clan qui joueront le rôle du père.

La brochure touristique chinoise, comme toujours grandiloquente, explique que les Mosous auraient réussi à se débarrasser des contradictions qui surgissent presque toujours entre intérêts et sentiments dans les couples des sociétés patriarcales. Quand les sentiments s’estompent et finissent par mourir nous n’avons le choix, dit le texte chinois, qu’entre deux mauvaises solutions : Protéger nos intérêts et rester ensemble en juxtaposant deux solitudes, ou se séparer en sacrifiant tout ou partie de nos intérêts, sans compter les traumatismes occasionnés aux enfants. Chez les Mosous, rien de tout cela. On se sépare quand on ne s’aime plus. Voilà tout. Les intérêts du clan et des enfants qui sont gérés à l’écart des sentiments du couple n’en sont nullement affectés.

Évidemment j’étais sceptique. Mais une heure d’un briefing passionnant par une jeune femme chef de clan, revenue vivre dans sa culture du Lac Lugu après 6 ans passés à Shenzhen dans le monde patriarcal et macho de la Chine en développement rapide, m’a donné à réfléchir. Aujourd’hui, mère d’une enfant de 5 ans, elle ne voit son amant que le soir. Accroupie près du feu qui couvait doucement au milieu de la grande salle commune aux grands piliers de bois ronds, elle nous a décrit simplement, mais avec passion, sa vie communautaire, ses responsabilités qui ne sont pas minces et les efforts que faisait le clan pour protéger cette organisation sociale devenue une survivance étrange dans le monde moderne.

Le tout m’a donné l’impression d’une grande authenticité, capable de faire surgir à la fois harmonie sociale et sérénité. En même temps, la grande fragilité de cette tradition insolite, menacée par les coups de boutoir du tourisme commercial et les aspirations des jeunes, attirés par les feux de la ville, ne manque pas d’inspirer une certaine tristesse. A moins que ce ne soit la nostalgie que notre monde patriarcal tout fait d’orgueil viril, de compétitions, de rivalités et de conflits n’ait jamais été capable de s’organiser avec autant de sérénité.


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