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›› Lectures et opinions

Transparence, maquillages et mises en scène

Quand la réalité ne correspond pas au rêve on la maquille ou on la brouille. Quand l’histoire réelle s’écarte des mythes on la réécrit. Ainsi va la politique. Rares sont les pays qui ne se sont pas livrés à ces petits et grands trucages de leurs statistiques ou de leur histoire. La Chine ne fait évidemment pas exception. A côté des réels efforts de transparence, plus ou moins induits par l’ouverture et la conscience que les problèmes sont trop vastes et trop compliqués pour être traités à huis clos, les vieilles habitudes de maquillage des statistiques et de l’histoire, sur fond de propagande politique continuent de cohabiter avec l’esprit d’une nouvelle génération d’experts qui s’efforcent de s’en tenir aux faits.

Les documents officiels des zones de développement, les chiffres publics du ministère de l’économie et des finances, les bilans des autorités locales, les rapports à destination de l’étranger sont souvent des « vitrines » à considérer avec circonspection et à mettre en parallèle avec les « vrais chiffres » à usage interne qui, parfois, par inadvertance ou par calcul d’un fonctionnnaire excédé, éclatent en bulles incongrues et dérangeantes à la surface lisse de l’immense océan chinois. A moins que l’urgence de la situation, l’énormité des problèmes et la grogne qui monte au sein du peuple, incitent les responsables à plus de transparence, comme c’est le cas du dernier rapport officiel et public du Ministre de la santé Gao Qiang sur l’état de la médecine en Chine, qui nous apprend, en termes très crus et en mettant le doigt sur les responsabilités de l’Etat que, dans certaines régions, y compris dans les villes, près de 40% de la population n’a plus accès aux soins, devenus trop chers.

On voit bien quelles sont les intentions cachées de ces trucages destinés à attirer ou rassurer les investisseurs étrangers, dont les capitaux alimentent en partie le moteur de la Chine en développement. Mais il faut bien se rendre à l’évidence : la coexistence des accès de transparence avec la persistance de statistiques incomplètes ou peu rigoureuses, dont se plaignent régulièrement les grandes organisation internationales, comme la Banque mondiale ou l’OMC, affaiblit considérablement la crédibilité du discours officiel.

Ce qui vaut pour les chiffres est également vrai pour l’histoire récente et ancienne qui, selon de très vieilles habitudes, est « revisitée » pour façonner une image de la Chine édulcorée et adaptée, venant en appui de ses objectifs stratégiques : Faire accepter l’idée de sa montée en puissance pacifique et de son intégration « douce » sur la scène mondiale. Par là même, tenter de désamorcer les attaques, le plus souvent américaines, qui s’articulent autour du thème de « la menace chinoise ». En même temps, préserver sa position de première et seule grande puissance asiatique. Le tout baignant bien sûr dans une propagande ininterrompue sur les succès de la RPC, destinée à affermir la légitimité parfois vacillante du pouvoir.

Grâce aux médias, complètement aux ordres - et cette tendance ne faiblit pas, au contraire - , la stratégie du maquillage et du flou historique se met en oeuvre naturellement et sans effort. A force d’être instillées sans relâche, les affabulations finissent par devenir des lieux communs que plus personne ne songe à contester. Récemment, deux réécritures caractéristiques d’une manipulation intentionnelle de l’histoire ont occupé une place considérable dans les grands organes d’information chinois. La première renvoie à l’épopée vieille de 6 siècles du grand navigateur eunuque musulman de la dysnastie Ming, Zheng He, reprise et enjolivée par tous les médias. La deuxième réécrit, en le magnifiant, le rôle du PCC dans la lutte contre le Japon impérial lors de la deuxième guerre mondiale.

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Zheng He était en effet un homme d’envergure, mais il n’était ni un ambassadeur pacifique ni cette sorte d’explorateur éclairé au grand coeur que nous présente l’imagerie officielle, pour accréditer l’idée que la Chine a toujours été une « puissance douce ». Avec une force navale de plus 1500 vaisseaux, Zheng He fut en fait l’un des plus grands instruments de l’expansion de la puissance militaire, culturelle et commerciale chinoise vers le sud, à une époque où, sur terre, l’Empire annexait le Yunnan et étendait son influence au Vietnam comme en Birmanie. Sur mer, la supériorié de la marine chinoise parvint à mettre à la raison les pirates japonais qui disparurent presque totalement des côtes chinoises, tandis que les expéditions de Zheng He contribuèrent, avec d’autres, à asseoir l’influence de la Chine en Asie du Sud-Est. Si nécessaire, l’amiral eunuque installait des souverains inféodés à Pékin quand ceux en place se montraient rétifs, notamment en Indonésie et à Ceylan, où Zheng He infligea une défaite à l’armée royale.

C’était l’époque de la diplomatie du tribut qui contribua à mettre en place, évidemment par l’étalage ou l’usage de la force militaire, un vaste réseau d’allégeances politiques et commerciales, également articulées autour des premières bases de Chinois d’outre-mer en Asie du Sud-est. Ces derniers prirent peu à peu la place des commerçants indiens et arabes. Tout cela était bien normal pour l’époque, mais également bien éloigné de l’image angélique qui présente les 7 expéditions de Zheng He comme d’aimables tournées pacifiques, mi-culturelles, mi-commerciales. La question est loin d’être anodine à un moment où plusieurs pays du sud-est asiatique s’inquiètent de la persistance des allégeances troubles à la RPC de leurs nationaux d’origine chinoise.

