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›› Editorial

La force des symboles, le déclin de l’Occident et la montée en puissance du « sud global »

En Asie, les symboles sont importants. Sans entrer dans la complexité des débats philosophiques qui entourent le sens et la portée du mot dont les interprétations varient selon les circonstances et les acteurs, on s’arrêtera à la définition du Larousse. :« Signe figuratif, chose ou personne qui, de façon exemplaire, représente un concept, un sentiment ou une idée. »

A ce titre, la personne du Président brésilien Lula da Silva, 78 ans, entré pour la deuxième fois en fonction en janvier 2023 et son récent voyage en Chine, les 14 et 15 avril, sont, pour nombre de commentateurs, devenus par le truchement des émergents et du « sud global  », les symboles planétaires de l’ébranlement de la prévalence globale de l’Occident et des États-Unis.

Mais Lula et son voyage ne sont pas l’unique incarnation figurant la contestation métaphorique de la prévalence américaine. Le récent voyage en Chine du Président brésilien s’inscrit en effet dans l’effervescence diplomatique globale de Pékin ayant l’ambition de supplanter les médiations américaines, y compris dans la chasse gardée stratégique de Washington.

A peine plus d’un mois après le spectaculaire accord entre Téhéran et Ryad conclu le 11 mars à Pékin, Qin Gang, le nouveau ministre des AE lançait une sonde en direction de la complexité d’un autre conflit où, jusqu’à présent, la préséance américaine était sans partage. Les 17 et 18 avril, il appelait séparément les ministres des Affaires palestinien et israélien pour leur dire que Beijing était prêt à favoriser « dès que possible » des pourparlers de paix.

*

Les BRICS nés il y a quinze ans et l’Organisation de Coopération de Shanghai (O.C.S), établie il y a près de trente ans, tous deux portés par Moscou et Pékin, sont au-delà de leur puissance de contrepoids, les symboles lourds de la résistance à l’Amérique. Dans cette compétition ils ne sont pas seuls.

Plus encore des deux côtés, les manœuvres aéronavales ou terrestres et les démonstrations de forces qui ne sont jamais des affrontements directs à grande échelle, sont, au-delà de l’entraînement militaire, des figures symboliques de mises en garde. Celles des Américains et de leurs alliés valorisent le droit international et la liberté des navigation ; celles des Chinois s’appuient sur l’héritage historique en mer de chine du sud et, dans le cas de Taïwan, sur la symétrie des cultures et le droit international des NU.

Contrairement à ce que craignent nombre de commentateurs, s’il est exact que les déploiements militaires concurrents peuvent déflagrer vers de dangereux affrontements directs ponctuels, ils ne sont pas les prémisses d’un conflit plus vaste, mais les représentations symboliques de rapports de forces hésitant à s’affronter à grande échelle.

Dans le théâtre asiatique, les scénographies indirectes portant un message d’influence ou/et de mises en garde sont aussi des postures de dissuasion et d’appels à la raison.

Deux exemples.

Balayant les souvenirs amers de la guerre du Vietnam et les critiques des organisations des droits de l’homme, le premier signal concurrent de l’élargissement chinois en Asie du sud-est, se lit dans les insistants efforts américains pour se rapprocher de Hanoï en froid avec Pékin à propos de la mer de Chine du Sud.

Alors que Pékin refuse pour l’instant de reprogrammer sa visite en Chine torpillée par l’affaire des « ballons espions  » (lLire : Le psychodrame de la chasse aux ballons espions chinois), le 15 avril, Antony Blinken rencontrait à Hanoi le premier ministre Pham Minh Chinh.

L’objectif était le resserrement des liens bilatéraux, l’étude d’une éventuelle coopération militaire et la livraison d’armes et d’équipements militaires au-delà des garde-côtes.

