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›› Lectures et opinions

Questions autour de l’engagement américain en Asie

La Brookings Institution, Think Tank indépendant de Washington vient de produire une synthèse intéressante de la réaction des pays asiatiques au repositionnement stratégique américain en Asie.

L’analyse propose également une appréciation moins manichéenne des attitudes chinoises depuis 2009, que beaucoup d’observateurs ont rattachées à un rejet anti-américain. Elle met en garde contre une stratégie de « containment » anti chinoise et s’interroge sur la durabilité de l’engagement américain.

Diversité des réactions. L’Asie cherche l’équilibre des influences entre Pékin et Washington.

Globalement le document perçoit une différence entre d’une part les pays d’Asie du Nord-est auxquels il rajoute l’Inde et d’autre part les pays de l’ASEAN. A ces différences notables entre les pays, en fonction de la zone, il convient d’ajouter les contrastes entre les réactions officielles et les sociétés civiles ou les médias indépendants quand ils existent.

A cet égard, la réponse de l’Asie à l’annonce de l’ouverture prochaine d’une base de Marines américains à Darwin en Australie est révélatrice de ces différences. Les alliés proches comme le Japon ont applaudi sans réserve. L’Inde qui se rapproche des pays occidentaux s’y est rallié.

Mais ailleurs, des voix se sont élevées pour appeler à la prudence face aux réactions possibles de la Chine. Par son ministre des Affaires étrangères, l’Indonésie a évoqué le « cercle vicieux des tensions et de la méfiance » ; le premier ministre malaysien était sur une ligne identique, craignant un raidissement de la situation.

Même à Singapour, où la ligne politique penche en général du côté de la puissance jugée stabilisatrice des forces armées américaines, le ministre des Affaires étrangères a exprimé la crainte que l’ASEAN se trouve prise dans l’étau des compétitions d’intérêts entre Pékin et Washington.

L’histoire régionale de l’Asie et le poids des situations présentes expliquent largement ces différences. Au deux extrêmes du scope se trouve d’une part le Japon, dont toute la stratégie de défense repose sur la dissuasion américaine face à la Chine et à la Corée du Nord ; et d’autre part le Cambodge, qui, de toute l’Asie, - mais son histoire l’explique - est probablement le pays qui s’aligne le plus sur les intérêts chinois.

Au passage l’analyse note que les décisions américaines de bascule vers l’Asie ne permettent pas de préjuger de l’excellence des relations entre Washington et tous ses partenaires asiatiques. Au Japon, par exemple la controverse reste vive autour de la base de Futenma, tandis qu’ailleurs certains pays pourraient chercher à entraîner les Etats-Unis dans des querelles dangereuses.

C’est le cas des Philippines, l’un des pays les plus humiliés par les réactions chinoises en 2011, qui réclame que le Pentagone accepte d’inclure certains îlots des Spratly revendiqués par Manille, dans le périmètre de l’accord de défense bilatéral.

La réalité est que toutes les capitales asiatiques souhaitent maintenir des bonnes relations avec la Chine, souvent pour des raisons économiques, tout en espérant pouvoir compter sur la garantie de sécurité américaine en cas de tensions avec Pékin.

Ainsi à peine les Etats-Unis avaient-ils réaffirmé leur engagement en Asie, que le premier ministre japonais Noda et le président sud-coréen Lee Myung-bak se rendaient l’un après l’autre en visite officielle en Chine. Tandis que, dès le mois de décembre, Hanoi et Bangkok accueillaient le vice président chinois Xi Jinping. Presqu’en même temps, le Myanmar recevait Dai Bingguo, le n°1 des Affaires stratégiques chinoises.

L’exemple de la Birmanie est symptomatique de la volonté des gouvernements de rééquilibrer la puissance chinoise par un rapprochement avec Washington. Mais ailleurs, la réaction des sociétés civiles et des médias fixent les limitent du jeu qui tente parfois d’instrumentaliser la puissance militaire américaine.

En Corée du sud, Lee Myong-bak a été critiqué, y compris par la presse conservatrice, pour son extrême alignement sur la Maison Blanche, tandis que l’opposition le pressait de réaffirmer les liens avec la Chine. Mais, soulignant la complexité de l’exercice de rééquilibrage, où se mêlent l’orgueil national, la crainte d’un conflit avec Pyongyang et les préoccupations d’ordre budgétaire, les mêmes médias redoutèrent le surcoût pour Séoul de l’allègement annoncé du dispositif militaire américain sur la Péninsule.

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Refuser le « containment » de la Chine. Assurer le long terme.

Enfin, s’il est vrai que l’analyse confirme l’importance cardinale de la région Asie – Pacifique pour les dynamiques globales, elle souligne aussi qu’à l’avenir, la renaissance de la puissance chinoise sera plus complexe qu’elle ne le fut par le passé. « Les opportunités à moyen terme sont évidentes, mais il y a peu de certitudes sur le long terme ». Tout dépendra notamment des choix stratégiques des pays asiatiques. Entreront-ils dans le jeu chinois, ou tenteront-ils systématiquement de l’équilibrer par le truchement de liens plus étroits avec Washington ?

La réponse à cette question dépend elle-même de l’appréciation que les uns et les autres, y compris aux Etats-Unis, se font de l’attitude de Pékin. A cet égard, la Brooking Institution prend le contrepied du consensus presque général qui spécule sur un changement radical des stratégies chinoises depuis 2009, qui aujourd’hui seraient directement ciblées contre les Etats-Unis. L’article, qui ne nie pas un regain de l’agressivité chinoise anti-américaine souligne cependant que la bascule de l’attitude de Pékin peut avoir d’autres motivations que le rejet de Washington.

