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›› Lectures et opinions

La France en Chine du XVIIe siècle à nos jours. Par Bernard Brizay

Bernard Brizay journaliste et historien qui s’est fait une spécialité de l’histoire de la Chine depuis son télescopage avec l’Occident et le Japon, publie cette année aux éditions Perrin une nouvelle histoire des relations franco-chinoises sous le titre « La France en Chine. Du XVIIe siècle à nos jours », 556 pages.

Il s’agit d’un efficace travail de synthèse et de mise en perspective de la relation franco-chinoise où on croise toute notre histoire coloniale en Chine et une petite partie de celle de l’Indochine. Le parcours de plus de trois siècles nous confronte à nos engouements, nos erreurs de jugement, à nos illusions et nos aveuglements, mais aussi à nos générosités, notre courage, parfois à nos héroïsmes, hélas aussi à nos démissions et à nos hypocrisies.

Commencée dans l’élitisme absolu avec les « mathématiciens du Roi Soleil », comme les appelait Chateaubriand - cinq savants jésuites envoyés en 1685 à la cour des grands Empereurs de la dynastie Qing –, artisans d’une stratégie oblique de conversion de l’Empire par le haut et au moyen de la science, la relation franco-chinoise dont l’épine dorsale fut d’abord la diffusion de la religion catholique, commença à se brouiller moins de 30 ans plus tard. Exactement en 1704, quand le Vatican interdit d’adapter l’enseignement de la religion aux coutumes et usages locaux. Les malentendus s’aggravèrent en 1724 après le décès de l’empereur Kangxi et la révocation de l’Edit de tolérance par son fils l’empereur Yongzheng.

Les grands érudits jésuites comme le Père Pa qui travaillèrent sans relâche dans cette ambiance indécise et flottante n’en eurent que plus de mérite. Polyglotte, mathématicien, interprète et traducteur, de son vrai nom Dominique Parrenin, le père Pa oeuvra avec d’autres à la cour des trois grands empereurs mandchous. Son audience était considérable au point qu’à son décès le frère du souverain assista à ses funérailles en 1741. Mais à la disparition du père Amiot en 1793, le dernier jésuite français, mort - dit Brizay - du choc que lui causa la nouvelle de la décapitation de Louis XVI, la relation changea de nature.

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« Les mathématiciens du Roi »

L’auteur est impressionné par la somme de talents que représentaient les Jésuites français en Chine et la quantité de travail qu’ils consentirent pour mériter la confiance des souverains chinois. Dans un chapitre intitulé « les premiers sinologues », citant Virgile Pinot, auteur d’une thèse de doctorat sur « la formation de l’esprit philosophique en France » - Paris 1932 -, il explique comment les missionnaires « ont donné à l’Europe une image nouvelle de l’Orient et déterminé vers les pays exotiques un mouvement général de sympathie et d’attention ».

Suit une longue description assortie de brefs commentaires des œuvres laissées à la postérité, sur Confucius (Père Philippe Couplet), sur la situation générale de la Chine (Père Lecomte : « Nouveaux mémoires sur l’état présent de la Chine »), sur Sun Zi (Père Amiot) et sur les fameuses « Lettres édifiantes et curieuses », « monument épistolaire à l’origine de presque tout ce qui s’écrit sur la Chine au XVIIIe siècle ». Au passage Brizay fait justice des constants reproches adressés aux Jésuites d’avoir « toiletté » la réalité chinoise. « Le tableau est loin d’être rose. Il y est question de l’infanticide, de l’alcoolisme, de la luxure des bonzes, des pratiques magiques et de la croyance aux démons ».

A ces sommes, il faut encore ajouter entre autres l’énorme compilation du travail de 27 missionnaires, dont 22 Français, par le Père Jean-Baptiste Du Halde, publiée à Paris en 1735, dont l’influence sur les philosophes français, et en premier lieu de Voltaire est considérable. Là se situe la récupération du travail des Jésuites par les philosophes des lumières qui voyaient la Chine par le viseur unique de l’anticléricalisme pour justifier, par l’exemple chinois au demeurant pas tout à fait bien compris, la possibilité et la pertinence d’un pouvoir politique légitimé en dehors de la religion, sous la forme « du despotisme éclairé qui permettrait au contrat social confucéen de s’épanouir ». Il s’agit bien sûr d’une perception biaisée du mythe confucéen et de sa sagesse, dont la force en Chine a toujours contribué à conforter le pouvoir impérial.

