›› Editorial
Le Parti retranché. Le poids des prébendes.
Mais, effet du système consensuel qui accommode les contraires, ces ajustements d’ouverture cohabitent avec la persistance de tendances économiques et politiques très conservatrices. Les taxes aux entreprises restent parmi les plus élevées des émergents ; les entreprises d’état, lourdes, mal gérées, gaspilleuses et peu innovantes dominent le paysage industriel, gênant la remise en ordre, perpétuant les doublons, freinant la naissance de champions nationaux (Huawei est l’exception qui confirme la règle). Surtout elles handicapent la montée en gamme technologique et perpétuent la dépendance de la Chine à l’étranger.
Le système financier rigide placé sous la chape du pouvoir, induit des dérapages souterrains de la finance grise qui nourrit l’usure. Source d’infinis gaspillages, il est un des facteurs récurrents de la faible rentabilité du capital, dont la persistance serait mortelle pour la croissance chinoise.
Dans la sphère politique, les tendances à l’ouverture sont compensées par des mesures conservatoires visant à éviter la contagion de « l’effet Wukan », tenant la justice aux ordres, maintenant la censure d’internet et des médias et réprimant plus ou moins durement les critiques politiques. Ces manœuvres sont les ultimes recours pour préserver la stabilité sociale, le rôle dirigeant du Parti et ses prébendes qui ont enrichi l’oligarchie et enserrent l’appareil économique et productif dans un enchevêtrement de liens politico-affairistes, fond de tableau de la Chine depuis plus de trente-cinq ans.
La protection des prébendes, que la modernisation de la Chine commande de briser, puisqu’elles nourrissent l’opposition aux réformes, condition de la modernisation de la Chine, est en train de devenir un des enjeux politiques du pays autour duquel se cristallisent les luttes de pouvoir. Ces dernières seront d’autant plus hargneuses et mordantes que les avantages acquis sont retranchés dans les citadelles de pouvoir que sont la finance et les grands secteurs industriels.
Mais le paysage de cette bataille à venir est complexe. Rares sont les dirigeants qui ne sont pas impliqués dans ce système de profits occultes et de « guanxi » qui sont l’essence même de la politique chinoise. Qu’ils soient conservateurs, attachés à l’ancien schéma de développement qui protège leurs prérogatives et leurs profits, ou, au contraire, réformateurs qui affichent leur détermination à les réduire, tous sont directement ou par des voies obliques connectés aux entrelacs de l’affairisme.
La rumeur publique, les réseaux sociaux, les correspondants étrangers se partagent de temps à autre ces secrets que tout le monde connaît. Avec la corruption et les attitudes désinvoltes, voire lourdement amorales de certains cadres, récemment mises en lumière par l’affaire Bo Xilai et celle de Chen Guangcheng, ils nourrissent la rancœur récurrente contre le Parti.
Mais, comme rien, en Chine ou ailleurs, n’est univoque, celle-ci cohabite avec des accès de solidarité patriotique, nourrie par un robuste nationalisme, souvent dirigé contre l’étranger.