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›› Politique intérieure

De la toute puissance à la crise politique. L’itinéraire de l’affaiblissement de Xi Jinping

L’analyse qui suit décrit comment la stratégie pandémique de Xi Jinping dont il avait fait l’emblème de la supériorité globale du modèle chinois de gouvernance, a provoqué une crise qui affaiblit son pouvoir.

Alors qu’un des jalons importants du narratif de Xi Jinping et du parti remonte à mai 2020, quand, à l’occasion d’un rendez-vous par vidéo-conférence avec l’OMS, il balaya l’idée que la pandémie avait surgi en Chine, l’histoire commence un peu plus tôt, à l’automne 2019.

Souvenons-nous. Il y a bientôt trois ans dans la nuit du 6 au 7 févier 2020 décédait l’ophtalmo Li Wenliang, lanceur d’alerte mort d’étouffement, séquelles de la covid-19 qui avait détruit ses poumons. Il avait d’abord été sévèrement recadré par la police qui l’accusait de « menacer l’harmonie sociale » en échangeant avec ses amis par SMS ses impressions sur l’étrangeté du virus. Il n’était pas le seul.

A l’automne 2019, le Dr Ai Feng, qui dirigeait les urgences de l’hôpital de Wuhan, constatant que les malades ne réagissaient pas au traitement classique de la grippe avait sonné l’alarme. Elle aussi avait été sommée de se taire. Le 11 mars n’y tenant plus, elle avait dénoncé les mensonges, ce qui avait entraîné sa révocation.

Entre temps, début février après la mort du Dr Li, apparaissait sur les réseaux sociaux chinois, vite effacée par la censure, la célèbre litanie du mensonge de Soljenitsyne. « Nous savons qu’ils mentent, ils savent aussi qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent, nous savons aussi qu’ils savent que nous savons qu’ils mentent et pourtant ils persistent à mentir. »

D’autres que le Dr Ai Feng ont dénoncé le mensonge. Entre le 25 janvier et le 22 mars 2020, Fang Fang, « la blogueuse du confinement », présidente de l’association des écrivains du Hubei qui tenait à Wuhan le journal de l’épidémie, avait écrit cette lancinante suite de questions qui, aujourd’hui, n’ont toujours pas de réponses : « Qui a perdu du temps ? Qui a décidé de cacher la vérité au peuple ? Qui a menti pour sauver la face ? Qui a sacrifié la vie de la population aux considérations politiques ? Combien sont-ils à être responsables du désastre ? ».

Et encore « Wuhan vit aujourd’hui une catastrophe. Qu’est-ce qu’une catastrophe ? La catastrophe, ce sont les registres de décès… La catastrophe, ce sont des cadavres fourrés dans des sacs mortuaires…. La catastrophe, ce n’est pas d’avoir un mort chez soi, c’est d’avoir sa famille entière anéantie en quelques jours… ». Lire : Le Journal de Fang Fang. Documentaire et brûlot politique.

Une déclaration de victoire fermée aux critiques.

Pourtant dès le 10 mars le Président Xi Jinping venait à Wuhan pour déclarer que « le virus avait été vaincu  ». Son déplacement avait lieu cinq jours seulement après que Sun Chunlan, en charge de la gestion de la pandémie à Pékin, n°12 du 19e BP dont elle était la seule femme, avait été accueillie par une avalanche de défiances aux cris des confinés, lancés depuis les fenêtres, qui l’accusaient elle et le système de mentir et de travestir la réalité.« 都是假的 –tout est faux ».

Peu après, au milieu de critiques internes, Pékin lançait une vaste stratégie de riposte globale par la livraison de masques et ses offres vaccinales.

Lire :
- Affaibli à l’intérieur, le parti redore son blason dans le monde.
- L’instrumentalisation nationaliste de la course aux vaccins.
- La vaste stratégie « enveloppante » des vaccins (Suite).

Au même moment, venant de l’intérieur du sérail, rarement mentionné par les observateurs, des critiques alertaient déjà le pouvoir contre les possibles retours de flamme de cette stratégie agressive tous azimuts dont l’épine dorsale était la livraison pas toujours gratuite de masques et de vaccins.

Le 10 avril, Shi Zhan, le Directeur de Centre d’études des stratégies internationales à l’Université des Affaires étrangères de Pékin qui forme tous les diplomates chinois, avait clairement mis en garde le Parti contre les risques de ce nationalisme débridé exprimé par la diplomatie chinoise.

Rare remise en cause publique dans le contexte étroitement quadrillé de la politique intérieure chinoise, l’avertissement était sans ambages. Au milieu de la récession mondiale, la défiance et les atteintes au crédit de la Chine conséquences des commentaires agressifs de certains diplomates et du porte-parole Zhao Lijian seraient à la longue, disait Shi Zhan, infiniment plus nuisibles que la faiblesse de la demande internationale handicapant les exportations. Il n’a pas été entendu.

Alors que la riposte chinoise battait son plein, le deuxième semestre de l’année 2020 fut marqué par les fortes tensions entre Pékin et Canberra.