Les déboires de « la fille aînée de l’Église »

Déjà tendus par les persécutions des religieux qui s’accélérèrent sous l’Empereur Qianlong, les échanges franco-chinois progressivement placés sous la pression des ambitions commerciales britanniques où la France a toujours accusé plusieurs longueurs de retard, tourneront bientôt à l’aigre. Avec Paris, plus porté vers le Maghreb et l’Afrique noire, hésitant sans cesse entre la prudence et l’activisme militaire, notre aventure chinoise porte souvent la marque d’une entreprise velléitaire, sans idée maîtresse où certaines initiatives malheureuses furent la conséquence de luttes politiques et idéologiques internes qui traversaient le microcosme parisien.

En fond de tableau il y eut le choix de la France, « fille aînée de l’Eglise », de se porter systématiquement, très souvent sans moyens, au secours de tous les missionnaires persécutés qui donna à notre entreprise un parfum d’altruisme détaché des cupidités britanniques, mais n’en était pas pour autant dénué d’arrières pensées politiques et commerciales. Ce qui ajouta à l’ambivalence de l’engagement.

L’affichage en faveur des missions religieuses dont certains peuvent penser qu’il était à la fois brave et généreux, était en réalité téméraire puisqu’il ne s’appuyait que sur des moyens militaires réduits. Il créa de ce fait d’importantes vulnérabilités, nous plaçant dans la position équivoque et sensible d’avoir à prêter main forte avec de faibles capacités de riposte, au prosélytisme religieux des missions de plus en plus réprouvé par la dynastie Qing et rejeté par une population superstitieuse, manipulée par les tendances xénophobes.

Cet arrière plan de sourde hostilité populaire à la présence étrangère attisée par les conservateurs humiliés par les défaites successives de la Chine fut en juin 1870, à l’origine du massacre du Consul de France et des religieuses de Saint Vincent-de-Paul à Tianjin (Tientsin), auquel Bernard Brizay consacre tout un chapitre. Il y souligne la vindicte particulière dont sont victimes les Français : « La foule se répand aux cris de : tuez d’abord les Français, et ensuite les autres étrangers ».

Le Consul Fontanier et son chancelier Simon, dix religieuses françaises de Saint-Vincent de Paul et quarante convertis chinois furent massacrés ou gravement mutilés, en même temps que deux prêtres lazaristes, trois négociants russes et plusieurs autres étrangers. Les rescapés ne durent leur survie qu’au secours de plusieurs canonnières des « puissances étrangères dépêchées sur les lieux du crime ».

De fait, alors que les premiers contacts furent riches et apaisés, la relation devint très conflictuelle au XIXe siècle, marquée par trois guerres et le sac du Palais d’été avec les Anglais, à quoi il faut ajouter notre participation avec les coalisés au « viol de Pékin », au cours des premiers mois du XXe siècle. Déclenché en représailles des « 55 jours de Pékin », durant lesquels les Boxers prirent en otage le corps diplomatique et assassinèrent l’ambassadeur d’Allemagne, le pillage de la capitale chinoise reste un épisode mal connu au cours duquel les troupes alliées n’eurent pas à se battre, puisque les Boxers s’étaient repliés. Ils en profitèrent pour mettre la ville à sac.

Brizay raconte que l’épisode peu glorieux valut au Général Frey, commandant des troupes françaises, de perdre publiquement la face, quand les caisses qu’il avait fait envoyer de Chine furent saisies par le gouvernement français à Marseille.

