›› Editorial
Lourdeurs et obstacles bureaucratiques.

L’entrée du centre de contrôle et de prévention des maladies infectieuses de Wuhan (Photo South China Morning Post). Le journal confirme que le système d’alerte très coûteux mis en place après l’épidémie de SRAS en 2002 – 2003 n’a pas fonctionné. Lui aussi fustige le rôle trouble de la bureaucratie et des réflexes courtisans privilégiant l’information convenue plutôt que l’alerte. A la mi-février, le journal de l’École Centrale du Parti Qiushi 求实 lui-même affirma que l’appareil était déjà complètement informé de la virulence de l’épidémie dès le 7 janvier, soit 2 semaines avant que Xi Jinping déclare la mobilisation générale.
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Aujourd’hui, les médecins tentent de retracer les premières contagions et analysent les dommages créés par l’interférence politique ayant retardé la mise en alerte. Les Dr Li et Mei respectivement décédés le 7 février et le 3 mars, travaillaient à l’hôpital central de Wuhan, proche du marché aux fruits de mer, qui au début traitait la majorité des cas. Ils pourraient avoir été contaminés par le même malade.
Mais dès le début janvier le centre des maladies infectieuses de l’hôpital Central submergé de patients n’accepta plus que les patients ayant eu un contact avec le marché aux fruits de mer. Le surplus fut dirigé vers d’autres services non équipés et d’autant plus mal préparés que la version officielle était que, n’ayant pas fréquenté le marché, ils ne pouvaient avoir été infectés par le nouveau virus.
Les médecins désignent aussi la gestion paperassière de l’hôpital Central dont le secrétaire du Parti était l’ancien chef des ressources humaines à la Commission de santé de la ville. « N’ayant pas suffisamment compris le danger des maladies infectieuses, il fut un de ceux qui a interdit aux médecins de diffuser des informations sur la contagion. »
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Le secrétaire du parti de l’hôpital n’est pas le seul en cause. Depuis l’épidémie de SRAS en 2002 – 2003, dont le parti avait d’abord tenté de cacher l’ampleur à Pékin, ce qui, à la mise à jour des mensonges, provoqua un séisme politique dans le sérail de la capitale chinoise dont le Maire Meng Xuenong fut limogé et remplacé par Wang Qishan, actuel Vice-Président, le compte-rendu d’un risque d’épidémie est devenu une affaire d’une haute sensibilité politique que l’appareil entend contrôler dans les moindres détails.
Résultat, les procédures d’autorisation de chaque échelon hiérarchique par les experts de la ville et de la province sont autant de pertes de temps sources du retard de la réaction médicale. Parfois, la bureaucratie ferme purement et simplement la voie de la transparence scientifique.
Le 13 janvier, Wang Wenyong, Directeur du centre des maladies infectieuses de Wuhan donna par téléphone l’ordre à l’hôpital central de supprimer des rapports le diagnostic de Coronavirus. En riposte l’hôpital proposa d’envoyer des échantillons pathogènes pour contrôle.
Mais alors que le Parti local était en pleine préparation de l’Assemblée Nationale Populaire prévue en mars, la vérification dut attendre 3 jours, jusqu’au 16 janvier, date à laquelle Wuhan avait déjà enregistré 48 cas et 2 décès. L’autorisation de diffuser la nouvelle de 4 nouveaux décès ne fut donnée que 2 jours plus tard,
Le 21 janvier, la transmission directe était confirmée par la nouvelle que 14 agents de santé en contact avec des malades avaient été contaminés. A ce moment, 3 semaines après les doutes et l’inquiétude du Dr Ai Fen, la Commission Centrale des Affaires politiques et juridiques, mesurant les risques posés par l’occultation, publia une note mettant en garde les cadres contre la tentation de dissimuler la gravité de la situation, les menaçant de sanctions sévères et « d’un opprobre moral général ».
Le 24 janvier, le bilan était de 26 décès à Wuhan qui fut mise en quarantaine, tandis que des cas avaient été diagnostiqués aux États-Unis, au Royaume Uni, à Taïwan, en Corée du Sud, en Thaïlande, au Japon, à Hong Kong, au Vietnam, et à Singapour.
Propagande, censure et confiance des peuples.

