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›› Editorial

Le défi de la sécurité des Chinois au Pakistan

Le 14 juillet dernier, l’explosion au Pakistan d’un bus dans la province de Khyber Pakhtunkhwa, capitale Peshawar, bordant l’Afghanistan au nord-ouest du pays, a tué 13 personnes. Parmi elles, 9 Chinois, au milieu d’une trentaine d’autres présents dans le bus.

Les victimes étaient des ingénieurs et des agents techniques travaillant à la construction du barrage de Dasu à 240 km au nord-est de Peshawar, un des grands ouvrages d’art des projets d’infrastructure des « Nouvelles routes de la soie » du « Corridor Pakistanais ».

Les pertes comptent parmi les plus sévères jamais enregistrées par la coopération chinoise à l’étranger. Dans la région, les Chinois avaient déjà été directement visés. En novembre 2018, un groupe de terroristes armés de fusils d’assaut et de grenades à main avait sans succès tenté un assaut contre le consulat chinois à Karachi. Deux policiers pakistanais avaient été tués. L’agression avait été revendiquée par l’Armée de Libération du Baloutchistan (Baloch Liberation Army - BLA).

Il y a tout juste trois mois, une voiture suicide avait explosé près de l’hôtel Serena à Quetta, capitale de la province irrédentiste du Baloutchistan. Cinq personnes avaient été tuées et douze autres blessées. L’attentat avait manqué de peu l’ambassadeur de Chine au Pakistan Nong Rong 农融 venu visiter la région et arrivé sur place peu après.

Cette fois l’attaque avait été revendiquée par le surgeon pakistanais des Taliban « Tehreek T-Taliban Pakistan (TTP) », nom d’une nébuleuse de groupes terroristes actifs dans les zones tribales. Son fondateur, le pachtoune Baitullah Mehsud, tué par une attaque de drone américain en 2009, était accusé par Washington d’avoir assassiné Benazir Buttho, le 28 décembre 2007 – ce que le groupe a toujours nié -.

L’arrière-plan sécuritaire du drame, priorité de la partie chinoise très attentive à la protection de ses ressortissants, est marqué par des évolutions peu rassurantes. Alors que le filet protecteur de la présence américaine dans la région a commencé à se réduire, le jour même de l’attentat, on apprenait que les Taliban s’étaient rendus maîtres du poste frontière de Wesh-Chaman sur la frontière avec le Pakistan.

Situé sur la route qui conduit de Quetta à la province de Kandahar, le poste, un des plus importants points de passage emprunté chaque jour par plusieurs dizaines de milliers de personnes, est l’un des symboles emblématiques de la présence américaine. Nœud logistique de l’ISAF et des Américains, il est traversé chaque jour par au moins 60 camions d’approvisionnement, faisant la navette entre la base de Kandahar et le port de Karachi, 700 km au sud.

La saisie du poste de Wesh-Chaman fait suite à la prise d’autres points de passage vers l’Afghanistan, dans les provinces de Herat, Farah et Kunduz. Par les taxes collectées lors des transits, leur contrôle constitue une source de revenus appréciable pour les Taliban. Pendant ce temps, créant une urgence sécuritaire pour Pékin, ces derniers poussent leurs avantages territoriaux dans le sillage du retrait des troupes américaines qui devrait être achevé fin août.

En 2015, QC avait analysé l’arrière-plan économique et stratégique de l’engagement massif de Pékin au Pakistan, dans un environnement alourdi par la menace islamiste. Lire : Le Pakistan, premier souci stratégique de Pékin. Les faces cachées de l’alliance.

Renvoyant directement à la rivalité sino-indienne par la stratégie du contrepoids que le rapprochement de Pékin avec Islamabad oppose à New-Delhi, le contexte était déjà fortement dominé par les préoccupations de sécurité. Six années plus tard, le fond des choses n’a pas changé.

En dépit des efforts, la sécurité des Chinois n’est pas assurée.

