›› Politique intérieure

Le président Xi Jinping (62 ans) et le Comité Permament du Bureau Politique. A gauche Zhang Dejiang (69 ans), n°3 du régime président de l’ANP ; Zhang Gaoli, (69 ans), n°7 premier des vice-premiers ministres ; Wang Qishan, (67 ans), Président de la Commission Centrale de discipline, n°6. A droite, Li Keqiang (60 ans), premier ministre, n°2 ; Yu Zhengsheng (70 ans), président de la Conférence Consultative du Peuple Chinois, n°4 ; Liu Yunshan (68 ans), président de l’Ecole Centrale du Parti, du secrétariat du Comité Central et du groupe dirigeant pour la propagande et l’idéologie, n°5. Dans cet aréopage Yu Zhengsheng et Wang Qishan font partie de la garde rapprochée de Xi Jinping. Selon les règles de mises à la retraite (limite d’âge 67 ans), seuls Xi Jinping et Li Keqiang resteront en poste en 2017. Tout porte à croire que le prochain Comité Permanent se composera de partisans de l’ouverture socio-économique et d’ardents défenseurs de la prévalence du Parti opposés à toute ouverture politique et attentifs à tenir à distance les influences politiques étrangères.
La mort de l’ancien procureur Man Ming-an 60 ans et n°2 de la Conférence Consultative du Peuple Chinois de Hefei (Anhui) retrouvé pendu à son domicile le 28 juillet a déclenché une avalanche de rumeurs sur les effets délétères de la campagne anti-corruption.
Mais pour l’heure, le Parti n’a donné aucune information sur les circonstances exactes et les causes du décès de celui qui fut le principal acteur judiciaire du procès de Gu Kalai ancienne épouse de Bo Xilai condamnée à mort avec sursis pour le meurtre du consultant anglais Neil Heywood en 2012. Une enquête est en cours et la police a interdit à la famille de rendre hommage à la dépouille du petit procureur de province sorti de l’anonymat par le scandale de la famille Bo. On se gardera donc de lier directement l’événement, probablement un suicide, à la campagne en cours contre les prévarications.
Néanmoins, la psychose est bien réelle. Plusieurs dizaines de milliers de cadres de tous niveaux ont été relevés de leurs fonctions mis en examen, exclus du Parti et condamnés. La méthode employée par Wang Qishan, le tout puissant président de la Commission Centrale de Discipline, proche de Xi Jinping, est expéditive et sans état d’âme. Faisant largement appel à la délation et prenant le risque d’un sérieux retour de flammes, elle continue à cibler les « tigres et les mouches », hauts responsables et petits fonctionnaires, dans la haute administration, à la tête des institutions les plus puissantes, au sommet des grands groupes en même temps que dans les rouages les plus anonymes de la bureaucratie.
A la mi-mandat de l’actuel Bureau Politique, alors que le Parti a, le 1er juillet dernier, fêté le 94 anniversaire de sa naissance et qu’il a, le 20 juillet exclu de ses rangs Ling Jihua, « tigre parmi les tigres », ancien proche de Hu Jintao promis aux plus hautes charges, les répressions articulées autour de l’éthique et de la morale s’effectuent en dehors du droit, ponctués par des procès expéditifs, au point que nombre d’analystes à l’intérieur même du sérail soulignent que la manœuvre a toutes les apparences d’une lutte de clans et de pouvoir visant à conforter l’autorité du centre et du Secrétaire Général. Lui-même prend ses distances avec le dogme de la direction collégiale dont il faut rappeler qu’il était conçu comme une assurance contre les déchirements politiques internes.
Autour de ce débat qui interroge à la fois la stabilité du régime et la vraie nature de la lutte contre la corruption, l’analyse qui suit propose une perspective sur le mode d’action de Xi Jinping et de sa garde rapprochée dont nous savons que les objectifs ultimes sont de protéger becs et ongles la prévalence du Parti, à la fois contre les risques de crise socio-économique, le conservatisme des féodalités internes et contre les influences politiques occidentales dont les préceptes démocratiques menacent à la fois les convictions loyalistes des cadres et l’unité de l’appareil.
Après avoir identifié les grandes cibles visées par le Parti depuis 2012, dont on verra qu’elles sont à la fois des obstacles aux réformes socio-économiques et des contre pouvoirs potentiels, l’analyse fait le bilan des appuis que le n°1 du régime se ménage pour faire face à tout éventualité de dissidence grave.
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La charge contre les corrompus continue de plus belle.
