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›› Politique intérieure

Destitution de Qin Gang. Une brutalité suspecte

Le 25 juillet, après avoir disparu pendant un mois du paysage de la diplomatie chinoise, le nouveau ministre des AE Qin Gang a, sans explications officielles, été relevé de son poste et remplacé par son prédécesseur Wang Yi de 13 ans son aîné, récemment entré au Bureau Politique. Alors que le mystère de cette bascule reste entier, la séquence articulée à l’ADN « d’effacement » des voix critiques révèle un fonctionnement à l’emporte-pièce indifférent à l’image de la Chine à l’extérieur.


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La rumeur courait depuis un mois. Le nouveau ministre des Affaires étrangères Qin Gang, 57 ans, ancien ambassadeur à Washington, pourtant nommé en décembre 2022 avec l’appui direct de Xi Jinping, mais qu’on n’avait pas vu en public depuis le 25 juin, date de sa rencontre avec son collègue Sri Lankais et avec le Vice-Ministre des AE russe Andrey Rudenko venu à Pékin après l’insurrection du groupe Wagner, n’avait plus les faveurs du pouvoir.

Observation connexe, il était évident que son absence à la réunion des MAE de l’ASEAN à Djakarta, le 13 juillet, aux rencontres avec Janet Yellen à Pékin, début juillet, et de Xi Jinping avec Kissinger trois semaines plus tard, mettait l’appareil et sa diplomatie en porte-à-faux.

Le 25 juillet, à la suite d’une réunion spéciale du Comité Permanent de l’Assemblée nationale, il a été relevé de ses fonctions et remplacé par son prédécesseur Wang Yi, 70 ans, entré au Bureau Politique lors du 20e Congrès, au 15e rang protocolaire (voir la bio de Wang Yi).

Après que l’appareil ait un temps laissé entendre par la voix de Wang Wenbin, porte-parole du Waijiaobu, que Qin avait disparu du paysage pour « raisons de santé 身体不 适 – littéralement il ne se sent pas bien - » le très laconique communiqué public annonçait sa chute sans donner d’explication.

« Par un vote 经表决, la réunion 会 议, a pris la décision 决定 de retirer à Qin Gang 免去 秦刚兼 la responsabilité du poste de ministre des Affaires étrangères 任的外交部部长职务, et de nommer Wang Yi [à sa place comme MAE]. » 任命王毅为外交部部长-.

Analysant à la loupe les mots du ministère, les commentateurs ont glosé sur le sens de « 免去 mian qu – retirer - » suggérant une nuance par rapport à « 撤销 – Chexiao – destitué ou révoqué - », qui en théorie ne le privait pas de son titre de « Conseiller d’État » et lui évitait au moins d’être associé à la longue liste des exclus de l’appareil par la chasse aux corrompus menée par la Commission de discipline.

Il s’agissait d’une délicatesse sémantique tenant compte de l’exigence de ne pas heurter la susceptibilité de Xi Jinping dont Qin Gang avait été le poulain contre d’autres choix de l’appareil, du temps où les « Diplomates Loups Guerriers » avaient la faveur du pouvoir. Il n’en reste pas moins que l’éradication soudaine était totale et sans appel.

Le 25 juillet au soir, toutes les informations sur Qin et ses activités avaient été effacées du site du Waijiaobu et remplacées par la mention « Mise à jour en cours 正在更新 ».

Une ancienne tradition d’effacement. Au milieu d’une effervescence diplomatique, le mystère demeure.

Les pratiques politiques du pouvoir restent encore fortement marquées par l’habitude qui fut aussi celle de l’URSS, de faire disparaitre les personnages ayant exprimé un désaccord en les supprimant des photos publiées par les journaux officiels. Cette tradition d’effacement s’est prolongée par un escamotage physique pur et simple de personnalités politiques ou de la société civile critiques du Parti.
Les cinq photos ci-dessus sont celles de personnalités de la société civile chinoise ayant émis des avis divergents ou exprimé des positions que l’appareil jugeait menaçantes pour son pouvoir.

De gauche à droite : Jack Ma avait, le 24 octobre 2020, publiquement critiqué le fonctionnement des banques publiques qu’il avait assimilées à des « prêteurs sur gages » ; Fang Bingbing, actrice à succès évanouie durant 4 mois, à l’été 2018, mise au secret pour évasion fiscale ; Meng Hongwei, premier Chinois Directeur d’Interpol en poste à Lyon, disparu en septembre 2018 « kidnappé » à l’arrivée d’un de ses retours en Chine ;

Guo Guangchang, PDG de Fosun et propriétaire du Club Med mis au secret pendant 4 jours en décembre 2015, puis réapparu en expliquant qu’il avait coopéré avec la police. Lire : Le parti et ses milliardaires. Histoires troubles, corruption et querelles politiques.

Ren Zhiqiang, ancien magnat de l’immobilier, violent critique de Xi Jinping disparu en mars 2019 après avoir signé un essai très critique de Xi Jinping. Quelques mois plus tard, le tribunal de Tianjin le condamnait à 18 ans de prison pour corruption (lire : La peur du chaos et la tentation de l’autocrate).