A la mi-mai 2020, réagissant à la demande du PM australien Scott Morrison qui exigeait une enquête de l’OMS en Chine sur l’origine du virus, les médias officiels chinois faisaient état de la capacité de Pékin à infliger des dommages aux exportations de minéraux australiens dont la valeur annuelle dépasse 80 Mds de $.

Le 24 mai 2020, lors de la réunion de l’ANP retardée de trois mois pour cause de pandémie, le MAE Wang Yi réitérait la menace et affirmait la Chine avait lancé « la plus vaste opération de secours humanitaire jamais organisée par un pays ».

Le 9 février 2021, Peter Ben Embarek, expert de la sécurité alimentaire à l’ONU présentait les conclusions de la mission de 14 experts de l’OMS à Wuhan. Au milieu de controverses sur l’indépendance réelle de la mission et des membres du groupe d’experts, il écartait l’hypothèse de la fuite d’un des laboratoires de biologie de Wuhan. En revanche, dans le but évident d’apaiser Pékin, le rapport évoquait l’hypothèse insolite, mais privilégiée par les Chinois, d’une contamination par des produits congelés importés.

Lire : Covid-19 – Wuhan. L’OMS a rendu son rapport. Satisfait, Pékin invite à regarder ailleurs.

Le 30 mars 2021, le Directeur Général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus, lui-même, exprimait des doutes sur le rapport d’enquête. A ce moment apparaissaient en Chine les débats autour de la nécessité de vacciner la population.

Le 30 novembre 2021, lors d’une conférence de presse, Zheng Zhongwei 郑忠伟, responsable de la recherche médicale à la Commission de santé publique, répétait que les seniors seraient la priorité de la prochaine campagne de vaccination.

Puis il se lança dans une longue plaidoirie en faveur de la fiabilité des vaccins chinois, y compris pour les personnes atteintes de comorbidité, avant d’exprimer une mise en garde prémonitoire, « Si l’épidémie se poursuivait, les ressources médicales seront débordées ».

La spectaculaire mise-en-scène des JO d’hiver et le piège du « zéro-covid ».

Le 4 février 2022, jour de l’ouverture des JO d’hiver de Pékin, à la fois parfaitement organisés et hermétiquement protégés des contaminations virales par un système sophistiqué de contrôle des arrivées et d’étanchéité sanitaire du site des jeux, Xi Jinping et Vladimir Poutine mettaient en scène leur proximité stratégique.

Le succès de l’exercice sur fond de rapprochement opportuniste sino-russe, trois semaines avant l’attaque de l’armée russe en Ukraine, a, au moment où il briguait un troisième mandat, conforté la confiance de Xi Jinping dans sa stratégie de verrouillage, de tests, de traçage des contacts et de quarantaines.

A la mi-mars cependant, le virus Omicron très contagieux perçait la cuirasse du « zéro-covid ». Depuis le Jilin au nord, à la province de Canton au sud, l’exécutif chinois était confronté à la pire résurgence de l’épidémie depuis la première vague de 2019-2020, dont Shanghai était l’épicentre. Après quelques hésitations des autorités locales, la métropole de l’Est, à nouveau confinée devint le symbole des dommages collatéraux, humains et économiques de la stratégie de « zéro-covid », dans une Chine encore mal vaccinée.

Malgré les protestations de la population qui se plaignait du manque de soins d’urgence, de pénuries alimentaires, des confinements collectifs sans confort et de la brutalité des évacuations des appartements vidés de force à des fins de désinfection, la stratégie « zéro-covid » ne fut pas amendée.

Elle était pourtant à l’origine d’une contraction du PIB du pays de 2,6% et, en partie, du chômage d’un jeune sur cinq, tandis que la confiance entre la population et les autorités locales de Shanghai avait commencé à s’éroder.

Alors que s’approchait l’échéance capitale du Congrès du Parti, craignant une augmentation massive des infections, Xi Jinping, enfermé dans un dilemme qu’il a en partie lui-même créé, refusa d’abandonner sa stratégie de fermeture du pays. Au lieu de promouvoir la vaccination des seniors, il lança le Parti dans la construction en série de zones de quarantaine et dans une vaste campagne de tests.

Au fil des détections positives, l’appareil ordonna de nouveaux confinements qui, au pire moment, ont concerné 300 millions de personnes, tandis que le porte-parole de MAE insistait que la stratégie était le meilleur choix possible pour la santé des Chinois et pour le pays. Le 16 octobre, dans son discours d’ouverture du Congrès, Xi Jinping répéta le message. La politique de fermeture protégeant la vie des Chinois était la bonne.

Un mois plus tard apparurent les premiers contrecoups de l’absence de nuance politique exprimée depuis trois ans par l’appareil. Uniquement fixé sur sa stratégie improbable de l’élimination complète du virus, le n°1 restait sourd aux voix contraires, vite étouffées qui le mettaient en garde contre les risques de retours de flamme populaires et les conséquences socio-économiques de sa rigidité.


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