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›› Chronique

Zhang Dejiang dans l’arène de la R.A.S de Hong-Kong

Zhang Dejiang à Hong Kong, suivi du Gouverneur Leung.

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Zhang Dejiang, était à Hong-Kong du 17 au 19 mai. N°3 du régime et président de l’Assemblée Nationale Populaire, il avait en septembre 2014, réduit la portée de la réforme électorale pour la nomination du gouverneur en enfermant le suffrage universel dans l’obligation pour les candidats de passer par le crible politique de Pékin. Lire : Zhang Dejiang 张德江, le planificateur, adepte des grandes entreprises publiques

Finalement rejetée par le Conseil Législatif le 18 juin 2015, la réforme proposée par Pékin avait donné naissance à un mouvement de protestation baptisé « Occupy Central » lancé en janvier 2013 par Benny Tai, professeur de droit à l’Université de Hong Kong et appuyé par le National Democratic Institute (NDI), branche du National Endowment for Democracy (NED) financé par le Congrès des États-Unis. La protestation avait pris de l’ampleur et s’était cristallisée par l’occupation entre septembre et décembre 2014 du centre d’affaires de Hong Kong, avant de s’étioler doucement.

Première visite dans la RAS d’un haut dignitaire du régime depuis la visite de Hu Jintao en 2012, le déplacement de Zhang dans une ville quadrillée par 6000 policiers a eu lieu moins de trois mois après les violents incidents du quartier de Mongkok dans la nuit du 8 février et deux ans après la publication par Pékin, en pleine crise du mouvement « Occupy Central », d’un livre blanc sur Hong Kong où le Bureau Politique réaffirmait la souveraineté et l’autorité de la Chine sur la Région Administrative Spéciale, que – disait le document - le régime politique particulier « un pays deux systèmes » ne saurait remettre en cause. Lire notre article Hong Kong : Pékin se cabre

Enfin, l’examen détaillé de l’état de l’opinion au travers des enquêtes de l’Université de Hong Kong signale une plus grande complexité de la situation. S’il est vrai que la majorité des résidents de la R.A.S se sent plus Hongkongaise que Chinoise il semble que le clivage pro ou contre Pékin soit devenue une grille de lecture trop simple. (Voir la note de contexte n°3)

Questionnements face aux forces centrifuges.

Une pensée indépendantiste se développe à la marge à Hong Kong. Elle s’alimente des frustrations de la jeunesse choquée par les restrictions au suffrage universel. Dans la nuit du 8 au 9 février 2016 de très violents incidents ont eu lieu dans le quartier de Mongkok que le bureau de Pékin à Hong Kong a attribué à des « séparatistes radicaux, tentés par le terrorisme ». L’APL a stigmatisé « des organisations séparatistes » et les médias occidentaux ayant « idéalisé les désordres et les violences ». En contraste avec le pacifisme de Occupy Central, la violence des incidents de Mongkok durant le nouvel an chinois traduit une double crispation, celle de la police pour faire évacuer les étals des vendeurs de rues et celles des manifestants jetant des pavés et mettant le feu à des pneus. La police a procédé à plus de 60 arrestations. Il n’est cependant pas certain que les échauffourées soient le reflet de la situation réelle dans la R.A.S, où la population est peut-être moins fracturée en pro ou anti-Pékin que ne le disent les médias occidentaux.

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Mais la date du voyage de Jiang n’a pas été choisie au hasard. La visite s’est en effet achevée à la veille de la cérémonie d’investiture à Taïwan de l’indépendantiste Tsai Ing-wen, événement dont on ne saurait sous estimer la portée symbolique pour Pékin, dans un contexte où, à Hong-Kong même, se développe à la marge une pensée politique séparatiste, que Pékin surveille comme le lait sur le feu.

Pour un régime dont on connaît à la fois l’ADN très centralisateur et l’attachement teinté d’orgueil nationaliste à l’unité de la Chine, le développement sur ses marges méridionales d’une convergence de forces centrifuges constitue un dilemme politique de première grandeur.

