Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

›› Chronique

A propos de Taïwan, 30 ans après la vente des Mirage et des frégates La Fayette, retour des tensions franco-chinoises

1991 – 1994. La cuisante mémoire d’une crise.

Il y a trois décennies, Paris et Pékin entraient dans une sérieuse crise diplomatique à la suite de la vente française à Taïwan de 6 frégates La Fayette et de 60 chasseurs de combat Mirage-5.

Si les Mirage étaient déjà des appareils trop anciens, plusieurs fois modernisés pour leur conférer une capacité multi-rôles, à l’époque, les frégates étaient en revanche des navires de combat d’une modernité révolutionnaire.

A peine sortis des chantiers naval de Cherbourg et de Lorient, ces bâtiments à l’étude depuis le milieu des années 80, à la forme avant-gardiste supprimant toutes les protubérances extérieures, utilisant des matériaux composites pour gagner du poids et absorber les ondes radar, furent parmi les premiers au monde à posséder une capacité de « furtivité » opérationnelle, augmentant sérieusement leur aptitude à survivre dans un combat naval moderne [2].

Après de sévères controverses dans le sérail français, les frégates furent vendues désarmées pour atténuer la colère de Pékin. En revanche, assortie d’un contrat de maintenance de 12 Mds de Francs - 3,5 Mds d’€ actuels-, la vente conclue le 18 novembre 1992 des 60 Mirage-5, systèmes de combat agressifs, provoqua une violente réaction punitive chinoise.

Ajoutée aux amendes infligées par plusieurs jugements sanctionnant l’usage de commissions et de rétro-commissions versées en infraction aux contrats qui les interdisaient, la riposte punitive de Pékin atténua le bénéfice des transactions dont la valeur totale se montait à 40 Mds de Francs – équivalent à 10,1 Mds de $ actuels (2,5 Mds de $ pour les Frégates et 7,6 Mds pour les 60 Mirage-5).

A côté de la sanction symbolique de l’injonction de fermer le consulat de Canton ouvert seulement 2 années plus tôt, Pékin annula plus de 5 milliards de $ de contrats avec la France.

Le chantier du métro de Canton fut confié au Canadien Bombardier et les projets franco-chinois de 3 centrales nucléaires au Henan, au Hunan et au Hubei annulés. De même, la construction de plusieurs centrales hydroélectriques au Guangxi fut confiée à des groupes chinois.

La férocité de la riposte eut un effet direct sur l’Allemagne qui, en 1993, refusa de vendre des sous-marins à Taipei. L’année suivante La Haye opposa le même refus aux Taïwanais. Marquant l’efficacité de la stratégie punitive, aucun autre pays européen ne s’est, par la suite, risqué à des ventes d’équipements militaires à Taïwan.

Excuses et promesses françaises

Vint le temps de la repentance sur un mode maintes fois commenté qui rappelait l’ancestrale culture de la relation de l’Empire avec ses pays tributaires. C’est à Jacques Friedman, inspecteur des finances, énarque, ancien PDG d’Air France, proche d’Edouard Balladur que revint fin 1993 la délicate mission de présenter à la Chine, les excuses de Paris.

Entre temps, nombre d’hommes politiques français avaient recueilli les confidences des responsables chinois. Elles exprimaient à quel point le régime s’était senti « humilié » par la France. Pas uniquement par les ventes d’armement.

Qian Qichen, le ministre des Affaires étrangères de l’époque rappela à Alain Peyrefitte la mise à l’écart de Pékin lors du G7 de la Grande Arche et surtout le défilé du 14 juillet 1989 présidé par F. Mitterrand ouvert par les grands tambours que faisaient résonner les jeunes étudiants chinois, dissidents échappés de Tian An Men et recueillis par la France, dont les images, bandeau blanc autour du crâne, furent diffusées partout dans le monde.

Quant à la décision française de vendre des armes offensives à Taïwan, en rupture complète avec l’esprit de la reconnaissance de 1964, pour Wang Qichen, elle parachevait l’attitude hostile adoptée depuis 1989 par la France.

Le ton du communiqué commun publié le 12 janvier 1994 marquant « la réconciliation amicale sur les principes ayant présidé à l’établissement des relations diplomatiques » cachait les conditions drastiques acceptées par Paris, qualifiées à l’époque par le Sinologue François Joyaux « d’erreur monumentale ».

S’étant engagée par écrit – seul pays occidental à l’avoir fait aussi formellement – à ne plus jamais autoriser de ventes d’armes à Taïwan, Paris alla plus loin qu’en 1964 lorsque Charles de Gaulle noua des relations diplomatiques avec Pékin, sans cependant s’engager sur l’unité de la Chine.

Dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, expliquant la reconnaissance de la Chine par la France avec le célèbre « Un grand peuple, le plus nombreux de la terre (…) plus ancien que l’histoire, replié d’instinct sur lui-même et dédaigneux des étrangers, mais conscient et orgueilleux d’une immuable pérennité », De Gaulle ne céda pas à l’obligatoire de réciter comme un mantra qu’il reconnaissait « la politique d’une seule Chine ».

Au contraire il fit un éloge appuyé de Tchang Kai-chek que Pékin considèrerait aujourd’hui comme offensant : « Le Maréchal à la valeur, au patriotisme, à la hauteur d’âme de qui j’ai le devoir de rendre hommage, certain qu’un jour l’Histoire et le peuple chinois ne manqueront pas d’en faire autant (...) ».

En contrepartie des concessions françaises, la partie chinoise n’en fit aucune, se contentant de déclarer que « les entreprises françaises seront les bienvenues sur le marché chinois pour participer à la concurrence sur un pied d’égalité ».

Une susceptibilité nationaliste à fleur de peau.

Tel est l’arrière-plan historique de la mise en garde adressée le 12 mai, par le Waijiaobu à la France qui s’apprête, à la demande de Taipei, à faire moderniser les leurres Dagaie MK2 des 6 frégates La Fayette par le groupe français Lacroix-Défense spécialiste français des contre-mesures [3].

Le contrat financé par l’État français est de petite envergure, mais on l’a vu, la Chine est rendue irascible par les attaques qu’elle subit à propos de l’occultation des contagions à Wuhan en janvier dernier. Elle est d’autant plus sourcilleuse que la présidence indépendantiste place les enjeux au niveau sensible des risques posés par la mouvance de rupture sur sa souveraineté.

Paris a rejeté la menace chinoise qui, sans surprise, visait les intérêts d’affaires français en Chine. « Dans le cadre de la déclaration franco-chinoise de 1994, la France met en œuvre la politique d’une seule Chine et continue d’appeler au dialogue entre les deux rives du détroit » (…) « Dans ce contexte, la France respecte strictement les engagements contractuels qu’elle a formés avec Taïwan et n’a en rien changé sa position depuis 1994. » [4].

Il serait étonnant que la controverse en reste là. En France, la mouvance pro-chinoise tentera de faire stopper le contrat. Si ce dernier était mené à bien, il faut s’attendre à des représailles sur les affaires françaises en Chine.

Note(s) :

[2La marine américaine a expérimenté un navire furtif ayant la forme d’un catamaran, baptisé le Sea Shadow (IX-529) qui n’a jamais été opérationnel. Construit en 1984, révélé au public en 1993, il a été retiré du service actif en 2006, vendu aux enchères et démantelé par l’acquéreur.

[3La modernisation est rendue nécessaire par les progrès des nouveaux missiles qui, utilisant des radars millimétriques et des systèmes d’imagerie infrarouge, sont capables de discriminer les anciens leurres de la cible véritable.

[4L’extrême susceptibilité de la Chine attachée à son image et à sa souveraineté génère de plus en plus souvent une diplomatie de la menace et de la punition visant les intérêts d’affaires des pays qui la critiquent ou se rapprochent de Taïwan.

Récemment, elle a fait pression sur l’UE pour faire supprimer d’un rapport de la Commission une analyse sur les manquements de l’appareil au démarrage de l’épidémie à Wuhan. Lire : L’insupportable pesanteur de la normalisation politique et du mensonge d’État.

Au printemps dernier, agacé par la prétention française à s’immiscer dans la question taïwanaise, le régime avait accusé la frégate Vendémiaire qui, le 6 avril 2019, naviguait dans les eaux internationales du Détroit, d’avoir pénétré dans les eaux chinoises.

En représailles, Pékin a annulé l’invitation de la marine française à la revue navale de Qingdao organisée le 23 avril pour le 70e anniversaire de la marine chinoise. Lire : « L’incident du Vendémiaire », une fébrilité chinoise.


• Commenter cet article

Modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

• À lire dans la même rubrique

Chine - France : Commission mixte scientifique 2024, vers une partie de poker menteur ?

A Hong-Kong, « Un pays deux systèmes » aux « caractéristiques chinoises. »

Chine-Allemagne : une coopération scientifique revue et encadrée

Pasteur Shanghai. Comment notre gloire nationale a été poussée vers la sortie

A Pékin et Shanghai, les très petits pas de l’apaisement des tensions commerciales