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›› Editorial

Du « Devisement du Monde » au « piège de Thucydide »

Malentendus, humiliations et nationalisme.

Vingt siècles avant Napoléon, les premiers Han, créèrent « le système préfectoral » des Mandarins. Recrutés par examen, dotés de moyens et investis d’une mission par l’empereur, ils étaient révocables en cas de manquement.

C’est aussi à cette époque que les Chinois de la dynastie Han observèrent la comète de Haley, inventèrent l’arbalète et le gouvernail d’étambot, découvrirent le procédé métallurgique de la fonte du fer, la porcelaine, l’anesthésie générale, la poudre à canon, le papier et, entre autres, le travail de la soie. Vers le XIe siècle, à l’époque des Song, plus de trois siècles avant Gutenberg, ils inventèrent les caractères mobiles en bois et l’imprimerie.

Ces profonds malentendus furent les prémisses du « Siècle des humiliations » infligées à la Chine à partir du milieu du XIXe siècle par les « Huit puissances ». Pour bien comprendre les tensions qui montent, il faut garder en mémoire à quel point les traces douloureuses des guerres de l’opium, des traités inégaux et du piétinement de la souveraineté chinoise par une vingtaine de concessions extraterritoriales sont restées vivaces dans l’esprit de tous les Chinois.

Ces brûlures sont à la racine de la montée d’un farouche sentiment nationaliste, dont la force fut encore exacerbée quand, en 1919, sous l’influence de Clemenceau, le traité des Versailles attribua au Japon la colonie allemande du Shandong. Comme si la France qui n’aurait pas réussi à tenir à distance les contrefeux européens de la révolution en 1792, avait été amputée de la Bretagne ou de l’Aquitaine cédée aux Anglais.

La blessure d’amour propre était d’autant plus vive que plus d’une centaine de milliers de Chinois avaient participé à la « Grande guerre », notamment en France où 20 000 perdirent la vie, toujours à des tâches pénibles comme le creusement des tranchées ou l’exhumation des cadavres pour l’identification des familles. L’offense fut un traumatisme. Elle fut la véritable racine de la naissance, deux ans plus tard, du Parti Communiste chinois, le 23 juillet 1921, dans la concession française de Shanghai.

Sept décennies plus tard, au milieu des années 90, au moment même où, à la suite de la période d’ouverture socio-économique initiée par Deng Xiaoping, prévalait en Occident l’illusion que la Chine portée par son développement économique pourrait s’accommoder d’un système politique calqué sur celui des démocraties, prenait naissance un féroce courant nationaliste.

Alors que les puissances occidentales rivalisaient pour fustiger les entorses aux droits de l’homme en Chine, de jeunes intellectuels d’abord ouverts à l’Occident mais dépités par leur propre expérience aux États-Unis, puis humiliés par les sanctions occidentales ayant frappé leur pays après la répression militaire du 4 juin 1989 sur la place Tian An Men, publièrent en 1996 un manifeste politique à succès, intitulé « La Chine peut dire non – 中国 可以 说 不 –. ».

Dénonçant la prévalence de la culture occidentale ainsi que l’appui de Washington à Taïwan, clamant au passage son admiration de la révolution cubaine, le livre critiquait aussi l’allégeance du Japon à Washington. Ne reconnaissant pas à Tokyo le droit à un siège au Conseil de sécurité, le pamphlet ajoutait sa voix à ceux qui lui réclamaient des dommages de guerre.

En mars 2009, le livre « La Chine peut dire “non“ eut une réplique intitulée « La Chine n’est pas contente – 中国不高兴 ». On pouvait déjà y lire le thème des discours du Parti quand, aujourd’hui, il fait la promotion des « Nouvelles routes de la soie ». « Alors que la puissance nationale chinoise connaît une expansion sans précédent, la Chine doit cesser de se dénigrer et reconnaître qu’elle a la capacité de guider le monde, et qu’elle peut se soustraire à l’influence occidentale ».

Entre ces deux accès de fièvre nationaliste et anti-occidentale attisées par l’amertume et les malentendus, en 2004 paraissait un livre étonnant adapté à l’écran par le cinéaste français Jean-Jacques Annaud : « Le Totem du loup. 狼图腾 – Lang Tu Teng ».

Roman d’aventure d’un jeune citadin exilé durant 11 années en Mongolie à l’époque de la révolution culturelle, le livre est écrit par Lü Jiamin, plus connu sous le pseudonyme de Jiang Rong. Inspirée de faits réels, l’œuvre n’était pas un brûlot nationaliste anti-occidental, mais une introspection critique de la culture confucéenne et des Han présentés comme des moutons bêlants et grégaires.

Le « troupeau », dit l’auteur, fait contraste avec les Mongols farouchement indépendants dont le symbole est le loup. A la fois craint et vénéré par les grands nomades qui l’ont adopté comme emblème, le loup est décrit comme un animal fier, libre et individualiste, mais à qui la nature a conféré l’instinct de la meute que chaque individu solidaire des autres, défend contre les agressions extérieures.

A sa publication en Chine, le Totem du Loup eut immédiatement un succès phénoménal. Considéré comme un appel à une plus grande fierté nationale et à moins de soumission confucéenne, il a été vu comme un appel à une réaction contre l’arrogance occidentale qui ne cesse de fustiger le régime politique chinois.

La tendance s’est accélérée en 2007 avec l’entrée au Comité permanent de Xi Jinping, l’actuel n°1, suivie par l’organisation flamboyante des JO en 2008 dont il avait la charge. La même année, les violentes révoltes contre les Han au Tibet et, l’année suivante, celles des Ouïghour au Xinjiang, instillèrent le sentiment de l’urgence du renforcement de l’appareil, pour une reprise en main interne.

Après sa désignation à la tête du Parti, à l’automne 2012, Xi Jinping déclencha à l’intérieur, une sévère campagne anti-corruption et de mise au pas des critiques. Dès 2013, il lança le projet des « nouvelles routes de la soie », portant à la fois une ambition de puissance économique globale et une prétention à l’universalité du système de gouvernance chinois.


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