Surtout, près d’un demi-siècle après la fin de la guerre du Vietnam, vingt-trois ans après la normalisation des liens par la rencontre entre Christopher Warren et son homologue Nguyen Manh Cam, Anthony Blinken a présidé à l’inauguration d’une nouvelle ambassade dont la taille (8 étages sur 4 hectares) est à elle seule un message et une promesse d’engagement aux côtés d’un rival déclaré de la Chine.

Pour une mise en perspectives des relations Chine – Vietnam, lire : Querelles sino-vietnamiennes. Rivalités des frères ennemis et enjeu global & Sérieuses discordes dans le triangle Chine – Inde – Vietnam.

Le deuxième exemple est un symbole apocalyptique de mise en garde asiatique lancé par le Japon comme un pavé dans le marre des funestes passions humaines pouvant conduire au cataclysme. Comment ne pas voir en effet que le choix d’Hiroshima du prochain sommet du G7 est un appel à la raison lancé à tous par le premier ministre Fumiu Kishida.

Le Brésil symbole sud-américain de la résistance à l’Amérique et de la stratégie chinoise du détour.

En pleine empoignade stratégique sino-américaine exacerbée par les tensions dans le détroit de Taïwan, tandis que se développe la guerre en Ukraine en marge de laquelle les Présidents Chinois et Russe ont à Moscou réaffirmé leur intention de modifier l’ordre mondial, la symbolique brésilienne du rééquilibrage par le détour chinois vient de loin.

Depuis plus de vingt ans en effet, Pékin et ses groupes publics ont développé leurs investissements à un rythme accéléré, précisément dans les zones où, en réaction aux intrusions américaines se multiplièrent les régimes socialo-communistes de la « vague rose » en Argentine, en Bolivie, au Brésil, en Équateur et au Venezuela.

En 2014, une analyse de l’Institut Chinois des Relations Internationales (CIIS -中国 国际问题 研究 院 -) qui rappelait le « Partenariat stratégique de 1993 entre Pékin et le premier pays en voie de développement  » faisait même remonter la relation sino-brésilienne en 1880, année à laquelle la Dynastie Qing et le Brésil échangèrent des ambassades.

Par la suite, disait l’article, mettant au passage le doigt sur une des cordes sensibles symboliques à la base du discours de ressentiment anti-occidental de Xi Jinping, « les Brésiliens importèrent la main d’œuvre chinoise pour compenser la suppression de l’esclavage en 1888.  ».

Après l’établissement de la RPC communiste en 1949 et, suite à sa reconnaissance diplomatique par Cuba en 1960, alors que l’influence de Washington en Amérique latine était encore sans partage, le vice-président brésilien Joao Goulart, juriste de sensibilité socialiste fut, un an plus tard, en pleine guerre froide, le premier responsable du continent sud-américain à être reçu par Mao Zedong.

Alors que la trace anti-communiste de Washington restait encore très forte, tout ne s’est pas toujours très bien passé. Au printemps 1964, le nouveau pouvoir brésilien issu du coup d’État militaire du Maréchal Castelo Branco, proche de la CIA et de Vernon Walters bien connu de la France où il a été Attaché Militaire, neuf journalistes et attachés commerciaux chinois accusés de « fomenter une révolution au Brésil », furent arrêtés et mis sous les verrous pendant une année.

Aujourd’hui, près de dix années après la mise en perspective historique proposée par le CIIS et 35 ans après l’installation durable de la démocratie au Brésil, la cristallisation anti-américaine s’est renforcée.

L’élargissement de la trace chinoise a été favorisée par le dépit ayant entouré le retrait des investissements américains du Brésil (cf. notre article sur les ratés du sommet des Amériques de l’été 2022 : Au sommet des Amériques à Los Angeles, l’ombre portée de la Chine).

En même temps, par l’utilisation habile d’un effet de levier stratégique, l’influence chinoise s’affirme par le biais des BRICS créés en 2009 (Brésil, Inde, Russie, Chine) auxquels s’est ajoutée en 2011 l’Afrique du Sud.


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