›› Editorial

Alors que les États-Unis et leurs alliés tentaient d’évacuer leurs ressortissants et leurs alliés afghans, Pékin affirmait que son ambassade fonctionnait normalement. « Tous les Chinois qui souhaitaient quitter le pays ont été rapatriés. Ceux qui restent sont en contact étroit avec l’Ambassade » a ajouté le porte-parole. Le 16 août, il avait formulé l’espoir que les Talibans négocieront « un gouvernement inclusif » et respecteront les droits de la population.
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Le 26 août, un mois après l’accueil à Tianjin par le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi d’une délégation de Taliban conduite par Mullah Abdul Ghani Barada, un double attentat suicide perpétré à l’aéroport de Kaboul tuait treize militaires américains au milieu de 150 autres victimes afghanes et deux militaires britanniques et au moins 200 blessés.
Alors que le Président Biden fortement critiqué pour la précipitation désordonnée dans laquelle s’est effectué le retrait américain mettait en garde contre de possibles nouvelles attaques, le 27 août, Zhao Lijian, le porte-parole du MAE faisait part de la sidération chinoise et promettait de coopérer avec la communauté internationale pour, dit-il, « éviter que l’Afghanistan ravagé par la guerre ne redevienne pas à nouveau le havre du terrorisme international. »
Alors que la situation est plongée dans l’incertitude de la surenchère terroriste par des groupes radicaux que les Talibans ne contrôlent pas, la promesse d’éradiquer les extrémistes aux ambitions djihadistes globales pourrait être difficile à tenir. D’autant que la nébuleuse affiliée à l’État Islamique ou à des groupes de Taliban dissidents prend en écharpe toute la région.
On se souvient que le 14 juillet dernier, douze jours avant l’accueil des Taliban à Tianjin, neuf ingénieurs chinois avaient perdu la vie dans un attentat au nord du Pakistan. Lire : Le défi de la sécurité des Chinois au Pakistan
L’attaque avait été revendiquée par le surgeon pakistanais des Taliban « Tehreek T-Taliban Pakistan (TTP) », nom d’une nébuleuse de groupes terroristes actifs dans les zones tribales. Cette fois, c’est l’État Islamique Khorasan ou ISIS-K que QC évoquait dans la note citée plus haut, qui réclame la paternité des deux agressions suicides.
C’est peu dire que, pour Pékin, la perspective d’une situation chaotique échappant même au contrôle des Taliban est le pire développement possible.
Il y va en effet de la sécurité de ses ressortissants expatriés, de la viabilité de ses vastes projets miniers (entre autres, d’or, de cuivre, de lithium et de pétrole) et de ses chantiers de construction d’infrastructures, notamment la voie ferrée reliant l’Ouzbékistan au Pakistan par Mazar el Sharif avec, éventuellement, une bretelle vers Kaboul.
C’est bien pour cette raison que, bien avant la chute de Kaboul, le 5 août, hiérarchisant les menaces islamistes en Afghanistan, Wang Yiwei Directeur de l’Institut des relations internationales et du Centre des études européennes à l’université du Peuple de Pékin, assimila les Talibans à une « Armée Populaire de Libération afghane ».
Les anciennes traces chinoises dans le « cimetière des Empires ».

La carte montre l’extension vers l’Ouest des influences militaires et administratives de l’Empire Tang jusqu’aux commanderies militaires des protectorats du nord et de l’est de l’actuel Afghanistan. Depuis les premiers Han, ces régions qui ouvraient vers la Perse, furent les voies de passage des routes de la soie.
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Quand on évoque l’importance stratégique de l’Afghanistan pour la Chine moderne – zone instable du flanc sud d’où les groupes terroristes menacent le Xinjiang, mais riche en ressources, limitrophe de l’Iran et possible voie de passage d’un oléoduc entre les puits iraniens et le sud du Xinjiang (lire : Fan Changlong n°1 de l’APL au Pakistan) [1], on oublie les liens ancestraux de la Chine avec l’Afghanistan. (lire : China’s Tang Dynasty and Afghanistan, the Graveyard of Empires).
Situé à la jonction stratégique des voies commerciales entre l’Asie, l’Est de l’Afrique et l’Europe du sud par l’Iran, le Moyen Orient et la Turquie, le pays était, du temps des Han, traversé par des branches connexes des anciennes routes de la soie, dont l’une passait par Bagram, récemment évacué par les Américains.
Plus encore, à l’époque de la dynastie Tang (618 – 907), militairement la plus puissante des dynasties chinoises, le nord et l’est de l’actuel territoire de l’Afghanistan alors peuplé de pasteurs nomades d’origine turque, devinrent des commanderies de l’Empire après une conquête militaire en 659.
(Note de l’éditeur : Une première version de ce § pouvait laisser croire par erreur que les Tang tenaient tout l’Afghanistan).
Mais, et ce fut là le premier épisode d’une dramatique série d’empires engloutis dans ces montagnes rugueuses, les Tang perdirent le contrôle de la grande région afghane en 751, lors de leur défaite à Talas dans l’actuel Kirghizistan contre les troupes de la dynastie des Abbassides. Après quoi, les Tang ne furent jamais en mesure de reprendre le contrôle de l’Asie Centrale et de la région afghane progressivement subjuguées par l’Islam.
Note(s) :
[1] Rappel des objectifs stratégiques de Pékin dans la région :
1) Dans un contexte compliqué par les mouvements indépendantistes au Xinjiang, traversés par les transes de l’Islam radical terroriste, assurer la stabilité et la sécurité des provinces occidentales et le long des frontières avec l’Asie du sud et l’Asie Centrale ;
2) Insérer les provinces occidentales chinoises dans un environnement transfrontalier propice au commerce et au développement économique ;
3) Simultanément développer le couloir économique entre la mer d’Arabie et le Xinjiang avec, pour objectif premier, le raccourci des lignes de communication logistiques acheminant les hydrocarbures vers la Chine ;
4) Opposer un contrepoids stratégique à l’Inde en contrôlant son influence en Asie du Sud et du Sud-est ainsi qu’en Afghanistan – où Islamabad est toujours le point d’entrée de Pékin - ;
5) Freiner l’intrusion en Asie du Sud d’acteurs plus favorables à l’Inde qu’à la Chine.