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›› Lectures et opinions

Chine-Europe. Où allons nous ?

A n’en pas douter la Chine s’est prise de passion pour l’Europe. Bruxelles lui répond, certes, sur un mode mineur, mais enfin, selon la presse, qui reprend quelques discours ronflants sur « le partenariat stratégique », nous avons là les prémisses d’une idylle. Même les Américains, il est vrai prompts à s’émouvoir ou à s’inquiéter dès que le « Vieille Europe » fait mine de s’émanciper, le reconnaissent. Ainsi, le très sérieux David Shambaugh, spécialiste reconnu de l’Asie du Nord-Est et de la Chine, écrivait en septembre dernier que les relations entre la Chine et l’UE devenaient « une donnée significative de la situation stratégique mondiale.

Tout cela n’est pas faux. L’UE, les Etats membres et la Chine ont en effet inventé un mode « dépassionné » de relations politiques qui évite les heurts sur les questions de droits de l’homme et gère les différends commerciaux sans crispations excessives. Une myriade de projets de coopération sont à l’oeuvre sur le terrain en Chine. Ils tissent un très dense réseau de relations à tous les niveaux des administrations centrales et locales, dans des secteurs aussi divers que la promotion de l’Etat de droit, les réformes administratives, les politiques fiscales, l’environnement, la santé et les hautes technologies (espace, aéronautique, nucléaire, transports).

Au plan stratégique, l’UE a, en octobre 2003, officiellement accueilli la Chine au sein du programme de positionnement spatial Galiléo, concurrent du GPS américain. En échange Pékin a soutenu la candidature de l’Europe et de la France, contre celle du Japon, pour le choix du site qui abritera le programme expérimental ITER. Aucun pays européen ne conteste plus « la politique d’une seule Chine » - devenu le « ticket d’entrée » obligatoire des relations avec Pékin - et tous ont mis en sourdine leurs relations avec Taiwan. Le dernier sommet UE-Chine à La Haye, le 8 décembre dernier a réaffirmé la volonté du couple Bruxelles-Pékin de lutter contre la prolifération des armes de destructions massive, d’oeuvrer ensemble pour le contrôle des armements, la lutte anti-terroriste et la paix au Moyen Orient. Enfin, le 12 janvier dernier, Jack Straw, Ministre des Affaires étrangères de Grande Bretagne, déclarait à la chambre des communes que l’embargo européen sur les ventes d’armes à la Chine serait probablement levé avant juin 2005.

Pour couronner le tout, une série de statistiques publiées à la fin de l’année 2004, établissaient que l’UE était devenu le premier partenaire commercial de la Chine, avec un doublement du commerce Chine-UE entre 1999 et 2003.

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A y regarder de plus près on constate cependant que le tableau n’est pas tout à fait aussi rose que le prétendent les discours officiels.

D’abord il n’est pas certain que l’UE mettra fin à l’embargo sur les ventes d’armes, que la Chine considère comme une humiliation. Washington se démène en effet beaucoup pour tuer dans l’oeuf le consensus européen nécessaire à la levée des sanctions, n’hésitant pas à menacer de couper les coopérations dans le domaine sensible des technologies d’armement. Ensuite, le « mode apaisé » de gestion des différends sur les questions commerciales et les droits de l’Homme, ne parvient pas toujours à désamorcer les rancoeurs de Bruxelles qui pointe du doigt le creusement spectaculaire du déficit commercial au profit de la Chine, et l’absence de progrès sur les questions de droits de l’homme. Sur ce dernier sujet, les tensions sont parfois telles que l’UE est tentée d’abandonner sa politique de « dialogue constructif » peu populaire en Europe et violemment critiquée par les associations de droits de l’homme.

Sur le plan stratégique, la Chine continue de considérer les Etats-Unis comme son partenaire principal qui détient les clés de la sécurité en Asie et dans le Golfe persique, dont Pékin est de plus en plus dépendant. A tel point que beaucoup de chercheurs européens soupçonnent que l’engouement chinois pour l’Europe n’est qu’une tactique visant à contourner les pressions américaines. De la même façon la Chine reproche à l’UE de s’aligner sur Washington dans un « clan anti-chinois » quand elle refuse de lui conférer le statut d’économie de marché ou de mettre fin à l’embargo.

Enfin, même les chiffres du commerce, quand ils sont mis en perspective révèlent une image moins brillante. En effet, si l’on compare le commerce Chine-UE à l’ensemble du commerce européen, on constate que les importations de l’UE en provenance de Chine ne constituent que 11% du total. Quant aux exportations vers la Chine, elles n’en représentent que 4,7%. Même l’Allemagne, champion incontesté de l’UE dans la conquète du marché chinois, exporte trois fois plus vers la France que vers la Chine. (64 milliards d’euros, contre 19 milliards d’euros).

La vérité est qu’en dépit des déclarations, l’activisme sincère de l’UE et de la Chine pour bâtir des relations qui dépassent les élans commerciaux se heurte aux dures réalités de l’éloignement géographique, des différences historiques et culturelles, comme à celles de la situation stratégique mondiale, pour l’instant dominée par l’omnipotence américaine.

La géographie d’abord génère un flux commercial intra-européen naturellement tourné vers les pays membres et qui, dans un avenir prévisible, se dirigera plus encore vers les nouveaux venus d’Europe centrale et orientale. La culture et l’histoire ensuite, dessinent un ensemble européen en gestation, débarrassé des nationalismes, en marche vers des structures politiques souples, rendant difficile l’émergence d’une « Europe Puissance », mais ouvrant la voie à la primauté des individus sur les Etats Nations. La Chine, à l’inverse, monte rapidement en puissance autour d’un nationalisme qui s’affirme, articulé autour d’un Etat fort qui laisse pour l’instant assez peu de place à l’émergence d’une société civile cohérente, dynamique et responsable.

Enfin, s’il est vrai que le rapprochement Chine-UE constitue un élément positif de la situation mondiale et probablement un facteur d’apaisement et de stabilité, sa pertinence stratégique restera faible aussi longtemps que les ambiguïtés du triangle Pékin-Washington-Bruxelles n’auront pas été levées. Faute de faire cet effort, les trois pôles, dont les relations sont traversées par des tensions récurrentes, prennent le risque de précipiter l’effondrement du régime de non prolifération nucléaire menacé en Iran et en Corée du Nord et d’aggraver le chaos au Moyen Orient. Il faudrait aussi qu’auparavant les Etats-Unis et l’Europe, qui ne se décident pas à considérer sérieusement la question de leurs relations avec Pékin, s’accordent sur une véritable politique chinoise, débarrassée des scories de la guerre froide.

 

 

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