Alors qu’à Taïwan la victoire sans partage du DDP, pour la première fois de l’histoire majoritaire au Yuan législatif, signale que le fossé se creuse entre les populations de part et d’autre du Détroit, à Hong-Kong dont le schéma « un pays deux systèmes » devait servir de modèle à la réunification de l’Île avec la Chine, les amarres avec le Continent se desserrent également. En même temps, le Bureau Politique sait bien que le durcissement répressif et la censure à l’œuvre sur le Continent et auxquels il s’essaye depuis 2012 dans la R.A.S, portent le risque d’augmenter encore les sentiments anti-chinois.

Lire ce sujet :
- Hong – Kong sous influence
- A Hong-Kong, théâtre des luttes de clans, Pékin réduit la liberté d’expression

La pression est également venue de l’intérieur même de l’appareil, par le truchement du Gouverneur Leung Chun-ying et du Président du Conseil Législatif Jasper Tsang Yok-sing, pourtant réputés proches de Pékin. A la suite de l’enlèvement par la police chinoise sur le territoire de la R.A.S de Lee Bo, un éditeur résident à Hong Kong et titulaire d’un passeport anglais, disparu décembre 2015 et réapparu en mars 20016 [1], les deux plus hauts fonctionnaires du territoire ont rappelé que, selon la loi fondamentale, des unités de police étrangères n’étaient pas autorisées à opérer dans la R.A.S.

En février 2016, Londres avait, pour la première fois depuis 1997, évoqué « une violation » de la déclaration conjointe de 1984 entre Deng Xiaoping et Margaret Thacher. L’accusation rejoignait celle de Jasper Tsang, le très populaire président du Conseil Législatif cité plus haut qui, malgré ses sympathies pour le Parti Communiste, s’étonnait publiquement, le 13 janvier 2016, que le porte parole du gouvernement central n’ait pas clairement démenti les allégations selon lesquelles des agents de sécurité de Pékin auraient kidnappé Lee Bo sur le territoire de la R.A.S.

Le paradoxe de la centralisation.

6000 policiers ont été déployés dans Hong Kong pour assurer la sécurité durant la visite de Zhang Dejiang.

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Sous les yeux de Taïwan en pleine effervescence politique et identitaire contre les dangers d’un trop fort rapprochement avec le Continent, ce paradoxe qui limite la marge de manœuvre répressive du régime chinois et le contraint à la prudence, a constitué le fond de tableau de la visite de Jiang.

Représentant un régime autoritaire qui contrôle sévèrement les libertés d’expression sur le Continent, cet homme d’expérience, idéologiquement hostile à trop de libertés politiques, arrivé en fin de carrière, personnifie quelques une des raideurs, des fermetures et des habitudes d’opacité à l’œuvre en Chine qui, aujourd’hui, télescopent la quête d’ouverture des Hongkongais et des Taïvanais.

A Hong Kong on n’a pas oublié l’épisode du SARS en 2003, quand la longue période d’omerta du régime chinois dont Jiang était le proconsul dans la province voisine de Canton, retarda les mesures de vigilance prophylactique dans la R.A.S, cause supposée du décès de 299 résidents (soit 38% de tous les décès sur la planète), contaminés par le Dr Liu Jianlun, originaire de Canton venu à Hong Kong pour un mariage. Selon le rapport de l’OMS, il avait, sans le savoir, infecté 12 clients de l’hôtel Métropole du quartier de Kwoloon, avant de décéder lui même le 4 mars 2003. [2]

Conscient que les anciennes tactiques combinant d’une part la fermeté politique assortie de chantages et de menaces militaires ou policières et d’autre part le pragmatisme économique dont les populations tirent assez peu profit, ont peut-être atteint leurs limites, le Bureau Politique cherche une nouvelle voie.