Vis-à-vis de Pyongyang, par exemple, les changements intervenus à partir de 2009 furent plus motivés par la volonté de sauver le régime d’un effondrement que par une opposition aux Etats-Unis. En mer de Chine du Sud, la somme des incidents survenus en 2010 et 2011, signale plus une stratégie visant à retarder au maximum la solution des différends territoriaux, probablement pour des raisons nationalistes internes.

Au demeurant, les signaux agressifs émis par le régime chinois furent aussi le résultat d’un affaiblissement du consensus interne au Parti, libérant quelques expressions ultra nationalistes, y compris anti-américaines, qui effrayèrent toute l’Asie du sud-est et amenèrent naturellement la Maison Blanche à réagir. Mais sur le long terme la perpétuation d’une ambiance de confrontation serait néfaste et probablement difficilement soutenable.

Pour l’auteur, l’intérêt des Etats-Unis réside non pas dans une compétition, dont les relations avec les pays asiatiques seraient l’enjeu, mais dans une coopération marquée par des initiatives diplomatiques fortes. Celles-ci engageraient Pékin à augmenter son influence, plus par le truchement des relations diplomatiques et commerciales, que par des manœuvres coercitives.

Enfin, la conclusion de l’article exprime le souci de la continuité à long terme de l’engagement américain. A cet effet, il cite Lee Hsien Loong, le premier ministre de Singapour : « L’engagement des Etats-Unis en Asie est historique et il n’est pas agressif. Même si la Chine s’inquiète des intentions américaines, les pays d’Asie accueillent favorablement la réaffirmation de l’intérêt de Washington pour la région. Tout le monde espère qu’il sera durable ».

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Commentaires.

L’analyse signale deux préoccupations majeures de la Maison Blanche. L’une concerne le risque d’une crispation durable des relations avec Pékin qui placerait l’ensemble des relations avec l’Asie sous le poids réducteur d’une compétition – confrontation sino-américaine, avec l’effet collatéral néfaste d’un risque de dérapage militaire. L’autre est, dans un contexte budgétaire contraint, liée aux interrogations qui pèsent sur la capacité américaine à durer, après les proclamations tonitruantes du mois de janvier 2012.

La vision révèle cependant un irénisme idéaliste. Les années 2010 et 2011 ont bel et bien exprimé un nationalisme chinois anti-américain, les Etats-Unis ayant, à plusieurs reprises, été traités d’indésirables dans la région par quelques hautes personnalités du Régime qui récusent également les ventes d’armes américaines à Taïwan.

En Juillet 2010, lors d’un forum de l’ARF à Hanoi, le ministre des Affaires étrangères (MAE) Yang Jiechi avait considéré les propositions américaines de s’impliquer comme médiateur dans le règlement des différends en Mer de Chine, comme une « agression » contre Pékin. En novembre 2010, un porte parole du MAE chinois rappelait l’opposition de Pékin à la « présence non autorisée de bâtiments de guerre étrangers dans la zone économique spéciale chinoise ». Par cette déclaration, il s’insurgeait contre la venue répétée des porte-avions de l’US Navy, aux abords du golfe de Bohai.

Les craintes de la Maison Blanche d’être entraînée dans un engrenage catastrophique sont illustrées par la situation qui prévaut actuellement autour des Philippines, ancienne colonie américaine émancipée en 1946, aujourd’hui son allié dans la région, après une présence militaire américaine qui s’est achevée en 1992.

Il y a un an, dans les environs du récif de Reed, (Reed Bank), situé à 130 nautiques au Nord-ouest de l’ile de Palawan, 2 patrouilleurs chinois avaient chassé un bâtiment de recherche, affrété par la compagnie britannique Forum Energy Plc (dont les actionnaires sont la compagnie philippine Philex Mining Corp et le First Pacific Group Hong Kong), travaillant au profit du gouvernement Philippin.

Encouragé par les bonnes perspectives d’un important gisement de gaz dans la zone, Forum Energy envisage de retourner sur place cette année et de commencer les forages. Simultanément, la marine américaine a planifié des manœuvres navales communes, non loin du récif de Reed.

Manille considère que les récifs sont à l’intérieur de sa zone économique spéciale, tandis que Pékin explique qu’ils sont partie de l’archipel des Spratly, qui s’étend sur plus de 400 000 km2, que la Chine revendique en totalité, tout comme Taïwan, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie et Brunei. Manille, qui a effectué des recherches dans cette zone depuis 1970, signale qu’en 2011 la marine chinoise a été à l’origine de 12 incidents d’intrusion dans les eaux philippines. L’augmentation des intrusions et des harcèlements chinois en 2011 a conduit le gouvernement philippin à se raidir.

Les risques de confrontation baignent dans deux logiques et légitimités contraires, elles-mêmes exacerbées par le potentiel de ressources d’hydrocarbures. Les premières, à Pékin, prennent racine dans une conception impériale et culturelle de l’espace chinois qui renvoie aux limites territoriales conquises par la dynastie Qing, dont les franges sont, au demeurant, agitées de tumultes récurrents, à Taïwan, en Tibet au Xinjiang et en Mer de Chine.

Les autres légitimités s’inscrivent dans l’histoire récente de la région, marquée par les victoires militaires des Etats-Unis et leurs alliés contre le Japon et la Corée du Nord, qui fondent la légitimité du pentagone, garant de la sécurité de la région, elle-même appuyée sur le droit de la mer.

 

 

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