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La Chine, le Tibet, les monastères et la foi des peuples

Quant aux tensions politiques, elles planent toujours en fond de tableau, entretenues par les souvenirs de l’invasion - que les Chinois appellent « libération »-, de la répression brutale des révoltes en 1959 et de la fuite du Dalai Lama. Les contacts entre les communautés han et tibétaine sont difficiles et la proportion des Tibétains admis dans les administrations de la province et des villes est faible, tandis que le poids des contrôles reste lourd. Pour un Tibétain s’expatrier est un rêve impossible tant les tracasseries pour obtenir un passeport dissuade les plus entreprenants. Quitter le Tibet pour la Chine est presque aussi difficile, tant les réseaux qui pourraient appuyer les candidats à l’exil vers l’est du pays sont rares [1]. Ces pesanteurs qui s’accompagnent de brimades politiques - surveillance étroite, interdiction d’accès à certains postes administratifs jugés sensibles, emprisonnements abusifs etc. - induisent de profonds et tenaces ressentiments, mêlés de fatalisme.

L’impression générale est que le gouvernement chinois éprouve quelques difficultés à promouvoir une élite locale qui lui soit acquise, soit parce que la ressource est maigre, soit que ceux qui pourraient gravir les échelons de la hiérarchie sont encore réticents. Il est vrai que Pékin réussit progressivement à séduire des zones entières où le peuple commence à unir dans la même ferveur Mao et le Panchen Lama choisi par le Parti. Mais tous les espoirs de ceux des Tibétains qui veulent échapper aux actuelles contraintes chinoises, se portent sur le Dalai Lama, ostracisé par la Chine qui interdit ses photos et ne le considère plus comme une autorité religieuse, mais comme un chef politique dissident. A ce stade l’incompréhension est totale , du moins en façade [2] : Le Dalai Lama affirme qu’il réclame seulement l’autonomie promise par Pékin. La Chine voit dans cette insistance un stratagème pour promouvoir l’indépendance du Tibet, avec l’aide de sympathisants étrangers, pour la plupart Occidentaux.

L’attribution en 1989 du prix Nobel de la paix au Dalai Lama a encore aggravé les méfiances réciproques qui conduisent aux blocages. Il ne fait pas de doute que la Chine a raidi encore un peu plus sa position après cette date, jusqu’à la rupture complète des négociations avec les représentants du Dalai Lama en 1993. Faute de réussir à se ménager l’appui des actuelles élites du Tibet, Pékin concentre ses efforts sur l’aide aux campagnes (aide aux petites fermes et formation aux techniques agricole), sur l’éducation (élites futures) et sur les infrastructures, en espérant que la disparition du Dalai Lama, les changements de mentalité des générations plus jeunes [3] et le nombre toujours croissant des Han finiront par triompher des oppositions et des lourdeurs.

Quant à la question religieuse proprement dite qui pose toujours un problème à la Chine, dont les mentalités et la culture très pragmatiques, parfois matérialistes, sont très éloignées du mysticisme religieux, Pékin l’aborde à sa manière, qui place ses intérêts politiques en première ligne : s’il est vrai que les monastères ne sont pas harcelés, la liberté religieuse n’est pas vraiment assurée, puisqu’on interdit avec la dernière vigueur les photos du Dalai Lama que Pékin a remplacé par le Panchen Lama choisi par le PCC, tandis que celui choisi par les Tibétains est en résidence surveillée. Enfin en prodiguant aux moines un salaire mensuel qui peut atteindre 2000 RMB (200 euros, soit plus que les revenus d’un médecin qui termine ses études généralistes à Pékin), le PCC accentue son contrôle sur la religion, espèrant un jour rallier bon nombre de monastères, dans le sillage desquels se presse le petit peuple toujours subjugué par la ferveur religieuse.

Le Parti aurait alors réalisé l’improbable synthèse entre ses intérêts stratégiques et la religion, dont le chef reconnu ne serait plus un dissident politique en exil, mais « un » Panchen Lama dûment désigné. Ce dernier pourrait alors revenir chez lui et parcourir les chemins des campagnes autrement que dans des convois étroitement protégés, filant à toute vitesse dans les villages indifférents.

Mais rien n’est plus mystérieux et plus rétif que la foi des peuples.

Note(s) :

[1Chaque année près de 3000 réfugiés Tibétains quittent clandestinement la province pour rejoindre Dharamsala en Inde après un périple à travers l’Himalaya. Au total Dharamsala compte 200 000 Tibétains en exil.

[2Pékin a conscience que le Dalai Lama (72 ans), qui ne réclame plus que l’autonomie du Tibet, est un élement modérateur face aux radicaux qui revendiquent toujours l’indépendance. Craignant qu’à sa mort la situation se durcisse à nouveau la Chine s’efforce de maintenir un niveau de contacts minimum. Depuis 2002, après 10 années d’interruption, des échanges discrets ont repris entre les représentants du Dalai Lama et le gouvernement chinois, en Chine même et en Suisse. Mais les observateurs doutent que Pékin soit prêt à lâcher du lest.

[3Les mentalités évoluent non seulement au Tibet même, mais également dans la communauté des Tibétains en exil, foyer de la lutte pour l’autonomie - ou pour l’indépendance, selon la faction la plus radicale -. Des jeunes de plus en plus nombreux, attirés par les modes de vie occidentaux, quittent Dharamsala pour changer complètement de vie. Si ce vivier en exil arrivait à se tarir, le foyer de la résistance tibétaine serait considérablement affaibli.


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