Au total, la vision offerte par l’auteur des relations franco-chinoises est globalement – il le dit lui-même -, plutôt négative. En dépit de la somme des dithyrambes qu’on entend quelques fois dans les discours des diplomates, l’appréciation renvoie à une réalité que chacun appréciera, à la mesure de de ses propres expériences, mais qui n’est pas dénuée d’arguments. Le ton est d’ailleurs donné dès les premières lignes quand Brizay raconte dès l’introduction de son livre comment, en 2008, l’ambassadeur Wu Jianmin refroidit l’ardeur amicale de J.P. Elkabach en lui rappelant que les relations franco-chinoises n’avaient pas commencé en 1964 par la reconnaissance de la Chine par le Général De Gaulle, mais que les Chinois n’avaient pas oublié le sac du palais d’été, deux siècles et demi avant.

La conclusion qui développe les arguments irrationnels des bons sentiments réciproques, tarte à la crème des discours convenus, tente d’adoucir, sans y parvenir vraiment l’impression générale d’une aventure traversée par quantité d’à-coups et marquée, du côté français, à quelques trop rares exceptions près, par une vision gravement infirme du long terme.

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La Chine, miroir de nos défaillances. Une occasion manquée ?

A bien des égards la prise de conscience des lacunes et des travers de notre relation avec la Chine, cet espace géographique au-delà des mers et de l’Himalaya (Jacques Gernet) où s’est exprimée une civilisation d’une essence si différente, nous renvoie aux outrances et à quelques illusions de notre entreprise coloniale. Le livre semble exprimer un regret d’avoir manqué un rapprochement enrichissant avec une terre inconnue que Rudyard Kipling croyait impossible et que Simon Leys considérait comme « l’autre pole de l’expérience humaine ».

Une vision proche de celle de Segalen auquel Brizay consacre un chapitre entier et qui affirmait que la civilisation chinoise présentait « l’irrésistible fascination de ce qui est totalement autre ». A quoi notre médecin de marine ajoutait, non sans emphase, que « seul ce qui est totalement autre, peut inspirer l’amour le plus profond en même temps qu’un puissant désir de le connaître ».

Restons modestes. Le « désir de connaître » pourrait ne pas suffire. La Chine foisonne toujours de pièges multiples, d’artifices, de faux semblants et de mystères. Aux tentatives d’approches rationnelles ou passionnelles, elle répond invariablement par un ajustement rassurant mais ambigu, insondable et inaccessible quant-à-soi dont se nourrissent les malentendus, face à un pays aux contours psychologiques et culturels flous complexes, jamais à court de trouvailles ou de séductions.

Les plus malins et les plus érudits s’y sont trompés. Brizay cite à plusieurs reprises Etiemble, infatigable virtuose de la Chine ancienne, savant expert de Confucius et du Dao. Mais il omet de signaler qu’il s’est pourtant longuement fourvoyé avec Mao. Dans son sillage il en a désorienté bien d’autres. Et ceux qui, en 1976, glosèrent sur sa méritoire et courageuse repentance en forme d’autodérision se trompèrent aussi quand ils refusèrent, malgré les évidences, d’abandonner le rêve maoïste, dont les délires créèrent tant de souffrances et firent perdre de si précieuses années à la Chine.

Puisqu’il est question des efforts de connaissance à déployer pour mieux comprendre la Chine, on aurait souhaité que l’auteur s’appesantisse un peu plus sur ceux qui, au moment du trou noir de la relation entre 1949 et 1964, et en dépit des difficultés d’une machine politique opaque, experte dans l’art de la déception, ont œuvré pour tenter de comprendre les soubresauts qui agitaient le réveil du vieil empire.

Ainsi des attachés militaires en poste à Hong Kong dont les rapports insistants furent parmi les premiers à soulever le voile du désastre du grand bond en avant, et de Jacques Guillermaz, officier infatigable, passionné par l’observation autant que par l’analyse, extraordinaire aventurier de la Chine moderne qu’il a côtoyée dans toutes ses contradictions à plusieurs reprises depuis 1937 jusqu’à son poste à Pékin en 1964, comme Attaché de Défense de l’Ambassadeur Paye.