Le long discours de Zhang au banquet officiel du 18 mai qui tenta d’apaiser les inquiétudes des Hongkongais craignant l’érosion du schéma politique « Un pays deux systèmes », portait la marque de ces questionnements. Alors que l’opposition a boycotté l’événement, le n°3 de l’appareil communiste s’est dit prêt à entendre les vues de l’opposition pour peu qu’elles restent dans le cadre de la loi fondamentale et soient dans l’intérêt de Hong Kong.

Positions irréconciliables.

Le 18 mai, Emily Lau, présidente du parti démocratique a rencontré Zhang à qui elle a exprimé sans nuances la position de son parti opposé au maintien de Leung comme gouverneur et violemment critique des restrictions imposées par Pékin au suffrage universel.

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Mais en dépit des gestes de conciliation et de la promesse d’écoute, il apparaît que les positions restent irréconciliables. Avant le banquet, Emily Lau, la très radicale présidente du Parti démocratique, reçue avec d’autres par Zhang, a stigmatisé la brutalité de la Chine et ouvertement demandé, en sa présence et sans trop s’embarrasser de nuances, la relève du gouverneur Leung dont Zhang a cependant défendu l’action. Elle a également stigmatisé les limitations au suffrage universel introduites par l’Assemblé Nationale et demandé à Pékin de les supprimer, ce qui est peu probable.

Surtout au cours de la visite, le Président de l’ANP a exprimé ses craintes probablement exagérées d’une dérive indépendantiste de la R.A.S [3], mais que les plus fervents opposants à la Chine, notamment parmi la jeunesse, évoquent de plus en plus. Pour Zhang Dejiang, à Hong Kong, l’attachement provincial aux particularités et à la culture de la R.A.S, en opposition à la Chine, prenait le risque de passer pour une sécession.

Enfin, le discours du 18 mai a tout de même montré que l’arrière plan idéologique du régime ne comprenait pas les principes de l’indépendance de la justice et de la présomption d’innocence, fondements essentiels, avec la liberté d’expression, du schéma « un pays deux systèmes ».

Tout en évoquant ses bonnes intentions, Zhang a en effet longuement rappelé la nécessité de punir les fauteurs de troubles, faisant référence à l’acquittement par un tribunal de Hong Kong d’un activiste d’Occupy Central pour manque de preuves capables d’éliminer les « doutes raisonnables » sur sa culpabilité. (18 février 2016).

Note(s) :

[1Associé aux 4 autres libraires et éditeurs impliqués par la publication d’informations intimes sur le couple présidentiel et les élites chinoises par le biais de la maison d’édition Mighty Current, Lee Bo avait disparu le 30 décembre 2015 pour réapparaître le 24 mars 2016. A son retour il a nié avoir été enlevé et a déclaré qu’il s’était absenté pour témoigner au procès d’un ami en Chine. Mais ses amis et des activistes des droits ont affirmé qu’à son retour, Lee était sous la pression des autorités de Pékin.

A Hong-Kong, le cas qui s’ajoute à celui des 4 autres et fait suite à des séries de pressions physiques et professionnelles sur des journalistes, fait craindre à certains que Pékin aurait décidé de prendre ses distances avec l’accord « un pays deux systèmes » en vigueur jusqu’en 2047 qui confère à la R.A.S une liberté d’expression et une indépendance de la justice inconnues sur le Continent.

[2L’omerta du SRAS fut brisée le 9 avril 2003 par l’intervention courageuse du Dr Jiang Yanyong, ancien chef à la retraite du service de chirurgie de l’hôpital militaire 301 de Pékin. Il révéla que le régime chinois cachait qu’à Pékin 106 patients (soit 5 fois plus que les chiffres officiels) étaient soignés dans les hôpitaux de la capitale pour le syndrome respiratoire. Le scandale éclata alors que l‘OMS avait déjà exprimé ses inquiétudes aux autorités chinoises qui attendirent pourtant une semaine pour accorder à ses enquêteurs l’autorisation de se rendre dans les hôpitaux de Canton.

