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›› Politique intérieure

La force du symbole de Liu Xiaobo et la crainte des influences occidentales

Les raisons de l’impitoyable sévérité du Parti.

Alors que le dramatique passage sur terre de Liu Xiaobo touche à sa fin et que, le 10 juillet, le Global times publiait un article accusant « certains éléments extérieurs anti-chinois de politiser la question », tandis que, le même jour, le Quotidien du Peuple rendait compte de l’injonction de Xi Jinping « d’accélérer les réformes de la justice, conformément à l’État de droit aux caractéristiques chinoises » [1], il faut s’interroger sur les raisons de la sévérité des répressions contre certains intellectuels, comme Ilham Tohti ou Liu Xiaobo, exemples parmi d’autres, objets des harcèlements disproportionnés et cruels.

Le premier, un intellectuel Ouïghour militant pour une plus grande autonomie culturelle du Xinjiang, condamné à la prison à vie, le deuxième avocat de la démocratie, mort d’un cancer après 8 années de prison, n’ont en apparence que peu de points communs. Mais à y regarder de plus près, les deux se distinguent pour avoir contesté le pouvoir du parti et avoir reçu des appuis de l’extérieur, notamment des États-Unis.

Peu avant son arrestation, Ilham Tohti avait donné une interview à Voice of America, radio subventionnée par la Maison Blanche où il expliquait non sans raison qu’une grande partie des tensions au Xinjiang provenait des méthodes brutales de la police et des milices peu respectueuses de la culture et des coutumes locales. Quant à Liu Xiaobo, ses relations avec les États-Unis sont encore plus étroites.

L’Amérique, symbole de modernisation et de liberté.

Aux premières années de son engagement politique, en 1988, 10 années après le désastre intérieur de la révolution culturelle, constatant à Hong-Kong le retard flagrant de la Chine encore en proie à l’arbitraire, aux luttes de clans, à la corruption généralisée et à la misère dans de larges portions de la population, il avait, à plusieurs reprises, publiquement estimé que la seule voie possible pour moderniser le pays serait sa conversion complète au modèle politique et culturel occidental.

Plus tard, avocat sans concession de la supériorité de l’Amérique et de son modèle politique, et alors que, pour la Chine dont il mesurait le retard, il prônait une démocratie censitaire dont les électeurs seraient sélectionnés au mérite, Liu était même allé jusqu’à se réjouir des interventions militaires américaines en Irak qu’il voyait naïvement comme un combat pour la justice.

Ces convictions l’auraient même amené, selon le Quotidien du Peuple qui l’accusait d’être un « agent de l’étranger », à être employé moyennant rémunération, par l’ONG (National Endowment for Democracy - NED -), bras armé des actions d’influence politique américaine dans de nombreux pays.

Déjà ciblés par la police et la sécurité intérieure, les dissidents et les critiques le sont avec d’autant plus de brutalité qu’ils reçoivent des appuis extérieurs venant d’organisations vues en Chine comme une menace directe contre le régime et la pérennité du parti.

*

Lors de son passage à Hong-Kong pour l’investiture de Carrie Lam et le 20e anniversaire de la rétrocession, Xi Jinping lui-même y avait fait allusion en dénonçant les « tentatives contre la souveraineté et la sécurité nationales, défiant le gouvernement central et l’autorité de la loi fondamentale, ou ayant pour but de mener, par le truchement de Hong Kong, des opérations d’infiltration ou de sabotage à l’intérieur de la Chine. »

Disant cela, Xi Jinping visait particulièrement NED que les services chinois ont clairement identifié à la tête d’un réseau animant des activités politiques financées par le Département d’État américain. Ainsi le professeur de droit Benny Tai, à l’origine du mouvement Occupy Central en 2014 a t-il, selon les « wikileaks » régulièrement reçu des financements de Washington par le truchement de National Democratic Institute (NDI), branche de NED, pour organiser des colloques sur le thème du suffrage universel.

Pour le régime chinois, ces activités que le département d’État considère comme un accompagnement naturel des progrès démocratiques, ne sont que des atteintes à la souveraineté et une menace pour la sécurité du pays. Elles doivent être combattues avec la dernière énergie.

Que la brutalité des répressions transforment les accusés en martyrs internationaux des droits, le parti qui considère jouer son pouvoir et la survie du régime, n’en a cure, d’autant qu’il s’estime victime d’agressions extérieures malveillantes.

Il compte bien que, le temps faisant son œuvre, l’affaire sera bientôt, comme bien d’autres, engloutie par le flot des informations mêlées de propagande sévèrement contrôlées par la censure, tandis que l’attrait des finances et du marché chinois préservera les élans intéressés des chancelleries à son égard.

*

Par dessus cette situation flottent deux idées. La première concerne la classique rivalité entre les intérêts et les droits des individus et l’intérêt national et collectif que les pouvoirs estiment représenter justifiant ainsi leur autocratie.

La deuxième renvoie aux valeurs démocratiques hissées au niveau de « valeurs universelles » qu’aujourd’hui la Chine rejette d’autant plus facilement que surgissent ici et là les effets néfastes des systèmes démocratiques où la valeur « individuelle » a pris le pas, souvent de manière égocentrique, sur l’intérêt collectif.

Liu Xiaobo qui a dédié sa vie à un intérêt supérieur qui le dépasse sans aucun profit personnel, ne peut certes pas être accusé d’égocentrisme. Mais le pouvoir chinois qui l’ostracise comme un intrus hostile, utilise cette idée pour le discréditer. Simultanément, il attise le concept confucéen « d’harmonie 和谐 Hexie » revisité par le strict intérêt politique du parti pour rejeter la démocratie « ferment de discordes et d’instabilité ».

Par les temps qui courent où resurgissent de puissantes menaces, il n’est pas étonnant que dans nombre de démocraties, assez souvent chez les électeurs les plus jeunes, réapparaisse l’idée qu’un pouvoir fort, mieux en mesure de préserver la cohésion sociale et politique d’un pays, si nécessaire par la force, serait, dans l’intérêt supérieur de la collectivité, plus à même de faire face aux défis qui s’annoncent.

Note(s) :

[1L’injonction a été formulée par écrit dans une note adressée à la Commission de réforme de la justice réunie en séminaire à Guiyang, capitale du Guizhou, le 10 juillet.

C’est Meng Jiangzhu, membre du Bureau Politique et président de la Commission des lois qui s’est chargé de lire le message du président aux membres du séminaire. Mais, s’il est vrai que l’adresse présidentielle évoque le droit et la modernisation, elle ne dit mot de l’indépendance de la justice.

En revanche, la décision de déporter le séminaire dans la province excentrée et pauvre du Guizhou, fief de Chen Min Er (陈敏 尔) membre du Comité Central, protégé et allié de Xi Jinping ardent défenseur de la moralité publique et du fonctionnement efficace et transparent de l’administration donne une indication sur le sens d’une « modernisation de la justice aux caractéristiques chinoises ».

S’il est vrai que la génération politique aux commandes n’est pas prête à sauter le pas d’un justice indépendante pouvant devenir un contrepouvoir, au moins a t-elle l’intention de la rendre moins opaque, plus professionnelle, plus équitable et – c’est le sens du séminaire au Guizhou – plus attentive aux plus démunis et aux plus faibles.


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