Alors qu’au moment de l’attentat, Wang Yi, le MAE, était en visite en Asie Centrale, avec en tête la même préoccupation de sécurité anti-islamiste [1], Pékin qui avait pourtant passé des accords avec l’armée et la police pakistanaises, a de nombreuses raisons de s’inquiéter. Par-dessus tout plane la hantise des métastases terroristes vers la province irrédentiste du Xinjiang, partie de l’Asie Centrale qui, elle-même jouxte l’Afghanistan par le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan sur plus de 1600 km de frontières.

Pourtant, en plus de son impressionnant investissement financier, Pékin n’avait écarté aucune des voies pour assurer la sécurité de sa coopération dont on voit bien qu’elle va très au-delà des objectifs économiques ou commerciaux. Parmi l’éventail des initiatives, il y avait les contacts à la fois avec les Taliban et avec Washington.

Alors que les stratèges chinois continuent de considérer le Pakistan comme un pays semi anarchique contrôlant mal sa sécurité et dont les rapports sulfureux avec les terroristes islamistes menacent ses voisins, Pékin avait signé avec Islamabad un des accords de coopération de sécurité le plus exhaustif jamais envisagé par la Chine.

Le rapprochement avait été arrêté lors de la visite en novembre 2015 à Islamabad du ministre de la défense de l’époque, Fan Changlong (remplacé en 2018 par Wei Fenghe). Lire : Fan Changlong n°1 de l’APL au Pakistan.

Sous le contrôle de l’armée pakistanaise, l’objectif était d’assurer la sécurité des ressortissants et des investissements chinois, dans le « corridor pakistanais » par le truchement d’une force conjointe d’une quinzaine de milliers de paramilitaires.

Légitime contrariété chinoise.

L’ampleur considérable des efforts dont Pékin s’estime mal payé en retour, explique l’aigreur impatiente des réactions chinoises après l’attentat. L’agacement est même monté d’un cran quand le Ministre des Affaires étrangères pakistanais Shah Mehmood Qureshi a d’abord imputé l’explosion du bus tombé dans un ravin, à une fuite de gaz.

Faisant part à son homologue du « choc » ressenti par les Chinois, le premier ministre Li Keqiang et Wang Yi, le MAE ont appelé à « rechercher activement les auteurs de l’attentat et à les punir sévèrement. »

Après quoi, entrant dans le vif des préoccupations chinoises qui n’ont jamais varié, Wang Yi a pressé les Pakistanais de tirer les leçons de l’attentat et de mieux assurer la sécurité des projets chinois. Peu après, Zhao Lijian, le porte-parole du Waijiaobu annonçait la création au Pakistan d’un groupe de travail et d’enquête.

Alors qu’une recrudescence d’attentats depuis juin complique la tâche d’Imran Khan, le Premier ministre pakistanais qui tente de rassurer Pékin, les premières réactions de l’entreprise chinoise de construction du barrage traduisaient un désarroi. Et peut-être la volonté de Pékin de faire pression sur les autorités pakistanaises pour les inciter à améliorer la protection de ses ressortissants.

Après avoir d’abord déclaré qu’il suspendait la construction et allait licencier la main d’œuvre pakistanaise du projet conclu en 2020 pour une valeur de 1,5 Mds de $, le 18 juillet, le groupe public Gezhouba, fondé en 1970, a fait volte-face et annoncé qu’il poursuivrait ses travaux.

Lire aussi : Quel rôle pour la Chine en Afghanistan ?, où l’on voit qu’en 2010, la Chine réclamait le départ de l’OTAN dont aujourd’hui tout indique qu’elle aurait préféré qu’elle reste.

Note(s) :

[1A une conférence à Douchanbe avec son homologue tadjik, Wang a instamment appelé l’Afghanistan à entretenir des relations amicales avec ses voisins et à mettre sur pied un vaste plan « inclusif », englobant à la fois « une politique de développement claire à l’égard des populations musulmanes et un combat résolu contre les groupes terroristes.


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