La première moitié de 2015 été marquée le 10 juin par la condamnation à la prison à vie de Zhou Yong Kang, ancien chef de la sécurité d’État et n°9 du Comité Permanent par un procès à huis clos, contrairement à ce qu’avait promis Zhou Qiang, le Président de la Cour suprême.
Depuis janvier plus de 10 000 cadres, responsable de groupes et institutionnels de tous niveaux ont été mis en examen ou condamnés. En dépit des rumeurs d’un frein à la répression, l’éventail des cibles reste toujours aussi large. Il va des cadres de direction de SINOPEC et de CNPC à l’ancien chef de la sécurité de Mongolie Intérieure arrêté pour meurtre, en passant par une nouvelle fournée des généraux de l’APL (dont au total 33 sont aujourd’hui en examen), à quoi il faut rajouter le responsable de la Zone sous douane de Shanghai, le n°2 du Parti à Kunming et le PDG de FAW (n°1 du secteur automobile).
Fin juin, Xi Jinping a publiquement estimé que la situation de la corruption était encore grave. 15 jours plus tard on apprenait que le n°4 de la Cour Suprême, Xi Xiaoming était lui aussi mis en examen. Artisan de la réforme des lois sur les sociétés, il est, avec Xu Caihou, l’ancien commissaire politique de l’APL, Liu Tienan, n°2 de la Commission de réforme et développement et Zhou Yongkang, le plus haut personnage du régime à trébucher. Mais ce n’est pas fini.
Deux autres « tigres » sont déjà dans le collimateur. Le 24 juillet, la Commission de discipline a fait savoir qu’elle avait mis en examen Zhou Benshun, secrétaire du Parti du Hebei démis de ses fonctions. Ancien Directeur de Cabinet de Zhou Yongkang, Zhou Benshun qui n’a pas de lien de parenté avec sans son ancien patron, est ainsi le premier responsable de province à être chassé de son poste. Et le 30 juillet c’est le Général Guo Boxiong, à la retraite et ancien premier militaire du pays qui était exclu du Parti et mis en examen.
Coups de boutoir contre les fiefs conservateurs.
Dans un article paru le juillet dans la revue en ligne China Leadership Monitor, Joseph Fewsmith, professeur de relations internationales à l’Université de Boston, auteur de plusieurs livres sur la Chine au XXe siècle, tente de mettre à jour les ressorts politiques de la lutte anti-corruption. Les fils qu’il tire conduisent dans deux directions : le réseau Zhou Yongkang – Bo Xilai – Commission Nationale pour la Réforme et Développement (CNRD) ; et les clans du Shanxi (山西) fiefs des grands groupes industriels publics liés au charbon et à l’acier.
Au passage, notons que la province du Shanxi chargée d’histoire située sur le plateau de loess dont la capitale est Taiyuan, a une histoire accablante de mauvaise gouvernance avec la démission en 2007 du n°1 du Parti Yu Youjun au milieu d’un scandale des briqueteries qui employaient des enfants dans des conditions proches de l’esclavage.
Son successeur, Meng Xuenong était l’ancien maire de Pékin relevé de ses fonctions après le scandale du S.A.R.S en 2003. Lui aussi fut chassé du Shanxi en 2008 après l’effondrement d’une mine de fer illégale ayant provoqué la mort de près de 300 mineurs. Il n’est pas anodin de préciser qu’en 2003, le successeur de Meng Xuenong à la mairie de Pékin n’était autre que Wang Qishan, l’actuel président de la Commission Centrale de discipline du Parti.
La première piste identifiée par Fewsmith renvoie aux rumeurs déjà anciennes d’un possible coup de force de Zhou et Bo sur lequel est récemment revenu l’hebdomadaire Phoenix weekly 凤凰周刊. Les deux qui étaient opposés à la poursuite de l’ouverture initiée par Deng Xiaoping et ayant identifié Xi Jinping comme une menace pour leurs affaires troubles, auraient projeté un coup de force (大干一场) pour tenter de placer Zhou à la tête de l’Assemblée Nationale Populaire. Le deuxième fil conduit à la province du Shanxi et à Ling Jihua cité plus haut et mis en examen en décembre 2014, ancien proche de Hu Jintao dont la carrière a été fracassée en 2012 par le scandale de son fils tué à Pékin sur le 4e périphérique au volant d’une voiture de sport avec à bord deux jeunes femmes tibétaines.