Son parcours chinois effectué avec lucidité et distance, à la rencontre de Chang Kai Chek, de Zhou En Lai ou de De Lattre lui permit d’écrire deux livres essentiels que Brizay ne mentionne pas, mais qui font autorité, sur le naissance du Parti Communiste et sur sa pratique du pouvoir. « Histoire du parti communiste chinois des origines à la conquête du pouvoir (1921-1949), et « Le Parti Communiste chinois au pouvoir » de 1949 à 1978. Jacques Guillermaz Payot. 2004.

Analysant avec lucidité et sans complaisance un pays dominé par l’écrasante personnalité de Mao, ces livres offrent un panorama complet de la Chine pendant le demi-siècle d’une période peu connue, souvent délaissée par le sinologues et mal interprétée par les fervents du maoïsme.

Les vastes expériences de Jacques Guillermaz, sa connaissance de la langue et de la culture chinoise lui permirent aussi d’œuvrer efficacement pour la connaissance de la Chine du XXe siècle avec le Centre d’Etudes sur la Chine moderne et contemporaine qu’il créa au sein de l’Ecole des Hautes Etudes des Sciences sociales.

Belles rencontres et belles histoires.

En tous cas, Bernard Brizay a le mérite d’apporter sa pierre à la connaissance de notre histoire en Chine et à notre parcours avec elle. Il y montre une France tour à tour flamboyante, généreuse, auréolée de panache, parfois arrogante ou chimérique et, à l’inverse, étriquée, pusillanime, bureaucratique, querelleuse, politicarde et tristement administrative. Le récit qui se lit comme une aventure à rebondissements, comporte des « arrêts sur image » fonctionnant comme un puzzle dont les pièces multicolores se mettent progressivement en place.

On y croise les grandes figures bien connues comme le père Dominique Parrenin déjà cité et, un siècle plus tard, le Père Huc, le truculent Lazariste. Plus tard encore, les grands consuls courageux solitaires et efficaces comme Charles de Montigny, fondateur de la concession française de Shanghai, Auguste François – le mandarin blanc -, diplomate altier, rebelle et indépendant, Paul Claudel observateur précis de l’économie chinoise, toujours à la recherche d’un ailleurs, très critique de la présence occidentale. Dans l’ouvrage de Brizay ce dernier précède Segalen, poète d’une Chine rêvée et obscure, ethnographe et archéologue que Simon Leys considère comme une référence artistique et « exotique », fasciné par les voyages et par la Chine, « cet Autre fondamental sans lequel l’Occident ne saurait devenir vraiment conscient de lui-même ».

D’autres coups de projecteurs montrent les héros de l’aventure entre l’Indochine et la Chine. Sont mis à l’honneur les officiers de marine Doudard de Lagrée, Francis Garnier et Henri Rivière, les deux derniers morts au combat à Hanoi à 10 ans à d’intervalle, au même lieu dit du « pont de papier » et contre le même ennemi : les pavillons noirs chinois.

La correspondance d’Henri Rivière qui aurait mérité d’être citée dans la somme de Brizay, montre à la fois le courage, le détachement et la sérénité de tous ces hommes d’exception, en même temps que l’absence de directives parisiennes : « J’ai fait ce que je devais. Je compte ce calme de conscience comme un élément de bonheur. Je fais de la marine, de la politique, de la guerre. Cela ne me dérange pas, me distrait un peu… J’ai une philosophie tranquille qui s’attend à tout et qui s’y résigne. Comme ce gouvernement, qui ne se décidait à rien, avait eu l’imprudence de m’envoyer 500 hommes, je me suis mis à faire ce qu’il ne se décidait pas à me faire faire. »

Photo : Le Consul Auguste François en 1902 à Yuannanfu (Kunming) avec le Général SU.

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Confusions, erreurs de jugement et faiblesse des perspectives

Enfin, il faut signaler deux éclairages éloquents de Brizay qui montrent, pour le premier, l’ampleur des confusions et des erreurs de jugement en même temps que les querelles de chapelle et, pour le second, l’absence d’unité et de vision à long terme de notre politique.