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Par cet accès d’opacité et d’escamotage qui entoura aussi le surgissement du Sarcov-2 en 2019 – 2020, l’exécutif cultive le très ancien ADN du Parti qui, longtemps avant « Photoshop » éliminait des clichés officiels les personnalités les plus éminentes qui contestaient le pouvoir maoïste. Comme celles retouchées de l’ère stalinienne, les archives chinoises pullulent de photos où des opposants illustres ont été effacés [1].

Récemment, « l’effacement » a touché les personnes physiques elles-mêmes, kidnappées et disparues le temps d’une remise aux normes.

On se souvient des cinq libraires de Hong Kong enlevés par la police chinoise en 2015 (lire : A Hong-Kong, théâtre des luttes de clans, Pékin réduit la liberté d’expression) ; de l’actrice a succès Fan Bing Bing (lire : La roche tarpéienne de Fan Bing Bing) ; de la joueuse de tennis Peng Shuai (lire : Les embarras politiques de la liaison adultère entre Peng Shuai, championne de tennis et Zhang Gaoli, ancien membre de l’élite), de Jack Ma (lire : Jack Ma s’est évanoui. LA FOURMILIÈRE A PERDU SA REINE).

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La relève de Qin survient au milieu d’une séquence diplomatique exceptionnellement riche et contradictoire après le long isolement pandémique commencé en 2020.

Suivant l’acmé des tensions de la visite à Taïwan de Nancy Pelosi à l’été 2022, de l’incident du ballon espion et de la remarque abrupte et très peu diplomatique de Joe Biden ayant décrit Xi Jinping comme un « dictateur » dépassé par ses propres services secrets (lire : Pékin face aux États-Unis, à l’Europe et au « sud-global »), l’exécutif chinois, tout à la fois en quête de respect stratégique et d’apaisement, a multiplié les signes qu’il était à la recherche d’un « accommodement raisonnable » avec l’Europe et les États-Unis.

Pour Katsuji Nakazawa de Nikkei Asia, depuis 2013, l’intention de Xi Jinping pourrait même être un « modus-vivendi » de partage à deux des influences planétaires entre Washington et Pékin.

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Les décryptages qui tous avancent dans l’obscurité du paysage de la politique intérieure chinoise inexorablement épaissie sous la chape proto-maoïste de Xi Jinping, divergent.

Pour les uns, une des hypothèses plausibles parmi beaucoup d’autres expliquant la disgrâce, serait qu’après les dix années d’agressivité réactive de la diplomatie des « Loups Guerriers », ayant allumé quantité de contrefeux à l’Ouest, dont certains commencent à gêner la modernisation du pays par la rupture qu’ils entraînent, Qin ne serait plus le mieux placé pour réduire la voilure du nationalisme chinois ombrageux et batailleur.

Pour d’autres, la réalité est que, malgré sa réputation de « Loup guerrier », Qin a montré qu’il était également capable de nuance et de souplesse. Durant son mandat d’ambassadeur aux États-Unis, il avait notamment appelé à une relation moins heurtée entre les deux superpuissances.

Fervent des matchs de la NBA où on le voyait souvent, peut-être pour compenser l’ostracisme de la Maison Blanche et du département d’État qui lui fermèrent l’accès aux sommets politiques du pouvoir, il a, pour nouer des contacts aux niveaux intermédiaires et dans la société civile, joué de la corde sensible du sport.

Pour certains, sa nomination au poste de ministre des Affaires étrangères en décembre dernier était même le signe que Pékin allait réduire son agressivité internationale anti-occidentale.

Au milieu de ces spéculations, deux évidences surnagent. 1) Sous la surface de ces explications rationnelles, le mystère politique d’une situation peu édifiante où, le Ministre sortant vieillissant est contraint de reprendre le collier moins de cinq mois après avoir quitté son poste, est loin d’être complètement dissipé.

2) Alors que la machine diplomatique chinoise dont certains louaient la cohérence inflexible semble ballotée par des dissensions internes sur fond de retour aux réflexes d’escamotage, c’est en réalité, la brutale désinvolture de l’appareil qui s’exprime.

Que la relève de Qin ait été le résultat de dissensions et de jalousies internes ou d’une décision liée à la situation stratégique exigeant plus de souplesse, peu importe.

Note(s) :

[1Quelques exemples, parmi beaucoup d’autres : Lin Yutang, (1895-1976) écrivain bilingue passeur très actif de la culture traditionnelle chinoise, réfugié à Taiwan, Ren Bishi, (1904-1950) militaire, membre du 7e Comité Central, critique de l’extrême brutalité contre les « paysans riches » ;

Liu Shaoqi (1898-1969), Président de la République, Peng Dehuai (1899-1974), Commandant des forces en Corée du nord, Peng Zhen (1902-1997), à la tête de la Commission d’organisation du Parti, tous trois critiques du Grand Bond en avant purgés pendant la révolution culturelle, puis réhabilités par Deng Xiaoping,

Lin Biao (1907-1971), ministre de la défense successeur désigné de Mao, mais pro-soviétique radical, opposant à la réconciliation avec Washington et accusé d’avoir fomenté un complot contre Mao.


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