Le nombre anormalement élevé des cadres de très haut niveau du Shanxi (8) pris dans la tourmente, comprend le n°2 du parti le président de la Conférence Consultative du Peuple de la province et son adjoint, 2 vice-gouverneurs et le chef du secrétariat du comité permanent. Dans le paysage politique chinois, seule la CNRD a été plus durement frappée avec 13 mises en détention dont celle du n°2 Liu Tienan arrêté en mai 2013.
Parmi les cibles du Shanxi se trouve le frère de Ling Jinghua, Ling Zhengce, n°2 de la Conférence Consultative mis en examen en juin 2014, 6 mois avant son frère. C’est d’ailleurs par la famille Ling que se relient les pistes du Shanxi, de Zhou Yongkang et de la CNRD, puisque lors de l’accident du fils de Ling Jihua en 2012, Zhou Yongkang, alors ministre de la sécurité d’État avait d’abord aidé à camoufler les liens de famille entre le conducteur et son père, ancien proche de Hu Jintao.
Nettoyage politique…
Autant qu’on puisse en juger, les premières leçons à tirer de ce tableau forcément très incomplet, sont doubles. La tourmente commencée avec l’offensive contre Bo Xilai, au début de 2012, ciblant plusieurs réseaux (ceux de Ling Jihua ancien proche de Hu Jintao et ceux de Zhou Yongkang - au Sichuan et dans le secteur pétrolier où plus de 15 000 cadres ont été frappés -, à quoi il faut ajouter ceux de la CNRD - fief connu des conservateurs rétifs aux réformes et plutôt partisans d’une économie planifiée articulée autour des groupes publics -), pourrait avoir eu pour objectif de déblayer le terrain au sommet, à la fois encombré de corrompus et d’adversaires des réformes dont la présence aurait constitué un sérieux handicap pour l’entreprise réformiste socio-économique de Xi Jinping.
Recul du droit et risques de batailles claniques.
L’autre enseignement des tumultes en cours dont il faut rappeler qu’ils sont déclenchés avec en arrière pensée l’idée que les dérapages éthiques menacent la survie même du régime, est que les coups de projecteurs sur l’enchevêtrement des réseaux révèlent, parallèlement à l’objectif de nettoyage, la perpétuation des guerres de clans à la tête, conséquences directes d’une justice toujours sous influence, de la fragilité du droit et de la faiblesse des institutions. Fewsmith juge même que ces trois piliers ont récemment régressé alors que le n°1 du Parti répète que son objectif est de les renforcer.
Mais la contradiction est ancienne. Depuis plus de 20 ans, le pouvoir chinois est écartelé entre, d’une part, la nécessité de consolider les institutions et le droit, gage de stabilité politique et d’autre part, la rémanence des clans et des coteries, principaux vecteurs de l’avancement politique par cooptation et ferment de la corruption.
Xi Jinping resserre son pouvoir…
Aujourd’hui, si on examine les réformes du secteur financier où Zhou Xiaochuan, le patron de la Banque Centrale et Lou Jiwei le ministre des finances tentent d’augmenter avec un certain succès l’emprise globale de la monnaie chinoise et surtout de résorber les dettes locales ; qu’on considère le secteur productif bouleversé par les vastes efforts de restructurations industrielles ou encore la sphère politique agitée par les incessantes descentes des inspecteurs de la Commission de discipline dans les provinces, il est clair que l’activisme tous azimuts vise certes à débarrasser le régime à la fois de la corruption et des lourdeurs étatiques.
Mais tout indique qu’au lieu de renforcer le droit et l’allégeance à la constitution comme il le clame, le régime cherche d’abord à recentrer et à renforcer le pouvoir de Pékin contre les inerties ou les fiefs rebelles aux réformes.
… corrige la trajectoire idéologique du régime.
A ces coups de boutoir contre les obstacles à l’entreprise réformiste, s’ajoute une reprise en main idéologique contre ceux qui contestent la prévalence du Parti. Dès le printemps 2013, le Secrétaire Général avait, dans une réunion interne, défini les « 七个不要讲 – qige bu yao jiang – », 7 sujets dont l’évocation publique par les médias et les intellectuels serait interdite.
Il s’agit des erreurs historiques du Parti, des valeurs universelles, des tensions dans la société civile, du droit des citoyens, de l’indépendance de la justice, des privilèges de l’oligarchie et de la liberté de la presse. Cette censure était accompagnée par la décision prise lors de la 12e ANP, de regrouper sous une seule autorité le contrôle et la régulation de la presse, de l’édition, de la télévision et du cinéma.