Sur la question japonaise la télévision d’Etat met en scène à jets continus une histoire édifiante du PCC ayant vaincu les armées japonaise en Chine, ce qui permet d’affirmer que la République Populaire fut l’un des vainqueurs de la 2e guerre mondiale. Mais voilà, en 1945 Mao, qui n’avait pas encore triomphé sur la Grande Terre, passait plus de temps à protéger ses forces en vue des combats ultérieurs pour prendre le pouvoir qu’à affronter les Japonais. Les historiens chinois le savent bien eux qui, hormis les escarmouches conduites par Lin Piao, ont eu quelques difficultés à dénicher des épisodes militaires convaincants du rôle de l’APL dans la lutte anti-japonaise. Il est donc un peu insuffisant de n’attribuer la défaite du Japon qu’à l’Armée de Libération Populaire sans mentionner la contribution des militaires du Kuomintang qui, malgré la corruption et, il est vrai, d’abord à contre cœur, infligèrent les plus lourdes pertes à l’occupant. Surtout la propagande du PPC, se donnant le beau rôle, oublie que ce sont les Etats-Unis qui, dans le Pacifique, portèrent les coups les plus décisifs à la machine de guerre japonaise.

Les Américains ne sont cependant pas totalement absents de ce tableau auto-laudatif aux couleurs strictement chinoises, puisque les commérations n’oublièrent pas de mentionner l’histoire des « Flying Tigers », cette poignée de pilotes américains volontaires venus, comme une force d’appoint, se battre contre le Japon en Chine. Mais là le message subliminal renvoie à la fraternité d’armes avec les Etats-Unis, mise en scène pour instiller l’idée qu’au fond, les rivalités actuelles avec Washington sont d’ordre conjoncturel. Symétriquement l’histoire officielle, reprise par les discours du président Hu Jintao et du ministre de la Défense Cao Gang Chuan, a présenté les contributions des soldats de l’URSS engagés dans le Nord Est de la Chine pour épauler, également comme une force d’appoint, leurs camarades de l’APL dans leur lutte contre les armées japonaises.

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En se plaçant aux côtés des Etats-Unis et de la Russie dans le camp des vainqueurs du second conflit mondial, la Chine se confère l’attribut majeur qui qualifie le clan des grandes puissances de l’après-guerre : la victoire contre le Japon et l’Allemagne. Du coup, grâce à ce tour de passe, l’histoire de la Chine moderne est vue sous un éclairage nouveau et édulcoré, débarrassé des tourmentes de la première moitié du siècle qui maintinrent la Chine à l’écart du monde jusqu’à la fin des années 80. Sans le dire ce « réajustement historique » suggère en effet que l’intégration du vieil Empire du Milieu dans le cercle restreint des puissances responsables co-gestionaires de la planète remonte à l’immédiat après-guerre.

L’histoire arrangée de la victoire du PCC sur les armées nippones donne aussi l’occasion d’insister lourdement et sans relâche sur les atrocités, bien réelles cette fois, du Japon en Chine et en Asie. Quotidiennement la propagande télévisée, captée par des centaines de millions de foyers chinois diffuse ainsi une ambiance de ressentiment anti-japonais relayée par les étudiants, dans des manifestations qualifiées de spontanées par le pouvoir. Le problème est que cette campagne insistante, qui attise dangereusement le nationalisme chinois, met sous le boisseau tout espoir de dépasser les blessures de l’histoire entre Tokyo et Pekin, d’autant que le Japon, qui garde une mentalité de guerre froide, ne se montre pas toujours à la hauteur des enjeux d’une réconciliation dans la région.

Il est vrai que pour Pékin il y a plus urgent : empêcher par tous les moyens Tokyo d’accéder à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité, une éventualité qui heurterait profondément la sensibilité identitaire de la Chine qui, quoi qu’elle en dise, se voit toujours comme une puissance centrale, sans rivale en Asie. Pour arriver à ses fins elle utilise tous les moyens, y compris ceux qui consistent à suggérer que le Japon est révisioniste et que ses crimes de guerre, pour lesquels Tokyo a pourtant plusieurs fois présenté des excuses officielles, disqualifient à jamais l’archipel de jouer un rôle politique accru sur la scène mondiale.

Depuis des temps immémoriaux les historiens chinois réécrivent l’histoire de leur pays, calibrée à l’aûne des stratégies du pouvoir. Cette tendance, qui n’est pas une spécialité purement chinoise, n’a pas disparu. Au contraire, elle semble plus vivace que jamais. Il est vrai que, quels que soient les progrès accomplis depuis 20 ans, il reste beaucoup à faire pour rapprocher la réalité de la Chine d’aujourd’hui de l’image qu’elle tente de donner d’elle-même, tandis que beaucoup de Chinois ont du mal à abandonner le mythe d’une puissance sans rivale, héritée de l’histoire impériale. Il est vrai que les Etats-Unis leur renvoient sans cesse l’image d’une hégémonie qu’ils rêvent parfois tout haut d’imiter. Gageons cependant qu’avec le temps et l’ouverture, de plus en plus de responsables comprendont que la meilleure façon de tirer les leçons de l’histoire est encore de l’accepter telle qu’elle est et que les contradictions de la réalité se surmontent d’autant mieux qu’on les laisse s’exprimer.

 

 

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