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›› Politique intérieure

La corruption des juges, les vidéos salaces et le « coup de torchon » des réseaux sociaux

Coup de balai à la Cour Suprême de Shanghai.

Un autre scandale récemment mis en ligne a également gravement mis en porte à faux la probité de l’appareil judiciaire. Le 5 août la Commission de discipline du Parti de Shanghai annonçaient en effet que quatre juges de la Cour suprême de la ville, dont le président, avaient été mis à pied et faisaient l’objet d’une enquête.

Les 4 magistrats de la plus haute juridiction de la ville apparaissaient sur une vidéo de 3 heures diffusée sur les réseaux sociaux en compagnie de prostituées dont ils avaient loué les services dans un night-club. La séquence avait été filmée et mise en ligne par un homme d’affaires qui, après avoir été floué par la Cour dans un jugement trafiqué – le président étant, moyennant finance, de connivence avec la partie adverse - avait, pour se venger, mené une enquête sur leur vie privée extra-conjugale.

Après plus d’un an de filature il avait réussi à les prendre sur le fait, alors même que le n°1 du Parti et sa suite ne cessent d’exhorter les cadres à mettre fin aux extravagances et à la corruption. Circonstance aggravante mettant à jour les vieilles pratiques vénales des grands groupes publics, la soirée litigieuse avait été organisée par la Compagnie de Construction n°4 de Shanghai – 上海 建 工 集團 -.

Preuve que le vent des comportements licencieux des fonctionnaires et des cadres des conglomérats d’Etat, monnaie courante depuis des lustres, avait tourné, le 12 août, le porte parole du groupe a cru nécessaire d’affirmer que le PDG n’avait pas pioché dans la caisse pour payer la soirée et les prostituées. La mise au point n’a cependant pas empêché la destitution de Guo Xianghua, n°2 du groupe, ni le tollé des internautes qui dénoncèrent l’impudence de la société.

Le 13 août, un article du China Daily expliquait qu’il s’agissait du « plus grand scandale frappant le système judicaire chinois ces dernières années ». L’affaire jetait d’abord une lumière crue sur l’utilisation des fonds publics baptisés « frais de réception » utilisés pour corrompre des fonctionnaires et la justice.

Selon plusieurs enquêtes officielles, seulement à Shanghai les 10 premières sociétés cotées en bourse, dont les 5 premières sont des compagnies de constructions, avaient en 2012 dépensé 100 millions de Yuan en frais de réception. Mais en Chine, la palme toutes catégories revient à la Compagnie nationale de construction de voies ferrées 中国 铁建 qui en 2012 avait un budget de représentation de 837 millions de Yuan soit 100 millions d’€.

Mais le scandale touche surtout au fonctionnement de la justice chinoise et à l’arbitraire des jugements. L’article concluait par la mise en cause à peine voilée de l’honnêteté des juges, en relevant qu’en 2002 le groupe n°4 avait obtenu le contrat de construction des locaux du tribunal, tandis que ce dernier n’avait jamais jugé des affaires dans lequel le groupe était impliqué.

Ces faits de société pointent du doigt un des problèmes les plus épineux du système politique chinois : l’imbrication étroite de la justice, du pouvoir exécutif et des affaires, un tabou que, selon les meilleures sources du Parti, la haute direction du régime n’a toujours pas l’intention de bousculer. Or l’efficacité des réformes et surtout la lutte contre la corruption des hautes strates de la bureaucratie dépendent essentiellement de l’indépendance de l’appareil judiciaire. (Lire notre Coup d’œil sur l’appareil judiciaire).

Ce dernier, lui même corrompu n’a ni la liberté ni la volonté de se réformer, tandis que la machine politique du régime qui craint la naissance d’un pouvoir indépendant du Parti, harcèle les intellectuels et les avocats, comme Xu Zhiyong prônant la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire. Selon Stanley Lubman, expert du droit chinois qui écrit dans le Wall Street Journal, s’il est vrai que récemment l’efficacité des tribunaux et leur professionnalisme se sont améliorés avec plusieurs centaines de magistrats destitués et mis en examen pour « manquements à la discipline », de nombreux témoins au sein des cours de justice affirment que le système reste gravement dévoyé.

Selon eux la corruption des tribunaux ne serait pas l’effet de quelques dérapages individuels, mais bien une activité consubstantielle de l’appareil judiciaire lui-même, qui influence systématiquement les jugements. Dans les cas sensibles, la Commission législative du Parti pèse toujours sans partage sur les verdicts, tandis qu’aucune réforme institutionnelle n’est en vue qui pourrait modifier cet état de fait.

Mais les derniers scandales agités par les vidéos grivoises diffusées par la toile constituent, on l’a vu, de sérieux « coups de tabac » qui, sous la pression populaire, obligèrent à un réajustement en urgence des verdicts et à un « coup de balai » dans une des plus hautes juridictions de Chine. L’arbitraire de la justice, la frustration des justiciables et la force des réseaux sociaux constituent un cocktail explosif à hauts risques que les responsables de l’appareil judiciaire ne peuvent pas ignorer.


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