Récemment, ces restrictions sont revenues au devant de l’actualité avec la publicité faite par les médias occidentaux à la « Directive 9 ». Datant elle aussi de 2013, elle mettait la machine politique en garde contre les idées de « démocratie à l’occidentale », de « valeurs universelles », de « conception occidentale du journalisme et de l’information » à quoi elle ajoutait « le nihilisme historique » qui rejetait la tentation apparue chez certains intellectuels de revisiter l’histoire du Parti en vue d’une « démaoïsation ».
Un an plus tard, Zhang Yingwei, membre de la Commission Centrale de Discipline du Parti accusait l’Académie des Sciences Sociales, l’un des plus puissants centres de recherche du régime de s’être laissée infiltrer par des « forces étrangères » et d’entretenir avec elles des « échanges prohibés alors que le pays traverse une passe politiquement sensible ».
La charge remettait en cause deux ouvertures non prévues par les institutions qui s’étaient imposées d’elles-mêmes au cours des quinze dernières : 1) la mise sur la place publique, en contradiction avec les traditions du secret du régime, des rapports des instituts de recherche, dont quelques membres éminents avaient pris l’habitude de s’exprimer publiquement ; 2) la coopération avec les chercheurs et experts étrangers, considérée par la Direction politique du régime comme une menace idéologique.
Concrètement, le Parti a accentué les répressions contre la presse, les réseaux sociaux, les arts, la littérature, l’internet, les intellectuels, les Tibétains, les Ouïghours, les dissidents, les ONG, les universitaires et les livres. Les cibles et victimes les plus emblématiques de cette offensive contre la liberté d’expression et d’association furent d’abord le professeur Ouïghour Ilham Tohti, condamné le 24 septembre 2014 à la prison à vie pour avoir, avec ses étudiants, critiqué les répressions policières au Xinjiang et accepté que ses prises de position soient reprises par la radio du gouvernement américain Voice of America.
A l’automne 2014, c’est la journaliste critique Gao Yu 71 ans qui a fait les frais des corrections idéologiques. Accusée d’avoir été à l’origine de la fuite de la « Directive n°9 » - pourtant sur la place publique depuis 2013 – elle a été condamnée à 7 ans de prison. Enfin, depuis cet été, effet collatéral des contradictions entre la promotion officielle du droit et les actions du régime qui le contredisent, sévit une campagne systématique déclenchée contre 3 cabinets de conseil juridique et plusieurs dizaines d’avocats dont une vingtaine étaient encore en prison ou avaient disparu à la mi-juillet.
…et réprime les défenseurs des droits.
Commencé à Tianjin contre Wang Yu une activiste engagée dans la défense des droits des personnes et la lutte contre l’arbitraire, ancienne avocate de Ilham Tohti, le harcèlement s’est intensifié après la publication d’une lettre ouverte signée par une centaine d’avocats sur le site d’une ONG de défense des droits basée à Hong Kong.
Le 11 juillet, le site du ministère de la sécurité publique dénonçait la provocation des avocats accusés d’avoir depuis 2012 « monté en épingle de manière coordonnée et criminelle 40 incidents sociaux et d’avoir sévèrement perturbé l’ordre public ».
Le 12 juillet, un éditorial du « Global Times » énonçait clairement la position du pouvoir condamnant les provocations des défenseurs des droits qui, « au lieu de promouvoir la justice et l’harmonie sociale, provoquaient intentionnellement des conflits entre les gouvernements et les citoyens. » (…). A cet effet, « avec en arrière pensée », des objectifs politiques, ajoutait l’article, « ils n’hésitent pas à distordre la réalité et à détourner le droit pour, systématiquement, présenter les pouvoirs publics comme un fléau tyrannique. »
La diatribe concluait en regrettant que quelques professionnels du droit se soient en réalité transformés en ennemis de la loi, soulignant « qu’aucun État ne pouvait encourager ses avocats à se comporter de cette manière ». Le même jour, le Quotidien du Peuple publiait un article dénonçant leurs « manœuvres obscures » les accusant de faire partie du « cartel des défenseurs des droits » pour, « utilisant le prétexte du droit et de la justice, soutenir les protestataires, tout en poursuivant en réalité toutes sortes d’objectifs obscurs et sournois ».
…au prix de risques politiques.
Dans un article publié début mars 2015 dans le Wall Street Journal, David Shambaugh, sinologue américain respecté et bien introduit dans le régime chinois qui, jusque là, l’appréciait, avançait l’hypothèse que la frénésie répressive tous azimuts était un aveu de faiblesse et qu’elle allait rapprocher le Parti de sa perte.
Pour autant, conscients des défis qui montent, Xi Jinping, le politburo et l’appareil ne sont pas restés inertes.