›› Editorial

Après une période de chaos aux allures d’insurrection méthodiquement réprimée à l’Université Polytechnique, le 24 novembre, les élections libres au suffrage universel des conseillers de district ont balayé la mouvance pro-Pékin. Le « Tsunami électoral » rebat les cartes politiques de la situation à Hong Kong. Plus que jamais, il est une indication que le mouvement de protestation contre Pékin est populaire et qu’aucune sortie de crise ne sera possible sans dialogue politique. (Photo SCMP)
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C’est à l’université polytechnique, établissement d’enseignement supérieur et de recherche créée en 1937 qu’ont eu lieu les 18 et 19 novembre les affrontements les plus violents depuis le début des manifestations contre Pékin, ayant, au fil des jours, tourné à l’émeute.
Nommée par la mouvance pro-Pékin en l’absence d’élection au suffrage universel dont la variante permettant d’écarter toute opposition à Pékin avait suscité en 2014 le mouvement « Occupy Central », la gouverneure Carrie Lam, ancienne étudiante de l’Université qui en est aussi la Chancelière (président honoraire selon la tradition britannique), aura sans doute été choquée par la férocité des affrontements et la détermination belliqueuse des émeutiers.
Assiégés par la police, retranchés dans l’enceinte du campus située dans le quartier de Hung Hom à Kowloon, au pied de King’s Park Hill, dans un entrelacs de bretelles d’accès à l’un des trois tunnels routiers vers l’île de Hong Kong [1] les étudiants ont, 5 mois après les premières manifestations, livré une bataille dont l’objet dépassait largement l’effervescence initiale du rejet de la loi d’extradition.
Avec en tête leurs idéaux inflexibles de démocratie et de liberté, leur révolte cible en réalité le système politique chinois dans une sorte « d’ordalie » qui pourrait bien être le dernier épisode de violence d’un rejet dont Pékin aurait cependant tort de croire qu’il pourrait être étouffé par la seule répression.
Le 24 novembre, ont eu lieu les élections de districts (452 sièges, 4 millions d’inscrits - 56% de la population -, 1090 candidats). Cette fois, le scrutin universel, sans écrémage politique des candidats a, avec une participation record de 71,2%, contre 47% en 2015, eu une valeur de test pour Pékin et sa relation avec la R.A.S. Les résultats - un tsunami pro-démocratie écrit le South China Morning Post - ont en effet écarté les élus pro-Pékin dans 17 districts sur 18.
Alors qu’avec 344 sièges sur 452, la mouvance pro-démocratie disposera de plus de sièges à la Commission de nomination du futur gouverneur, Carrie Lam, sévèrement désavouée, a promis de se mettre « humblement à l’écoute. ». Quant au Parti Communiste Chinois, le voilà, comme à Taïwan directement confronté à son angle aveugle qui fut toujours le défaut d’attention portée au droit des individus.
Guerre civile.

Les 18 et 19 novembre, la police de Hong Kong a fait le siège des étudiants réfugiés dans l’enceinte de l’université poly technologies. Il s’agissait de la contestation la plus violente qui, depuis le début des années 2000, s’insurge contre les intrusions de Pékin dans le schéma « Un pays deux systèmes ». Pour le nationalisme chinois attisé par l’actuelle direction du Parti, cette rébellion confine à la remise en cause de l’autorité centrale et, par extension, du système politique chinois lui-même. (Photo AP)
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Les scènes d’insurrection enflammées par les incendies déclenchés par les jeunes émeutiers pour, dans une stratégie de terre brûlée, gêner les charges de la police, les tirs à l’arc de bombes incendiaires et les scènes d’étudiants cherchant à s’échapper, aussitôt arrêtés par la police encerclant le campus ont été diffusées par les médias de toute la planète.
Le 18 au matin la police anti-émeute qui avait menacé d’utiliser des balles réelles en cas de nouveaux jets de cocktails molotov, monta à l’assaut de l’université piégeant à l’intérieur une centaine d’étudiants sommés de se rendre. Ils risquent jusqu’à 10 ans de prison pour participation à une émeute. Nombre d’entre eux qui avaient tenté de s’échapper par les égouts, étaient revenus sur leur pas pour ne pas être arrêtés, ont été pris au piège.
28 ans avant la rétrocession, les images de Hong Kong en feu renvoient au monde entier l’image abîmée du mythique Centre d’affaires du Monde Chinois, sérieusement mise à mal par l’intrusion brutale des angoisses politiques d’une population rétive aux changements annoncés par le rattachement au Continent.
Car il ne faut pas s’y tromper, s’il est exact que la violence est un répulsif pour nombre de Hongkongais effrayés par les affrontements, il n’en reste pas moins que le moteur sous-jacent des troubles - et pas seulement pour la jeunesse - est bien l’angoisse de l’avenir noyé dans une brume d’incertitudes aggravée par l’empressement nationaliste exprimé par Pékin pour mettre aux normes la population du Territoire.
Quand le Parti explique la main sur le cœur qu’il a toujours respecté le schéma « un pays deux systèmes » il enjolive un peu la vérité. Voilà longtemps que sa machine politique fait pression sur la R.A.S, symbole des humiliations infligées à la Chine au XIXe siècle par les « huit puissances » (6 européennes dont l’Autriche-Hongrie aujourd’hui disparue + les États-Unis et le Japon).
La force des pressions a, à l’occasion, induit en retour des réactions populaires obligeant Pékin à des marche-arrières tactiques.
Note(s) :
[1] Pour mémoire, à côté des tunnels ferroviaires et des deux autres tunnels routiers, Pékin et Hong Kong ont en 2018 inauguré la liaison Hong Kong – Zhuhai – Macao comprenant un pont et un tunnel d’une longueur totale de 55 km à travers la baie de Zhuhai. Il n’est pas anodin de rappeler qu’en 2009, l’année à laquelle le projet fut lancé, des voix s’étaient élevées à Hong Kong pour s’inquiéter du processus d’intégration de la R.A.S au Continent.
Dépouillant peu à peu le Territoire de son originalité démarquée de la Chine, 38 ans avant la rétrocession formelle, l’élan d’aménagement de la Grande Région de Zhuhai auquel la Gouverneure Carrie Lam a apporté son soutien enthousiaste, uniquement articulé à des critères économiques, témoigne peut-être de l’absence de sensibilité aux émotions des Hongkongais aujourd’hui en partie à l’origine des émeutes.
Lire : Anxiétés politiques à Hong-Kong.
Écrit, il y a un an l’article citait Anson Chan pour qui les spécificités de Hong Kong (État de droit, indépendance de la justice, libertés publiques et droit à l’information) étaient mises à mal par l’influence grandissante de Pékin détruisant les principaux atouts de l’ancienne colonie.
Ses critiques rejoignaient celles des détracteurs de Carie Lam accusant la nouvelle Gouverneure d’être plus la représentante de Pékin dans la R.A.S que l’avocate de Hong Kong et la protectrice du schéma « un pays deux systèmes » contre les empiètements politiques de Pékin.
Lire aussi, déjà cité dans les analyses précédentes : Hong-Kong à l’aune des « caractéristiques chinoises ».