Le premier est la « fausse bonne idée » du chemin de fer du Yunnan, emblématique cheval de bataille de Paul Doumer résident général au Vietnam. Le futur président de la République qui voyait en effet la Chine sous l’angle unique d’un territoire colonial à conquérir, imagina que la voie ferrée Hanoi – Kunming serait l’artère logistique d’un rattachement ultérieur fou et ambitieux de la province chinoise du Yunnan au Tonkin, devenus tous deux territoires français.

Il reste aujourd’hui une voie ferrée étroite dégageant un formidable attrait pittoresque et nostalgique, immortalisée par le style haletant et extraordinairement imagé de Lucien Bodard, dans « Le fils du consul » Grasset 1973. C’était un mirage écrit très justement Brizay. En fait, l’illusion était double. Celle du rattachement colonial d’abord qui commettait un contresens sur la nature même de la Chine et notre capacité à la dominer ; Celle de la logistique ensuite qui ambitionnait de concurrencer par ce petit chemin de fer à voie étroite, le majestueux fleuve bleu puissante artère jugulaire reliant le Yunnan et le Sichuan à Shanghai. Mais ceux qui voyaient clairement ces erreurs et les dénoncèrent comme Auguste François, n’étaient pas écoutés.

Le chemin de fer, merveille technique qui enjambe par d’audacieux enchevêtrements métalliques une longue série de gorges rocailleuses escarpées, nécessita, pendant six années, le travail de 15 000 coolies, des tonnes de matériel et beaucoup d’argent. Une fois réalisé, il suscita l’admiration sans bornes de ses promoteurs et de ceux qui, subjugués par la beauté du geste technique, furent séduits par la propagande officielle.

Mais au total, souligne Brizay avec une cruelle ironie, la voie ferrée ne devint pas l’artère logistique de contournement capable de faire pièce à la pénétration anglaise par le Yangzi. Pire encore, citant « Les Grandes Murailles » de Bodard, il ajoute que, pendant notre guerre d’Indochine, « la partie chinoise du chemin de fer (…) était régulièrement parcourue par des trains qui apportaient du matériel, de l’armement, des vivres au Vietminh et permit la victoire de Diên Biên Phu, contribuant ainsi à l’humiliation, a la déroute, à la catastrophe des Français ».

La destruction ordonnée par Jules Ferry de l’arsenal de Fuzhou, construit avec le concours essentiel de l’officier de marine français Prosper Gicquel constitue l’autre signe et non des moindres des incohérences françaises dans cette partie du monde. L’anéantissement en quelques heures, le 22 août 1883, par la flotte de l’amiral Courbet d’une œuvre française, solide, exemplaire et de longue haleine, fut un des dégâts collatéraux de la 2e guerre franco-chinoise entre 1883 et 1885.

Il survint au moment même où la France était en train de se tailler une réputation à sa mesure d’expert en industrie navale, dans une Chine qui, sous l’égide des ses plus brillants militaires et hommes politiques, avait sollicité le concours d’ingénieurs français pour se doter d’une marine de guerre moderne. Pour René Viénet cité par Brizay, la campagne militaire contre la Chine décidée par le gouvernement français sous la pression des Boulangistes qui s’étendit des côtes du Fujian à Taïwan « a ruiné pour plus d’un siècle les relations entre la France et la Chine, déjà mal en point depuis le sac du palais d’Eté par les troupes de Napoléon III assistées des troupes britanniques ».

Les raisons exactes de cette bévue restent à élucider. Brizay soulève une partie du voile qui découvre un enchevêtrement de situations, d’initiatives, de querelles entre groupes de pression, de rivalités de pouvoir, fond de tableau gaulois de la politique intérieure française où on distingue mal les intérêts à long terme du pays. A quoi s’ajoutent quelques fausses manœuvres diplomatiques à l’origine de graves malentendus quand des négociations de première importance avec la Chine furent, selon une manie bien parisienne, confiées à des plénipotentiaires sans expérience ni talent.

Avec une direction clairement établie, indépendant des lobbies, débarrassée des scories parasites de l’idéologie ou des égocentrismes démesurés, peut-être Paris aurait-il pu, comme les hommes politiques français le suggéraient d’ailleurs eux-mêmes, concilier habilement nos pénétrations au Vietnam et en Chine.

