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›› Editorial

Le « battement des contraires » du « 道 », décryptage métaphysique des mouvements du monde ? Pas si vite

Le « Dao » nous rappelle que « la réalité se construit du battement des contraires ». Si on examine la géostratégie du monde on pourrait y voir une confirmation dans le recul relatif de l’Amérique et le surgissement de contrepoids multiples articulés autour de rapprochements diplomatiques et économiques, de regroupements de circonstance ou même d’alliances en gestation dont la force d’attraction rallie même des contraires, comme récemment Islamabad et New-Delhi admis ensemble au sein de l’Organisation de Coopération de Shanghai réunie à Astana le 9 juin, malgré leurs irrépressibles antagonismes.

Une chose est certaine : l’ébranlement de l’ordre ancien né en 1945, déjà commencé à la fin de la guerre froide, s’accélère avec l’irruption dans le paysage stratégique global de voix dissonantes, brouillant les vieux clivages, exprimées entre autres par Donald Trump, Vladimir Poutine et la Chine de Xi Jinping. Elles sont amplifiées, parfois déformées, par la propagation irrépressible des nouveaux moyens de communication ayant subjugué, presque sans contrôle, le terrain de l’information et de la connaissance, devenu, comme la haute mer, le lieu de toutes les manipulations et de tous les piratages.

Encore plus inquiétant, Internet est aujourd’hui le moyen de propagande et de recrutement de l’Islamisme radical dont les exactions prennent en écharpe l’Europe, la Russie, le Moyen Orient, l’Afrique et l’Asie.

Trois conférences de portée globale.

Récemment ont eu lieu en Europe et en Asie plusieurs événements habituellement analysés séparément mais que Question Chine met aujourd’hui en relation les uns avec les autres pour illustrer les vacillations en cours toutes liées entre elles. A l’examen, il apparaît que les inquiétudes soudain créées par l’idée du retrait global de l’Amérique, ces craintes qui furent les épines dorsales du 19e sommet Chine – UE, du dialogue de Shangrila à Singapour et du sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai à Astana, révèlent en réalité a contrario la puissance rémanente des États-Unis.

Plus encore, compte tenu des tensions latentes dans la région, plus qu’un propagateur de chaos, comme Pékin s’applique à présenter Washington, la puissance militaire américaine joue, pour l’heure, le rôle d’arbitre.

19e sommet Chine – Europe.

Le premier ministre chinois Le Keqiang était en visite à Berlin et Bruxelles à la fin mai, à l’occasion du 19e sommet Chine – Europe, sur les traces encore fraîches de Donald Trump qui venait de torpiller les projets commerciaux d’Obama en Asie et en Europe. A l’occasion d’un G7 raté, il a également installé, par son attitude et ses professions de foi iconoclastes, un puissant doute existentiel chez ses alliés de l’OTAN. Peu après, sous les invectives presque unanimes, il sabordait la COP 21 dont Paris avait, 18 mois plus tôt tiré tant de satisfaction. Il reste que pour Pékin, les bottes américaines ne sont pas si faciles à chausser.

En Europe, la Chine, premier pollueur de la planète et maître de l’application à géométrie variable des règles de l’OMC, a certes rencontré la sympathie de Bruxelles et de Berlin sur la question du climat, mais elle s’est heurtée au scepticisme commercial des Européens toujours irrités par l’invasion des stocks d’acier chinois subventionné. Une fois encore, Pékin n’a pas obtenu la reconnaissance par l’UE de son « statut d’économie de marché ».

Et le 9 juin, soulevant la colère des Chinois, Bruxelles annonçait une augmentation de 35,9% de ses taxes sur les aciers plats laminés à chaud importés de Chine pour, dit la Commission, « compenser le dumping » et protéger ses industriels de l’acier. Il reste qu’en dépit de ces tensions commerciales et des méfiances rémanentes, la visite de Li Keqiang est tout de même apparue, sous la plume de nombreux commentateurs profondément choqués par les remises en question de Trump, comme les prémisses d’une « bascule de l’Europe vers l’Asie ».

La déception chinoise fut d’autant plus grande que le raidissement commercial européen survenait moins de 2 mois après le 7e dialogue stratégique entre l’UE et la Chine organisé à Pékin le 18 avril. Ce jour, Federica Mogherini, haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la sécurité avait déclaré à une interview à Xinhua que la coopération entre Pékin et Bruxelles qui « partageaient les mêmes vues sur l’ordre du monde et la prévalence de l’ONU », n’avait jamais été aussi nécessaire à un moment où la « gouvernance globale » était si souvent remise en question.

Le « dialogue de Shangrilla » sur la sécurité en Asie.

Deuxième événement résonnant comme une musique en contrepoint du voyage européen de Li Keqiang à Berlin et Bruxelles, organisé le week-end du 3 juin, le séminaire de Singapour, exercice devenu classique du dialogue annuel de sécurité en Asie. Variation orientale de la conférence de Munich sur le thème de l’appréhension globale des menaces, l’événement fut lui aussi dominé par l’incertitude née de la distance prise par Donald Trump avec son prédécesseur, exprimée de manière emblématique par l’abandon en rase campagne du Trans Pacific Partnership, laissant dans le vide les pays de la zone qui s’y étaient ralliés (Australie, Japon, Brunei, Malaisie, Singapour, Vietnam).