Il n’est pas inutile de rappeler qu’à l’époque, après le renvoi du ministre de la santé Zhang Wenkang, le maire de Pékin, Meng Xuenong, avait également été démis de ses fonctions et remplacé dans l’urgence par Wang Qishan actuel n°6 du régime, proche de Xi Jinping grand ordonnateur de la lutte anticorruption et président de la Commission de discipline du Parti.

Enfin, signe que le pouvoir n’est pas encore tout à fait homogène au sommet, à l’époque de la secousse politique provoquée par le scandale, un homme proche de la faction Jiang Zemin à la retraite s’était élevé contre les appels à la transparence. Il s’agissait de Liu Yunshan, déjà responsable de la propagande du Parti en 2003. Il mettait en garde contre les « ennemis de l’extérieur » qui exploitaient les sujets clivants pour affaiblir le gouvernement.

Aujourd’hui, toujours en charge de la propagande Liu Yunshan ancien de l’agence Xinhua, est président de l’Ecole Centrale du parti et n°5 du Comité Permanent, juste avant Wang Qishan. Lire : Liu Yunshan 劉雲山, l’apparatchik de la propagande et Wang Qishan 王歧山, le financier au sang froid, habile et réactif.

[3Les sondages effectués par l’Université de Hong Kong dessinent cependant un arrière plan d’opinions moins conflictuel que ne laissent supposer les reportages de presse. D’abord, depuis 1997, la popularité des élites politiques proches de Pékin en charge de fonctions officielles évolue très nettement vers le haut de l’échelle de popularité, de sorte que toutes les figures se placent aujourd’hui dans un mouchoir de poche, classées dans les 5 premières place d’une liste qui en comporte 50.

Ainsi, selon un sondage par téléphone effecté sur 1000 personnes début mai par l’Université de HK, alors qu’en 2009 les écarts étaient grands entre d’une part Jasper Tsang, président du conseil législatif très populaire (dans les 15 premiers depuis 1997) et d’autre part Leung Chun-ying, le gouverneur (50e en 2008) et Carie Lam Directrice de l’administration (49e en 2009), à l’époque plutôt mal perçus, les trois se classent aujourd’hui dans les 5 premières places du hit parade de l’opinion.

Quant aux figures d’opposition signalons Leung Kwok-hung , trotskiste, membre du Legco, plusieurs fois emprisonné dont une fois pour avoir brûlé le drapeau chinois. En tête des figures populaires depuis 2004, il était encore 4e le 5 mai dernier. Wong Yuk-man, journaliste et très critique de la Chine, également membre du Legco, très mal placé en 2007 (50e), se classait le 5 mai dans les 5 premiers de la liste. Parmi les élites visibles, l’étude montre donc une érosion progressive des clivages au point qu’il n’est plus possible d’évoquer une polarisation simple de la situation en faveur ou contre Pékin.

En revanche, un sondage de l’Université en date du 7 décembre 2015 indiquait que 40% des résidents de la R.A.S se sentaient d’abord Hongkongais et seulement 18% Chinois. En même temps, 40,4% disaient se sentir une identité mixte. Parmi eux 27,4% se voyaient plutôt Hongkongais en Chine et 13% plutôt Chinois à Hong-Kong. Cette étude sur l’appartenance ou non à la Chine montre donc un penchant assez net au profit de la R.A.S. Mais l’importante proportion des sondés se sentant une identité mixte doit inciter à prendre ses distances avec les analyses clivantes séparant les pro et anti Pékin en deux camps antagonistes irréconciliables et plus encore avec celles qui spéculent sur la montée des sentiments indépendantistes.

Il est évident que si le Parti continuait à brutaliser Hong-Kong, il devrait en payer le prix. C’était peut-être le principal objet de la visite de Zhang : calculer le dosage acceptable des pressions qu’il sera possible d’exercer sur la R.AS pour éviter qu’avant 2047, année de son retour définitif dans le giron chinois, elle n’emprunte une route sans retour vers la démocratie.


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