Photo : Prosper Gicquel (1835 - 1886) créateur de l’arsenal de Fuzhou, détruit par la France en 1884.

Un bilan mitigé.

De cette somme d’informations, de dates, de détails, de situations, de personnages flamboyants, honnêtes ou retors, agissant au milieu d’une suite de contradictions, d’ambitions et de rêves souvent déçus, il faut tenter une synthèse qui sera forcément partielle. Trois idées force surnagent : l’échec de la tentative élitiste des Jésuites, la distance avec la métropole qui semble sans cesse avoir agi comme un frein à notre engagement et, enfin, l’inexorable sentiment de déclin au fil des siècles de notre position et de notre influence en Chine qu’il est facile de mesurer aujourd’hui, tant elle saute aux yeux.

La trajectoire de la chute fut à peine freinée en 1964 par l’initiative du Général De Gaulle de reconnaître la Chine de Mao, au milieu d’une situation politique interne mal connue, bouleversée par les affres du Grand Bond en avant et sur le point de sombrer dans le chaos de la révolution culturelle noyée dans les slogans et les malentendus idéologiques. Ainsi l’effet psychologique, sentimental et politique de la reconnaissance gaullienne qui fit suite aux visites dans une Chine opaque et tourmentée d’Edgard Faure en 1957, de Mendes France (avec Roland Dumas) en 1958, de Mitterrand (1961), et à nouveau d’Edgard Faure en 1963, n’eut-il, au rebours de ce qu’en dit la propagande officielle en France et en Chine, qu’une existence assez courte.

La lune de miel dura en réalité à peine 15 années. Encore les premières années après la reconnaissance furent-elles marquées par les débordements de la révolution culturelle. Dès 1966 sur les murs de Pékin avaient fleuri des affiches où on traitait De Gaulle de « Chien ». La Chine rouge entrait dans une phase convulsive déclenchée par Mao pour reprendre le pouvoir dont le Parti l’avait en partie dépossédé après la catastrophe du Grand Bond.

La transe, longtemps un mystère pour les observateurs extérieurs, fut accompagnée d’agressions physiques contre nombre d’étrangers. Elle se résorba progressivement à partir de 1969. En 1972, la visite de Nixon ouvrait de nouvelles perspectives qui allaient à terme ôter à la France les privilèges de l’antériorité diplomatique. Avec la disparition de Mao en 1976 prit fin l’ère des soubresauts idéologiques. Mais les à-coups dans la relation franco-chinoise n’en cessèrent par pour autant.

En 1989, la relation fut gravement secouée par la répression de Tian An Men puis, en 1992, par la vente à Taïwan des Mirage 2000-5 et des Frégates Lafayette. Il faudra attendre 1994 pour qu’elle redevienne normale après qu’Edouard Balladur ait promis de ne plus vendre aucun armement à Taipei.

Suivit une période plus riche marquée par des échanges initiés par Jacques Chirac dans le domaine des arts et de l’architecture moderne quand les opéras de Pékin et de Shanghai, l’aéroport de Pudong, la gare ferroviaire de Shanghai, l’espace piétonnier de la rue de Nankin à Shanghai furent tous attribués à des architectes français. L’apogée de cette période plutôt faste fut le succès des années culturelles croisées 2004 – 2005, en dépit d’importants problèmes de financements et d’un engouement plutôt mitigé des Chinois.

La relation qui continuait cependant à baigner dans les acrimonies d’un très fort déficit commercial attribué à la mauvaise volonté de la Chine accusée de ne pas jouer le jeu du marché, subit une nouvelle secousse en 2008, lors du passage de la flamme olympique chinoise à Paris dont la course fut sévèrement perturbée par des trublions qui manifestèrent en faveur du Tibet. En dépit des bonnes paroles qui spéculent sur la proximité sentimentale des deux pays, en partie à l’origine des désillusions, d’autres déconvenues viendront alors que Pékin tourne de plus en plus ses regards vers Washington.

 

 

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