L’information parcellaire et l’occultation ont nourri la méfiance contre le pouvoir politique. Ses actuels efforts de propagande tentent de reconstruire l’ancien décor du « rêve chinois ». Compte tenu de la résilience placide du peuple, la manœuvre réussira sans doute. Il reste que l’épidémie a fait apparaître les fragilités de l’appareil, dont les plus graves prennent racine dans l’extrême rigidité d’un système léniniste où tout commence et tout finit par le n°1. Cette vision des rapports entre le peuple et le pouvoir conduit à fermer toute respiration politique et à aveugler l’appareil de plus en plus incapable de déceler les besoins de la société.
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La description par le Dr Ai Fen des grippages bureaucratiques chinois ayant peut-être retardé les premières réactions de prophylaxie, intervient au moment où en Chine, l’épidémie faiblit, le président Xi ayant même annoncé la « victoire » contre le virus le 10 mars, alors que dans le reste du monde et surtout en Europe la transmission de la maladie s’accélère.
Le 12 mars, le nombre de nouveaux décès hors de Chine était de 336, contre seulement 11 en Chine. Celui de nouveaux cas était de 7889 hors de Chine contre seulement 18 en Chine. Pour la seule Europe, le nombre de nouveaux cas était de +6275, avec une très sévère croissance du nombre de cas italiens à +2651 en 24 heures. Rapportés, à la population du pays, les chiffres italiens font de nos voisins le pays le plus touché de la planète avec au total 15113 cas déclarés et 2651 décès.
Si en Chine, les réflexes bureaucratiques ont à un point caricatural d’abord caché la vérité pour ne pas créer de panique, ce qui provoqua le décès de plusieurs médecins, l’actuelle situation en Europe conduit à penser que les autorités et les médias suivant les hésitations initiales de l’OMS, interprétées dans le sens de la banalisation, ont d’abord nuancé la gravité potentielle de la pandémie, laissant d’abord croire qu’elle se limiterait à la Chine.
Deux mois après la brutale mise en quarantaine de la population de Wuhan et d’une grande partie de celle du Hubei, équivalant à celle de la France, le Président Macron a, le 12 mars, lui aussi annoncé un durcissement des mesures à un niveau cependant nettement moins drastique qu’en Chine.
Alors que tous les spécialistes anticipent une aggravation dans les mois qui viennent, on voit qu’en Chine comme en Europe, le défi n’est pas seulement médical. Il est aussi politique. Au cœur de l’enjeu, la confiance de la population envers les pouvoirs, éternel critère de gouvernance déjà évoqué par Confucius, il y a 25 siècles.
Comme on lui demandait ce qu’exige la bonne gestion d’un État, le Maître répondit : « La confiance de la population, car sans elle aucun dirigeant ne peut se maintenir. (Entretiens chapitre 12 ). 民舞信不立 Min Wu Xin Bu Li »
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En Chine, la confiance est malmenée par les mensonges de la bureaucratie, la censure et la propagande ; en France, après les appels insistants le 12 mars dernier du Chef de l’État à respecter les consignes de prophylaxie, les plus critiques, nostalgiques d’une cohésion nationale et d’une discipline collective jugées introuvables dans les démocraties modernes, semblent proposer une variante de Confucius : « Peut-on faire confiance à des gouvernants peinant à convaincre leur population de porter un masque ? ».
On ne peut s’empêcher de penser que, dans ce contraste d’efficacité, se joue la concurrence de modèles de gouvernance où, en apparence, la démocratie apparaît en perte de vitesse. A la faveur d’une crise d’ampleur mondiale, surgit la remise en cause de l’ouverture libérale et d’un modèle politique vertueux de légitimation des pouvoirs, considéré comme indépassable. Le défi de l’avenir est clair.
Alors que s’estompent les certitudes rassurantes de l’après-guerre froide, si les démocraties veulent survivre aux tourmentes qui s’annoncent, elles devront apprendre à en limiter leurs excès, retrouver en elles-mêmes et sans l’aide coercitive du contrôle généralisé, les ressources spontanées de solidarité et d’efficacité. Et bien comprendre que la confiance des électeurs repose d’abord sur la capacité des gouvernants à assurer leur sécurité.