Plus encore, la volte-face commerciale de la Maison Blanche a, malgré les réfutations de James Mattis, induit de fortes interrogations au sein de l’ASEAN dont la plupart des pays, à la fois en quête de commerce et de coopération financière avec la Chine, mais inquiets de sa puissance militaire et de ses revendications territoriales, craignent de ne plus pouvoir s’abriter sous le parapluie américain.

Les doutes sont encore entretenus par les récentes péripéties de la crise coréenne, devenue une priorité stratégique pressante de la Maison Blanche. Donnant le sentiment que le président américain cherchait à obtenir une meilleure coopération de la Chine contre Pyongyang en se montrant plus conciliant avec Pékin sur les théâtres de la Mer de Chine du sud et de Taïwan, les derniers épisodes de la crise coréenne marqués par plusieurs essais balistiques de Pyongyang, ont conforté l’impression des alliés de Washington en Asie que le contrepoids américain était désormais moins assuré.

L’inquiétude des riverains qui rejoint celle du Japon en mer de Chine de l’Est où Tokyo accuse Pékin de constantes intrusions dans ses espaces maritimes et aériens dans les parages des Senkaku, est attisée par : 1) La publication le 15 mai du rapport du Pentagone sur l’augmentation notable de la puissance militaire chinoise ; 2) le fait que Pékin réaffirme sans faiblir sa politique d’une seule Chine avec Taiwan et ses revendications de souveraineté sur les îlots, qu’il s’agisse des Spratly ou des Senkaku, tandis que 3) à Singapour, Moscou s’est, sans surprise, directement aligné sur la position chinoise.

Le troisième événement d’importance qui eu lieu au Kazakhstan fut encore plus en dissonance avec la conception occidentale du monde. Lui aussi a révélé en creux la puissance rémanente des États-Unis.

Sommet de l’OCS à Astana.

Alors qu’à Singapour Moscou, Pékin et New Delhi n’avaient envoyé que des délégations de niveau moindre [1], en revanche, à la session annuelle de l’Organisation de Coopération de Shanghai, à Astana au Kazakhstan le 9 juin, il y avait Xi Jinping, Vladimir Poutine et les quatre autres membres fondateurs d’Asie Centrale, auxquels s’étaient joints Narendra Modi l’Indien (qui rentrait tout juste d’Allemagne où il se trouvait sur les traces de Li Keqiang) et Nawaz Sharif le Pakistanais tous deux nouveaux membres officiellement intégrés à l’Organisation au cours de cette cession.

S’étaient joints à eux en tant qu’observateurs le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères iranien, Ashraf Ghani l’Afghan, Le Luong Minh, le Vietnamien, président en exercice de l’ASEAN ainsi que les présidents mongol et biélorusse Tsakhiagiin et Lukashenko. Avec l’entrée de l’Inde et du Pakistan, résultat d’un difficile compromis entre Moscou et Pékin, l’Organisation pèse 43% de la population et 24% du PNB mondial avec cependant deux pays n’ayant pas signé le Traité de Non Prolifération, ce qui jette une ombre sur la vocation pacifique de l’exercice.

Enfin, ayant refusé à Washington le statut d’observateur, l’OCS s’est toujours affirmée comme le promoteur d’un monde multipolaire et un contrepoids au magistère de Washington. L’affirmation perd cependant une partie de sa pertinence quand on se souvient des tensions récurrentes entre la Chine et l’Inde et de la densité des liens économiques entre la Chine et les États-Unis, à quoi s’ajoutent les relations entre les militaires américains et Pakistanais revenues à un niveau opérationnel après la chute de confiance ayant entouré la mis hors de combat d’Oussama Ben Laden, le 2 mai 2011 par une opération spéciale américaine en territoire pakistanais [2].

Note(s) :

[1Pour Pékin, une équipe de chercheurs de l’Académie des sciences militaires, pour Moscou le vice-ministre de la défense Alexandre Fomin et, pour New Delhi, des chercheurs accompagnés par l’ambassadeur indien à Singapour. A noter que la défection de la délégation ministérielle indienne est due à une querelle de préséance, le ministre de la défense indien Arun Jaitley ayant été choqué de ne pas avoir été traité au même niveau que son homologue pakistanais.

[2Après plusieurs années de lourdes méfiances, la coopération militaire entre Islamabad et le Pentagone a repris en 2014, suite à l’engagement de drones armés contre des insurgés islamistes le long de la frontière afghane. En 2015, le Pakistan a payé rubis sur l’ongle une série d’équipements militaires majeurs dont 18 F-16, 500 missiles air-air, 100 missiles antinavires Harpoon et un large assortiments de bombes air-sol dont 1600 bombes laser. La même année le Pentagone a livré, sur son budget à titre de l’aide directe, 26 hélicoptères de liaison Bell et leur logistique.


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